La perception des prescripteurs de la qualité de la viande bovine sur la mise en place d'un système de prédiction des qualités sensorielles de la viande.
INTRODUCTION
Les filières bovines françaises sont confrontées à de nombreux défis. Le premier défi est l’inadéquation entre production et consommation : en effet, la production est orientée vers les animaux de type viande et l'exportation de jeunes bovins (Chatellier et al., 2021) tandis que la consommation est orientée vers les vaches de réforme et plus particulièrement les vaches de réforme laitières (40% de la consommation en 2019) (Denoyelle & Monniot, 2020).
Le second défi vient des résultats des filières bovines françaises en élevage : baisse du nombre d'exploitations, baisse de la production, hausse des prix à la production (IDELE, 2022) et en transformation. En effet, l'industrie de la viande est le secteur agroalimentaire qui crée le moins de valeur ajoutée (sur le chiffre d’affaires) : 17,6%, soit 1,7 point de moins que la moyenne des industries alimentaires (Julé et Rivillon, 2018). Enfin, la consommation a diminué de 19% entre 2008 et 2018 impactant l’ensemble des filières (FranceAgrimer, 2020). Cette tendance s'explique par une combinaison de facteurs : le prix, des inquiétudes sur la santé ou l'environnement, l’hétérogénéité de la qualité sensorielle, les scandales sanitaires ou encore le respect du bien-être animal et les questions éthiques (Laisney., 2016 ; Ellies-Oury et al., 2018).
Ainsi, une des raisons expliquant la diminution de la consommation est la qualité sensorielle des viandes bovines, qui est souvent perçue comme décevante et inconstante par les consommateurs (Tavoularis et Sauvage, 2018 ; Legrand et al., 2016). De plus, aucune relation claire n'a été démontrée entre le prix de vente de la viande bovine et sa qualité organoleptique (Normand et al., 2014). Cette incohérence peut s’expliquer par le système de notation des carcasses (EUROP) qui ne favorise pas la production de viande de meilleure qualité sensorielle à la dégustation (Bonny et al., 2017). Ellies-Oury et al., (2016) ont indiqué que les performances animales en termes de productivité (taux de croissance, indice de consommation) et attributs de qualité des carcasses (poids, conformation et état d'engraissement) sont négativement corrélés aux performances sensorielles. Le système actuel sélectionne les animaux sans prise en compte des qualités sensorielles et des attentes en carcasses de faible poids par l’aval des filières (Gruffat et al., 2015). Ainsi, il pourrait être bénéfique de modifier le système de classement des carcasses. En effet, il est impératif que l’optimisation des revenus des éleveurs coïncide avec les attentes des consommateurs. Selon Bonny et al., (2016a), la filière bovine devrait envisager la mise en place d'un système de notation sensorielle de la qualité des carcasses, qui permettrait de déterminer la valeur de ces carcasses.
Toutefois, la viande bovine reste la viande avec le taux de pénétration dans les foyers français qui est le plus élevé, car supérieur à 94% en 2020 (La Viande.fr, 2020). Cette consommation est principalement motivée par le plaisir gustatif. Aussi, les consommateurs sont enclins à dépenser plus pour une garantie des qualités sensorielles de la viande (Ellies-Oury et al., 2018). Selon Bonny et al., (2017), les consommateurs français se disent prêts à une augmentation de prix de 49% pour une viande "meilleure que le quotidien" et à doubler le prix pour une viande de "qualité supérieure" par rapport à une viande jugée "bonne pour le quotidien".
Des initiatives ont commencé à être mises en place pour exploiter cette opportunité. L’interprofession (Interbev) encourage la production de viande bovine sous signe de qualité (Label Rouge, Bio, AOP) et a mis en place une dénomination simplifiée du potentiel de tendreté ou de moelleux de la viande bovine. Toutefois, ces mesures ne sont pas encore suffisantes. En effet, la production de viande sous Label reste minoritaire dans la production française, 4,5% de la production (Interbev, 2022) et la plupart des consommateurs (72%) ne s’est pas encore approprié l’initiative sur le potentiel de tendreté (Ellies-Oury et al., 2018). En revanche, l'étude d’Ellies-Oury et al., (2018) confirme l’intérêt des consommateurs pour un système qui garantirait un niveau de qualité organoleptique et de tendreté.
En Australie, le Meat and Livestock Australia (MLA) a également été confronté à une baisse de la consommation de viande bovine et a identifié la variabilité de la qualité de la viande bovine comme un facteur majeur de cette baisse de consommation (Polkinghorne et al., 2008). Le MLA a alors développé un modèle mathématique pour prédire la qualité sensorielle de la viande bovine (tendreté, jutosité, saveur, appréciation globale) : le Meat Standards Australia (Polkinghorne et al., 2008). La performance prédictive de la qualité sensorielle de la viande a permis de rassurer les consommateurs dans leurs achats, ralentissant fortement la tendance à la baisse de la consommation de viande bovine en Australie (Legrand et al., 2017). Entre 2004 et 2010, le système MSA a généré un chiffre d'affaires de 523 millions de dollars et un bénéfice net de 200 millions de dollars pour le secteur (Griffith et Thompson, 2012). En 2018, le programme MSA a généré une valeur ajoutée de 345 millions de dollars Australien (~239 millions d’euros). La valeur ajoutée est répartie entre les différents niveaux de la filière : 20% aux distributeurs, 36% aux transformateurs et 44% aux éleveurs (Neveu et al., 2019). En 2017, le système MSA s’appuyait sur 48 005 exploitations agricoles, 42 transformateurs de viande bovine et 3 668 distributeurs (supermarchés, bouchers, épiciers). La commercialisation s'effectue sous 172 labels ou marques de viande bovine (Neveu et al., 2019). Enfin, il a été calculé qu’entre 2010 et 2015, chaque dollar investi dans la recherche et en particulier dans le système MSA a rapporté 12,5$ (Anonymous, 2016 dans Berri et al., 2016).
Par ailleurs, Allen (2015), Legrand et al., (2013 ; 2017), Liu et al., (2021) ainsi que Bonny et al., (2017) ont montré que le système MSA pouvait être appliqué à l'évaluation de la qualité de la viande bovine française avec quelques ajustements. De plus, il pourrait permettre de pérenniser la production bovine en maintenant la consommation et en étant complété par des critères d'élevage de nature à également répondre aux exigences environnementales et de bien-être animal attendues par les consommateurs. Ainsi, la mise en place d'un système d'évaluation des carcasses en France est recommandée par de nombreuses études pour augmenter la satisfaction des consommateurs, générer un accroissement de valeur ajoutée et ralentir la baisse de la consommation de viande bovine (Ellies-Oury et al., 2018, Legrand et al., 2017, Bonny et al., 2017). Toutefois, il n'existe pas d'étude sur le positionnement des différents acteurs de la filière bovine française dans la mise en œuvre d'un système inspiré du MSA excepté une étude déjà ancienne (Hocquette et al., 2011). Berri et al., (2016) affirment que les recherches sur la création d'un nouveau système d'évaluation des carcasses doivent être menées dans un contexte plus global incluant une dimension sociologique. Ainsi, la présente étude s'intéresse à l’inclinaison des organismes qui définissent les critères de qualité de la viande bovine au travers de cahiers des charges (entreprises de transformation de la viande bovine, entreprises de distribution, INTERBEV, SIQO...), à mettre en place un système de prédiction des qualités sensorielles des viandes bovines.
I. MATERIELS & METHODES
I.1. Caractéristiques des entretiens
L’objectif principal de cette étude est d’identifier les types d’organismes spécifiant la qualité, qui seraient le plus enclins à adopter un système de prédiction des qualités sensorielles de la viande bovine. Il s’agit d’une question descriptive dont l’objectif est de comprendre les opinions et les attitudes des répondants. Ainsi, la stratégie de recherche mise en place est une stratégie d’étude de cas avec l’utilisation d’un entretien semi-structuré conduit individuellement. Le guide d’entretien semi-structuré a été construit à l’aide des recherches bibliographiques et d’entrevues préliminaires avec différents experts de la filière bovine et du système MSA.
Après une présentation de l’étude et de ses objectifs, l’entretien s’est déroulé en 3 parties (comme décrit en annexe) et a duré environ 1h30. La première partie qualifie l’organisme enquêté, la seconde partie permet de caractériser la qualité de la viande au sein de l’organisme, la troisième permet d’identifier la perception de la qualité par le répondant, et la quatrième partie identifie la perception des répondants sur l’orientation de la filière et sur les systèmes d’évaluation des carcasses notamment sur le système MSA.
I.2. Population enquêtée
La méthodologie de l’étude étant qualitative, l’échantillonnage est faible et ciblé. Afin de cibler les entreprises et les personnes en charge de mettre en place des cahiers des charges pour la filière bovine, l’échantillonnage a été raisonné avec l’objectif d’avoir une représentation des différents types d’organismes et de stratégies impliqués dans la mise en place de cahier des charges.
Cette enquête a porté sur 11 organismes de prescription de la qualité des viandes bovines sur l’ensemble du territoire français Ainsi, l’étude comprend : deux entreprises de viande liées à l’amont avec activités de transformation (coopératives), deux entreprises de viande liées à l’aval avec et sans activité de transformation (GMS), trois entreprises de viande indépendantes (sans lien amont ou aval) avec (3) ou sans transformation (1), une boucherie et trois instances professionnelles de support à la filière bovine.
L’objectif de représentation des différents types d’acteurs impliqués dans la mise en place de spécifications pour la filière bovine rend l’échantillon impossible à caractériser par sa diversité. Cette présentation de la diversité de la filière bovine renforce la pertinence de l’utilisation d’une approche qualitative pour qualifier un faible échantillon hétérogène.
I.3. Analyse des données
Les données des entrevues ont été compilées et codées dans un fichier Excel où une ligne correspond à une organisation interrogée et une colonne correspond à une question du guide d’entrevue.
Plusieurs méthodes d’analyse ont été utilisées en fonction des parties du cadre d’entrevue semi-structuré. Dans la première, l’analyse des pratiques des organisations permet de rassembler les organisations selon leur façon de produire et de commercialiser la viande bovine. Ensuite, dans les autres parties, l’analyse du discours permet d’identifier et de rassembler des organismes autour de conceptions communes de la qualité et des systèmes d’évaluation actuels. Enfin, à l’aide d’une analyse des déclarations des répondants et de la bibliographie, les freins et les motivations à mettre en place un système de prédiction des qualités sensorielles des viandes bovines pour chaque maillon sont évalués par un nombre d’étoiles allant de 1 : "très peu probable" à 5 : "effectif".
II.1. Caractérisation de la qualité et type de consommation
La caractérisation des qualités au sein des entreprises permet de scinder le panel en deux, : d’une part, les organismes centrés sur l’importance de la tendreté (8/11) d’autre part, les organismes centrés sur le goût (3/11). Ces définitions de la qualité se rapportent à deux types de consommation ; la consommation quotidienne et la consommation plaisir (Tableau 1).
Tableau 1 : Synthèse des résultats de l’enquête
II.1.1. La consommation quotidienne
La consommation du quotidien est un achat où les facteurs économiques, de praticité et d’homogénéité notamment concernant la tendreté priment. Pour les répondants de ce groupe (4/11), les facteurs les plus importants sont : l’homogénéité (3/4), le prix (2 /4) et la tendreté (2/4). Le steak haché correspond à ces exigences (répondants 1, 4, 5, 8, 9) : « texture molle, faible prix (portion), homogène, tendre et loin de l’animal » (répondant 4).
La consommation quotidienne illustre la différence entre déclaratif et comportements d’achat chez les consommateurs. Le déclaratif chez les consommateurs décrit un produit plaisir « idéal » correspondant à leurs critères organoleptiques et sociétaux. Toutefois, lors de l’achat quotidien, ils sacrifient ces critères pour obtenir un produit à bas prix, qui n’impacte pas leur pouvoir d’achat (répondant 4). Ainsi, pour les répondants, le critère d’achat consommateur le plus important est le prix, critère qui revient chez l’ensemble des enquêtés sauf 1 (cités 10 et 7 fois en critère prioritaire), suivi par l’aspect visuel (cité 10 fois et 3 fois en critère prioritaire) et dans une moindre mesure l’origine géographique (cité 4 fois et une fois en critère prioritaire).
II.1.2. La consommation plaisir
La consommation plaisir se démarque de l’achat quotidien, le prix devient secondaire et les qualités organoleptiques et sociétales de la viande priment. Ainsi, lorsque les prescripteurs parlent de viande plaisir, l’histoire du produit (qualités sociétales) (3/9), la confiance envers le boucher (3/9), la régularité et les assurances de la qualités organoleptiques (5/9) deviennent essentielles. Un interrogé déclare : « Les consommateurs dépensent plus si le produit a une histoire. Les consommateurs sont de plus en plus exigeants, avec de plus en plus de critères notamment psychologiques » (répondant 2).
De plus, l’ensemble de l’échantillon sauf un interrogé s’accorde sur le fait que les consommateurs sont prêts à dépenser plus pour obtenir une viande de qualité sensorielle supérieure (10/11). Ainsi, pour fidéliser ce secteur, il faudrait : « augmenter la qualité sensorielle des viandes bovines et réussir à garantir un niveau de qualité constant » (répondant 8). En outre, un répondant affirme que « L’augmentation des prix n’est pas forcément défavorable aux consommateurs, si celui-ci découle d’une meilleure satisfaction de leurs attentes et s’accompagne d’une amélioration de l’impact environnementale de la viande bovine par une valorisation des pratiques extensives françaises » (répondant 2).
II.1.3. La méconnaissance des consommateurs
Toutefois, selon plusieurs prescripteurs, il y a un problème "d’éducation" chez les consommateurs (répondants 1, 3, 5, 7, 9, 11). Ainsi, la méconnaissance des consommateurs toucherait plusieurs aspects de la viande bovine : concernant le persillé (répondants 5, 11), les muscles (répondants 5, 7), la cuisson des viandes (répondants 1, 3, 5, 7). Ainsi, les consommateurs ne savent pas évaluer le rapport qualité/prix (répondants 5, 7). Pourtant, ils se fieraient à leur ressenti : "les consommateurs se fient beaucoup à l’aspect visuel car ils savent que le produit est hétérogène. Ils cherchent une viande rouge clair et sans gras" (répondant 4). Pour les consommateurs, le gras serait un aspect rédhibitoire à l’achat (répondants 1, 4, 5, 8, 9, 11). Un déclarant explique : "Le problème avec le persillé, c’est ça visibilité, les gens consomment des steaks hachés 15% car ils ne perçoivent pas le gras" (répondant 4). Ainsi, les consommateurs recherchent la tendreté mais ils choisissent les viandes les moins tendres : les viandes rouges claires et maigres. Les consommateurs ont des critères de sélection des viandes à l’inverse des qualités organoleptiques (répondants 9, 11). Un répondant déclare : "La qualité sensorielle est définie par la tendreté et la jutosité qui découlent du gras (persillé) pourtant les consommateurs ne sont pas attirés visuellement par ces produits. Or, les consommateurs ne doivent pas être déçus à l’ouverture des produits. Il faut que les bouchers et les restaurateurs fassent preuve de pédagogie pour valoriser le gras" (répondant 11).
II.2. Stratégie de segmentation
Pour répondre aux attentes des consommateurs les organismes segmentent leurs stratégies.
II.2.1. La distribution quotidienne
Pour répondre à ces grandes catégories de consommateurs, les distributeurs s’organisent pour fournir les demandes : quotidienne et plaisir.
Les GMS et les outils de transformation travaillant pour eux (répondants 1, 4, 5, 8, 10, 11) déclarent rechercher des approvisionnements portions, homogènes, tendres (transformés) et peu chers. Ce sont les seuls interrogés qui déclarent que le goût de la viande n’a pas d’importance (répondants 1, 4, 8). Les GMS (répondant 4, 8) recherchent des petites carcasses pour fournir la demande en portion, les consommateurs étant en recherche de petites parts adaptées à leurs usages (répondant 5). Ainsi, ce sont les GMS qui spécifient la demande et les outils de transformation qui s’y adaptent. "Chaque distributeur à ses propres exigences mais globalement ils recherchent des viandes rouges et maigres (absence de persillé)" (répondant 5). Toutefois, les 2 GMS interrogés regrettent le manque d’homogénéité dans les approvisionnements (répondants 4, 8).
II.2.2. La distribution plaisir
A l’inverse des GMS, les restaurants et boucheries haut de gamme sont en recherche de viandes rouges et grasses (répondants 5, 6, 10). Toutefois, comme la GMS, ils privilégient les portions issues de petites carcasses (répondants 5, 6, 10). Un interrogé commente la différence dans les approvisionnements en B to B et en GMS : "La différence d’approvisionnement entre GMS et B to B provient des consommateurs. En effet, cuites, les consommateurs préfèrent les viandes grasses mais visuellement, ils préfèrent les viandes maigres" (répondant 5) comme cela a été démontré par la recherche scientifique (Morales et al., 2013 ; Normand et al., 2017). Ainsi, un des GMS évoque : "les restaurateurs véhiculent les modes et les consommations, ils ont un rôle de prescripteurs (Porc : Pluma, Races bovines : Angus, Wagyu). On goûte au restaurant, on apprécie et on le cherche en magasin" (répondant 4)
II.2.3. La distribution de tradition
Les boucheries traditionnelles recherchent des viandes issues de races à viande locales sous SIQO (répondants 1, 3, 4, 7, 9) et à cibler sur la distribution plaisir. Toutefois, ce sont les seules à encore utiliser le classement EUROP (répondants 1, 3, 7, 9) qui constitue un indicateur du rendement carcasse valorisable par l’artisan. Cependant, comme démontré précédemment, le système EUROP sélectionne les carcasses, le plus souvent, à l’opposé des qualités organoleptiques en favorisant des animaux lourds et maigres. Les bouchers, qui ont pour rôle et valeur ajoutée le conseil client (répondants 1, 3, 5, 7, 9), ne disposent pas toujours de formation sur le déterminisme de la qualité sensorielle des viandes bovines.
II.2.4. Les entreprises de la viande et adaptation à la demande
Les entreprises de viande mettent en place plusieurs stratégies : une stratégie de couverture des besoins de l’ensemble des canaux de distribution (répondants 1, 5, 10) ou une stratégie de spécialisation quotidienne en GMS (répondant 11) ou une stratégie de plaisir en restauration haut de gamme (répondant 6).
Les entreprises de viande indépendantes de l’élevage peuvent sélectionner leurs approvisionnements et leurs éleveurs. Ainsi, ces entreprises sélectionnent et orientent leurs approvisionnements en fonction de leurs débouchés (répondant 10) ou mettent en place des filières correspondant aux attentes de leurs débouchés (répondants 6, 11). La mise en place de critères de sélection permet d’adapter leurs offres aux consommations quotidiennes en travaillant à des initiatives sur la tendreté (comme sur la maturation) (répondant 11) ou sur la consommation plaisir avec la mise en place d’initiatives sur le persillé (répondant 6). La création de stratégies et filières adaptées permettent à ces entreprises de se développer (répondants 6, 11).
II.2.5. Les coopératives écoulent la production de leurs adhérents
Les outils de transformation des coopératives tentent de couvrir l’ensemble des canaux de distribution (répondants 1, 5). Cependant, les coopératives subissent la variabilité des approvisionnements. En effet, il leur est difficile de prédire l'offre puisque les coopératives sont dépendantes des arrivages d'animaux et pour l’instant aucun système ne permet de prédire les qualités de la viande bovine en élevage (répondants 1, 4, 5, 6). Ainsi, les coopératives sont dépendantes, faute d’alternatives opérationnelles, de savoir-faire des affectateurs qui orientent les carcasses en fonction des différents circuits de distribution La diversité des approvisionnements impacte la qualité de leur service puisque les GMS et B to B interrogés se disent en recherche de plus d’homogénéité dans leurs approvisionnements (répondants 4, 6, 8) et qu’ils mettent en place leurs propres filières ou cahiers des charges pour orienter les productions (répondants 1, 5, 6, 8).
L’objectif de cette étude était de réaliser une première approche auprès des prescripteurs de la qualité de la viande bovine française afin de comprendre leurs perceptions de la qualité et leurs opinions sur la mise en place d’un système de prédiction de la qualité sensorielle de la viande bovine.
La recherche bibliographique et les résultats obtenus en interrogeant des prescripteurs issus de différents maillons de la filière (transformateurs liés au coopérative ou à la GMS, distributeurs : grossistes, boucheries traditionnelles, GMS et instances professionnelles) ont permis d’identifier les définitions de la qualité par les différents organismes et d’identifier des maillons de la chaine ayant le plus de probabilités de mettre en place un système de prédiction de la qualité sensorielle de la viande bovine.
III.1. Limites de l’étude
Ce travail qui constitue une étape préliminaire dans l’acquisition de connaissances sur les motivations des différents maillons de la filière bovine à mettre en place un système d’évaluation de la viande bovine inspiré du MSA. Toutefois, plusieurs éléments en limitent la portée.
D’abord, dans la méthodologie : les résultats s’appuient sur un processus déclaratif. Cependant, le langage est soumis à la subjectivité du répondant et du questionnant. De plus, la distance géographique a contraint aux entretiens en distanciel. Cette forme d’entretien a un impact sur la qualité des réponses.
Ensuite, le faible échantillon enquêté (n=11) et l’utilisation d’un échantillonnage raisonné basé sur les connaissances de l’enquêteur limitent la représentativité de l’étude.
Enfin, les derniers entretiens ont été réalisés dans un contexte inflationniste, qui a modifié les réponses des interrogés. Ainsi, un des répondants affirme : "Le contexte économique actuel annule la capacité des consommateurs à dépenser plus. Il casse l’élasticité des prix. Le prix bloque la consommation de viande bovine avec une inflation de 30% qui a entrainé une diminution de la consommation de 15% en an et qui devrait continuer à diminuer jusqu’à 20%. L’effet de l’inflation est amplifié par le coût initial élevé du produit. La question actuelle consiste plus à trouver des solutions pour maintenir la consommation" (répondant 10).
III.2. Suites de l’étude
Les limites de l’étude montrent que les résultats obtenus doivent être considérés comme une première approche des perceptions des prescripteurs.
Dans un premier temps, il serait judicieux de confronter les prescripteurs à un cahier des charges inspiré du MSA qui présenterait l’aspect financier du changement de système. En effet, la traduction du projet en termes technico-économiques pourrait permettre aux prescripteurs de se positionner plus finement par rapport au système de prédiction des qualités sensorielles de la viande bovine.
Ensuite, il serait intéressant d’établir un plan de communication auprès des GMS afin de valoriser, l’un des résultats de l’étude, à savoir que la diffusion des connaissances sur les systèmes de prédiction des qualités sensorielles est un levier pour la mise en place d’un tel outil par une GMS.
De même, sur un temps plus long, il est important de travailler à la réduction du conservatisme dans la filière déjà mentionné (Troy et Kerry, 2010), en insistant sur les facteurs qui définissent les qualités des viandes et les attentes des consommateurs dans les formations agricoles et bouchères.
Enfin, l’étude doit permettre d’interroger la filière sur sa volonté à orienter ses productions vers plus de garanties sur les qualités des viandes bovines en mettant en place une méthodologie efficiente. Si la filière s’empare de cette ambition, la création d’un outil de prédiction inspiré du MSA serait porteuse de nombreuses opportunités.
La filière bovine dispose d’une opportunité de mise en place d’un système de prédiction des qualités sensorielles des viandes bovines, une opportunité qui est identifiée et défendue par la communauté scientifique. Cette initiative permettrait d’augmenter le niveau de qualité organoleptique du marché français et de rassurer les consommateurs. Ainsi, la filière pourrait s’orienter vers des produits correspondant aux attentes des consommateurs.
Toutefois, la filière bovine doit saisir les opportunités offertes par le changement des attentes des consommateurs. Ainsi, il existe une différence entre le temps agricole et le temps socio-économique. De plus, la filière bovine, par son hétérogénéité, ses coûts et son temps long de production, n’est pas la production agricole la plus adaptée à la sortie des produits concurrentiels sur une segmentation prix. En effet, elle entre en concurrence avec les productions monogastriques moins couteuses et plus homogènes dans leur gestion de la qualité.
L’importance de la tendreté chez les consommateurs découle aussi de la perte des flaveurs de la viande bovine. La disparition du gras ayant entrainé la disparition du goût, les consommateurs discriminent la viande bovine par le seul élément gustatif restant : la tendreté. Toutefois, il est regrettable de définir la qualité d’un produit alimentaire par sa texture plutôt que par son goût.
Ainsi, la filière bovine ne valorise pas suffisamment les marqueurs de différentiation sensorielle et culturelle qui font sa valeur ajoutée. La viande bovine est un aliment plaisir ancré dans la culture française. Ces notions de savoir-faire et d’histoire autour des produits bovins sont chères à une partie de la filière bovine et constituent un atout auprès des consommateurs. Ces valeurs doivent s’intégrer dans un système de prédiction des qualités organoleptiques de la viande bovine en ajoutant des facteurs environnementaux et sociétaux (une possibilité confirmée par les experts rencontrés) attendus par les consommateurs. Ainsi, d’après Ellies Oury et al., (2018) les consommateurs seraient en attente de notation objective des conditions d’élevage (71%), du respect du bien-être animal (40%), de l’impact environnemental (32%) ou encore de la valeur nutritionnelle des produits (25%). Des améliorations au système de prédiction peuvent prendre la forme d’un système blockchain (QR code) retraçant l’histoire et le travail effectué par les différents maillons de la chaîne sur le produit. Cette initiative permet aussi de revaloriser économiquement et socialement le travail des éleveurs.
De plus, la filière viande doit développer des moyens de communication plus efficaces face à l’émergence d’associations abolitionistes. Or, la notion de plaisir gustatif est aussi un élément de protection des activités d’élevage et des productions carnées permettant de contrer l’émergence et le développement des substituts à la viande.
Enfin, la France dispose d’un atout majeur dans la diffusion de viandes bovines de qualités organoleptiques supérieures, au national comme à l’international, à travers sa gastronomie de renommée mondiale. Ainsi, la réputation culinaire de la France associée à un système de prédiction des qualités sensorielles de la viande bovine efficient permettrait de commercialiser des viandes françaises d’exception et de mieux valoriser la viande issue des troupeaux allaitants. Une stratégie à l’export orientée vers le haut de gamme et la valeur ajoutée apparait en phase avec l’image et la taille de la France.
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Annexe 1
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