Revue Française de la recherche
en viandes et produits carnés

ISSN  2555-8560

Performances d’abattage et caractéristiques de la viande de veaux rosés de la race locale Maraîchine

 


Performances à l’abattage de veaux rosés de race Maraîchine et caractéristiques biochimiques et métaboliques, qualités sensorielle et nutritionnelle de la viande, selon l’alimentation du veau.

Cet article présente des données sur les veaux rosés d’une race locale des marais atlantiques, la Maraîchine. Il détaille les performances à l’abattage, les caractéristiques biochimiques et métaboliques de la viande ainsi que ses qualités sensorielle et nutritionnelle en fonction du régime alimentaire du veau : lait tété au pis associé à de l’herbe ou des concentrés.

INTRODUCTION

La dénomination de « veaux rosés » désigne des jeunes animaux produisant une viande rosée (ni blanche, ni rouge). Ces animaux peuvent être des veaux ou des jeunes bovins au sens de l’annexe 7 du règlement N°1308/2013 du parlement Européen (respectivement âgés de moins de 8 mois et entre 8 et 12 mois). A la différence du veau de lait (dit à viande blanche), les veaux rosés sont élevés au pis avec leur mère ou des nourrices. Ils sont issus très majoritairement de troupeaux allaitants. Ils ont accès à d’autres aliments que le lait : pâturage et/ou fourrages et/ou concentrés. Ils sont libres de se mouvoir au pâturage ou en stabulation et ont accès à la lumière naturelle. Cette production développée depuis 1993 dans les terroirs du Sud-Ouest du Massif central avec la mise en place d’un Label Rouge « veau rosé des éleveurs d’Oc », tend à s’étendre à d’autres régions françaises (Godet, 2018). Elle permet à des élevages allaitants de s’affranchir d’un marché du broutard maigre sur lequel les éleveurs n’ont pas prise (Poizat et al., 2019) et qui est peu rémunérateur pour les animaux peu conformés issus de certaines races locales et/ou d’élevages extensifs (Couzy et al., 2017). N’ayant pas toujours de filière organisée, les carcasses des veaux rosés sont surtout valorisées dans les circuits de vente de proximité (vente directe, accords de proximité avec des boucheries) moins axées sur la viande blanche de veau imposée aux consommateurs français depuis les années 60 et devenue un standard de boucherie. Les pratiques d’élevage des veaux rosés sont très variées : temps passé au pis, âge à l’abattage, accès à des fourrages, type d’engraissement avant abattage (durée, alimentation) et les études peu nombreuses (revue de Domaradzki et al., 2017).
Parmi les élevages ayant des bovins de race Maraîchine, la moitié commercialisaient en 2018 des veaux rosés (12 élevages sur un échantillon de 24 selon Roche et al., 2022). Ces animaux sont élevés sous leur mère et ont accès au pâturage ou à des fourrages. Dans certains élevages, les veaux sont complémentés avec des céréales. Trois élevages complémentent ainsi les veaux aux concentrés, 1 à la luzerne et 8 ne donnent accès qu’à des fourrages de prairies naturelles (pâturage ou foin). Ces veaux sont abattus à des âges très variables, de 2 à 9 mois sans phase de finition post-sevrage (le sevrage correspond au départ à l’abattoir). Ces éleveurs et éleveuses s’interrogeant sur les performances d’abattage de leurs animaux et particulièrement sur l’effet des modes d’alimentation sur les qualités des viandes, un projet collaboratif intitulé « Valoriser la Maraîchine pour conjuguer viande de qualité et préservation des milieux littoraux » a traité de ces questions pour les bœufs et les veaux. La description du protocole de ce projet, et les résultats obtenus sur les qualités des viandes de bœuf ont été précédemment décrits par Farruggia et al. (2023).

Cet article présente les performances d’abattage extraites d’une base de données de 119 veaux de race Maraîchine élevés sur l’unité expérimentale INRAE de Saint-Laurent-de-la-Prée ainsi que les caractéristiques des viandes d’un échantillon de 30 veaux issus de 8 élevages différents : 15 veaux élevés au pis et à l’herbe (pâture et/ou foin) (H) et 15 veaux élevés au pis et complémentés avec des concentrés (C). Les caractéristiques des viandes analysées sont les caractéristiques biochimiques et métaboliques, les qualités sensorielles et rhéologiques et les qualités nutritionnelles de la bavette de flanchet.

I. DISPOSITIF EXPERIMENTAL ET TYPES D’ANALYSE

I.1. Caractéristiques des animaux étudiés et modes d’élevage


L’analyse des performances d’abattage s’appuie sur une base de données contenant les caractéristiques de veaux Maraîchins élevés sur l’unité expérimentale INRAE de Saint-Laurent-de-la-Prée (UESLP) en Charente Maritime et abattus entre 2009 et 2023. Cette base contient les données obtenues sur 119 veaux (veaux UESLP par la suite), abattus entre 2,6 et 10,4 mois (en moyenne à 6,2 mois), dont 76 mâles et 43 femelles. La moitié du troupeau avait été conduite en vêlages dits de printemps (centrés sur mars (de janvier à juillet)), l’autre moitié en vêlage d’automne (centrés sur septembre (d’août à décembre)). La base UESLP compte 49 veaux nés au printemps et 70 nés à l’automne.
Les 119 veaux UESLP ont été élevés sous leur mère et ont eu accès aux fourrages, pâturage ou foin sans apport de concentrés complémentaires. Les veaux nés à l’automne ont reçu du foin en stabulation puis ont pâturé à partir de 6 mois avec leur mère. En stabulation, les mères ont été nourries avec du foin de prairie naturelle et un fourrage riche en matières azotés (enrubannage de méteil ou de prairie temporaire ou foin de luzerne), complémentés avec des grains de méteil. Les veaux nés au printemps pâturaient et ont reçu du foin en râtelier dans les pâtures à partir de la mi-juillet. Leurs mères ont été nourries uniquement avec de l’herbe pâturée et du foin de mi-juillet à la rentrée étable.
En parallèle, un échantillon de 30 veaux de race Maraîchine a été utilisé pour l’analyse des viandes (veaux d’élevages par la suite). Cet échantillon comprend 23 mâles abattus à 7,2 mois pour 7 femelles abattues à 6,3 mois, 22 veaux sont nés au printemps et 8 à l’automne.
Les veaux d’élevages proviennent de 8 élevages différents aux pratiques d’alimentation variées détaillées dans le tableau 1 et classées selon les deux régimes : « Concentré » (C) et « Herbe » (H). En plus du lait au pis et de fourrages, les veaux du régime C ont reçu des mélanges de céréales et/ou oléagineux et/ou protéagineux. Les veaux du régime H ont pâturé en plus du lait, et ont pu recevoir un apport de foin avant l’abattage.

I.2. Données de performances d’abattage de veaux et analyses

Les poids vifs des 119 veaux UESLP ont été relevés à la ferme la veille de l’abattage. Les poids des veaux d’élevage n’ont pas pu être enregistrés dans les fermes. Les veaux ont été abattus dans 5 abattoirs répartis dans 3 départements (17, 79 et 85) entre juin 2009 et mai 2023 pour les veaux UESLP et entre mars et novembre 2020 pour les veaux d’élevages (4 abattoirs différents). Les abattoirs ont fourni les poids de carcasse froide et les classements EUROP (conformation et état d’engraissement).
Pour les animaux UESLP, les poids de viande commercialisable ont été fournis par les prestataires de découpe. Au nombre de 4 et répartis sur 3 départements (17, 44 et 85), ces prestataires ont des contraintes différentes selon leurs débouchés (ex. noix entière versus escalopes dans la noix) et ne valorisent donc pas les carcasses de la même façon. Les poids de viande qu’ils ont fournis pour chaque animal sont issus de découpes destinées à confection des différents colis vendus (à des particuliers, restaurants et cantines).

Tableau 1 : Alimentation des 30 veaux d’élevages en complément du lait de la mère et âge à l’abattage selon le régime alimentaire : C ("Concentré") ou H ("Herbe")
 Performance Maraichine Tab1
 
I.3. Qualité des viandes des veaux d’élevages : prélèvements et analyses
 
Le muscle prélevé dans le cadre de cette étude est le Rectus abdominis (RA) ou bavette de flanchet en terme boucher. Ce muscle de 1ère catégorie présente l’avantage d’être facile à prélever sans dépréciation excessive de la carcasse. Les deux bavettes ont été prélevées sur chaque veau d’élevages. Le protocole de conditionnement des échantillons est le même que celui appliqué sur les muscles de bœuf (Farruggia et al., 2023). Les échantillons de RA, congelés à -80°C, ont été envoyés au laboratoire INRAE de l’UMR Herbivores à Theix pour l’analyse des propriétés biochimiques, métaboliques et nutritionnelles tandis que les échantillons sous vide ont été conservés dans le laboratoire d’analyse sensorielle INRAE de l’unité expérimentale du système d’élevage avicole alternatif (EASM) de la station INRAE du Magneraud.
 
I.3.1. Analyse des caractéristiques biochimiques, métaboliques et nutritionnelles de la bavette de flanchet

Au total, 15 bavettes du régime H et 14 bavettes du régime C ont été utilisées en raison d’un problème de disponibilité en azote liquide pour un des échantillons.
Pour les 29 bavettes, l’ensemble des méthodologies utilisées ont été décrites dans Farruggia et al. (2023) à l’exception des protocoles originaux utilisés pour l’analyse des vitamines B. Ceux-ci ont reposé principalement sur une méthode de purification des vitamines par déprotéinisation avant quantification ciblée par chromatographie liquide couplée à de la spectrométrie de masse. Les concentrations des vitamines B1, B2, B5, B6 ont finalement été rapportées à la quantité d’échantillon utilisée pour le dosage.
 
I.3.2. Analyse de la qualité sensorielle des viandes
(détails Encadré 1)

Les propriétés sensorielles des viandes ont été déterminées par évaluation sensorielle avec un jury formé et par analyses instrumentales (analyses rhéologiques et colorimétrie). Les séances de dégustation ont été réalisées dans des conditions conformes à la norme AFNOR NF V 09 105. L’ensemble des échantillons a été évalué par un jury constitué de 12 jurés formés aux évaluations sensorielles de la viande de veau. Le jury a effectué deux séances d’entrainement le 23 février et le 2 mars 2021 sur une des bavettes de l’échantillon. De ce fait, seulement 14 veaux par régime ont été ensuite utilisés pour l’analyse. Cinq séances de dégustation ont été réalisées entre le 9 et le 30 mars 2021. Le plan d’appariement des échantillons de dégustation a été réalisé en fonction du régime, de l’âge, de l’élevage et de la date d’abattage, en utilisant une présentation monadique séquentielle. Les deux lots ont été dégustés selon un plan d’expérience équilibré. Pour chaque critère, la notation s’effectuait sur une échelle continue bornée de 0 à 10. Une séance de dégustation durait environ 1 heure. Les descripteurs ont été les suivants :
- Couleur : intensité de la couleur (de clair à foncé).
- Tendreté initiale : facilité de rupture lors de la première mastication.
- Tendreté globale : facilité de rupture lors de la mastication.
- Jutosité : quantité de jus libéré en bouche lors de la mastication.
- Flaveur bovine : intensité de la flaveur bœuf de l’échantillon.
- Flaveur globale : intensité de toutes les flaveurs confondues à décrire dans la partie commentaire.
- Flaveur anormale : intensité de toutes les flaveurs anormales ou non attendues dans le produit. Ressenti d’un mauvais goût.
- Résidus : évaluation de l’importance du volume alimentaire avant d’avaler.
Pour chaque animal, la viande a également été caractérisée en termes de propriétés rhéologiques (force de cisaillement, de compression (à 20 % et à 80 %) et de couleur selon le système CIELAB (L* : clarté ou luminance ; a* : indice de rouge ; b* : indice de jaune) dans le laboratoire de Bordeaux Science Agro selon des modalités décrites dans Farruggia et al. (2023).
 
Encadré 1
Protocole de préparation des échantillons des veaux d’élevages pour les séances de dégustation
Les échantillons de bavette de flanchet ont été réceptionnés en frais au laboratoire d’analyse sensorielle. Ils ont été mis en sachet sous vide et stockés à +4°C pour une maturation de 14 jours, puis stockés à - 20°C. La veille de la séance de dégustation, les échantillons ont été placés au réfrigérateur pour une décongélation lente de 24 heures à + 4/5°C. Une heure avant le début de cuisson, les échantillons ont été sortis des sachets sous vide pour permettre leur réoxygénation et leur retour à température ambiante. Les échantillons de veau ont été appariés par traitement pour la dégustation de façon à avoir des muscles issus d’individus dans la même tranche d’âge. Ils ont ensuite été détaillés en tranches. Chaque tranche a été découpée en 3 morceaux en parant les extrémités. Le grill a été préchauffé 30 min. à 300°C.
Les steaks du jour de dégustation ont été cuits sur grill double face entre deux feuilles d’aluminium. L’appréciation devant être effectuée sur produit chaud, les échantillons ont été présentés sur des assiettes chaudes. La cuisson a été alors contrôlée grâce à une sonde de température (type K) placée au cœur de la viande, pour une dégustation à 65°C. Les sujets ont été invités à consommer de l’eau, du pain et/ou un morceau de pomme entre les échantillons de sorte de pouvoir se rincer la bouche.
 
I.4. Analyses des données

L’analyse des performances à l’abattage des 119 veaux UESLP a été réalisée en fonction de cinq facteurs : le sexe du veau, sa saison de naissance (automne ou printemps), son âge à l’abattage divisé en cinq classes : 2 à 5 mois (21 veaux) ; 5 à 6 mois (37 veaux) ; 6 à 7 mois (26 veaux) ; 7 à 8 mois (23 veaux) ; plus de 8 mois (12 broutards). Trois types de poids et deux types de rendement ont été considérés : poids vif à l’abattage (PV), poids de carcasse froide (PC), poids de viande commercialisable (PM), rendement carcasse (RC) et rendement viande (RM) obtenus respectivement par le rapport PC sur PV et PM sur PC. Les données vérifiant la condition de normalité ont été analysées par analyse de variance (fonction aov() du logiciel R©) : PV, PC et PM. Les rendements ont été analysés par tests non paramétriques : test de Wilcoxon pour les facteurs à 2 modalités (sexe, saison de naissance et régime (fonction wilcox.test () du logiciel R©) et test de Kruskal-Wallis pour les facteurs classes d’âge et traitement (fonction kruskal.test() du logiciel R©). Les qualités des carcasses (conformation et état d’engraissement) ont été analysées par un test de chi2 (fonction chisq.test() du logiciel R©).
Pour les veaux d’élevages, nous avons distingué uniquement le régime alimentaire. Les données de qualité de viande ont été analysées avec des tests non paramétriques du fait de la non-normalité des variables ou de la non-homogénéité des variances. Nous avons utilisé le test de Wilcoxon (ou de Mann-Whitney) pour comparer les moyennes des deux régimes. Les données de vitamines B des viandes suivaient une loi normale et ont été analysées par une analyse de variance et les moyennes comparées a posteriori par un test de Tukey.
 
 

II. RESULTATS ET DISCUSSION

II.1. Performances à l’abattage des veaux Maraîchins

II.1.2. Les veaux UESLP

La figure 1 montre l’accroissement des poids des 119 veaux UESLP (PV, PC et PM) et les corrélations en fonction de l’âge à l’abattage. Les analyses de variance montrent un effet significatif de la classe d’âge sur les trois poids (Tableau 2a).

Les veaux UESLP ont un poids vif moyen de 219 kg, un poids carcasse de 128 kg et un poids de viande de 90 kg. Les rendements carcasse sont en moyenne de 59 % et les rendements viande de 70 %. L’âge à l’abattage a un effet significatif sur le rendement carcasse : les animaux les plus jeunes ont en moyenne des rendements carcasse plus élevés (Tableau 2a : 61% pour les veaux âgés de 2 à 5 mois ; 57% pour les plus de 8 mois). Les veaux mâles sont significativement plus lourds (en moyenne PV = 228 ; PC = 133 ; PM = 94 kg) que les femelles (PV = 203 ; PC = 120 ; PM = 84 kg) (Tableau 2b). La saison de naissance a un léger effet sur le poids vif (Tableau 2c : 222 kg pour les veaux nés à l’automne et 215 kg pour ceux nés au printemps) mais n’a pas d’effet sur le poids de carcasse et de viande. Le sexe et la saison de naissance ne sont pas des facteurs discriminants des rendements.
 
Figure 1 : Poids vif à l’abattage, poids de carcasse et poids de viande en fonction de l’âge à l’abattage des veaux UESLP
(n= 119, base de données INRAE UESLP, 2009-2023)
 Performance Maraichine Fig1

Les poids des veaux Maraîchins sont inférieurs à ceux des veaux de race Salers (Serrano et al., 2005) ou des veaux croisés (Aldai et al., 2012), complémentés après sevrage : PV de 200 à 399 kg ; PC de 148 à 229 kg). Des poids similaires aux veaux Maraîchins ont été trouvés par Steinshamn et al. (2010) pour des veaux de races rustiques, abattus à 6-7 mois, élevés dans le sud-est de la Norvège et non complémentés en céréales avec des poids vifs de 225 kg et des poids de carcasse de 118 kg.
 
Tableau 2 : Performances d’abattage de veaux UESLP selon l’âge à l'abattage, le sexe, la saison de naissance et le régime alimentaire : poids vif à l’abattage (PV), poids de carcasse (PC), poids de viande (PM), rendements carcasse (RC) et rendements viande (RM).
(n= 119, base de données INRAE UESLP, 2009-2023 ; m : Moyenne,  : Ecart-type, p : p-value)
 
Performance Maraichine Tab2a
Performance Maraichine Tab2bc
 
 
II.1.2. Comparaison des performances à l’abattage entre les veaux UESLP et les veaux d’élevage

La moyenne des poids de carcasse des 30 veaux d’élevages (157 kg pour un âge moyen à l’abattage de 7 mois et 77% de mâles) est supérieure à celle des 119 veaux UESLP (128 kg pour un âge moyen à l’abattage de 6,1 mois et 64% de mâles). Les poids carcasses des veaux d’élevages sont équivalents entre les régimes alimentaires : 164 kg pour les veaux du régime C et 150 kg pour ceux du régime H (p = 0,089).
Ces résultats sont en accord avec ceux de Serrano et al. (2005). Ces auteurs ne constatent pas de différences significatives des poids des veaux de Salers âgés de 10 mois entre le régime H et les régimes C contenant différentes quantités de concentrés. En revanche, nos résultats ne valident pas ceux de Florek et al. (2013) qui montrent que des veaux Limousins de 8 mois ont des poids supérieurs avec un régime C qu’avec un régime H (PV-C = 308 ; PV-H = 294 et PC-C = 196 ; PC-H = 182). Ces études portent toutefois sur des veaux plus âgés, avec des régimes alimentaires complémentés et un temps de finition post sevrage, ce qui ne correspond pas aux modes d’élevage des veaux de cette étude.
Les trois-quarts des carcasses des veaux UESLP ont une note de conformation R2 (Tableau 3). Pour les veaux d’élevages, le régime alimentaire a un effet significatif sur la distribution des conformations et sur les états d’engraissement. Les veaux d’élevages du régime H de l’échantillon sont majoritairement classés O2 tandis que les veaux du régime C sont classés R2 (Tableau 3) et se rapprochent des veaux UESLP.
 
Tableau 3 : Pourcentage des carcasses des veaux UESLP et des veaux d’élevages selon leur régime alimentaire, leur conformation classement EUROP et leur état d’engraissement
 
Performance Maraichine Tab3
 
II.2. Propriétés biochimiques et métaboliques des muscles des veaux d’élevage

Le muscle et donc la viande sont majoritairement composés des fibres musculaires (70 à 90% du volume du muscle), lesquelles sont entourées par le tissu conjonctif qui a un rôle de soutien. Ces fibres sont classées en fonction de leur vitesse de contraction et de leur métabolisme. On distingue les fibres à vitesse de contraction lente et à métabolisme oxydatif, dites "de type I", les fibres à vitesse de contraction rapide et à métabolisme glycolytique, dites "de type lIB" et les fibres à vitesse de contraction rapide et à métabolisme oxydo-glycolytique "de type lIA". Chaque muscle est composé d'un mélange en proportions variables de ces différents types de fibres. Les lipides se déposent dans le tissu conjonctif (Listrat et al., 2015). Chez le bovin adulte, il est connu que les qualités organoleptiques (tendreté, jutosité, flaveur) sont influencées à la fois par les différents types de fibres musculaires, par la teneur en collagène total (principal constituant du tissu conjonctif) et par la teneur en lipides et en acides gras (Listrat et al., 2020).
Dans notre étude, le régime H module très fortement les proportions relatives des fibres. Le pourcentage de fibres de type IIX (rapide, glycolytique) des veaux H est inférieur de plus de 50% par rapport aux veaux du régime C, au bénéfice des fibres lentes (type I) et oxydo-glycolytiques (type IIA) (Tableau 4). Cette répartition des fibres montre que la complémentation avec de l’herbe conduit les jeunes veaux à orienter leur métabolisme musculaire vers un mode proche de celui de l’adulte ruminant qui ne présente quant à lui que 20% de fibre rapides (Farruggia et al., 2023). Les résultats confirment ici les conclusions de Gagaoua et al. (2017) qui indiquent que les proportions des fibres glycolytiques IIX et oxydatives IIA sont respectivement, les plus faibles et plus élevées, pour les animaux engraissés à l’herbe. Cette orientation du métabolisme, due à la stimulation du rumen par l’herbe chez l’animal, mais aussi à la mobilité des animaux au pâturage (Jurie et al., 2006), pourrait être une caractéristique propre de la qualité de la viande d’herbivores élevés à l’herbe. Par contre, la quantité de collagène présente dans le RA des veaux n’est pas modifiée par leur régime alimentaire.
 
Tableau 4 : Effet du régime alimentaire sur la composition et l’orientation métabolique des fibres musculaires des viandes des veaux d’élevages de race Maraîchine.
Performance Maraichine Tab4
Proportion de fibres de type II X, II A et I (en % des fibres totales) et collagène total (µg/mg MS) dans le muscle Rectus abdominis (bavette de flanchet) issu de veaux du régime H (« Herbe ») (n = 15) ou du régime C (« Concentrés ») (n = 14),
m : Moyenne,  : Ecart-type, p : p-value


II.3. Caractéristiques sensorielles et rhéologiques des viandes des veaux d’élevage

Comme couramment admis dans la littérature (Interbev, 2006 ; Prache et al., 2020 ; Apaoblaza et al., 2020), le type de régime impacte significativement la couleur de la viande de veau. La viande est plus claire [L*] et moins rouge [a*] avec le régime C qu’avec le régime H (Tableau 5). Les teneurs en fer sont significativement supérieures dans le cas du régime H (17,4 vs 14,0 mg/kg) en accord avec les résultats significatifs obtenus sur la couleur évaluée au plan sensoriel (tableau 6). Des tendances proches mais toutefois non significatives avaient précédemment été mises en évidence sur des taurillons et génisses Charolaises (Oury et al., 2009).
 
Tableau 5 : Propriétés physicochimiques de la bavette de flanchet des veaux d’élevages de race Maraîchine
 Performance Maraichine Tab5
 
Luminance (L*), Indice de rouge (a*) , Indice de jaune (b* ), teneur en fer (Fe en mg/kg), Cisaillement sur cru (Ci/cru en (N/cm2), Cisaillement sur cuit (Ci/cuit en N/cm2), Compression à 20% sur cru (Co 20%/cru en N/cm2), Compression à 80% sur cru (Co 80%/cru en N/cm2), Compression à 20% sur cuit (Co 20%/cuit en N/cm2), Compression à 80% sur cuit (Co 80%/cuit en N/cm2) issu de veaux du régime H (« Herbe ») (n = 15) ou du régime C (« Concentrés ») (n = 14),. m : Moyenne,  : Ecart-type, p : p-value

Les propriétés rhéologiques sont équivalentes entre les deux régimes à l’exception de la force de cisaillement sur viande cuite, qui est significativement plus élevée dans le régime H, impliquant que la viande est susceptible d’être plus dure. Ce résultat est confirmé par les évaluations sensorielles, qui mettent en évidence des écarts marqués selon le type de régime (tableau 6). Le régime H conduit en effet à des viandes significativement moins tendres (tendretés initiale et globale), légèrement moins juteuses, avec une flaveur anormale plus marquée et davantage de résidus en bouche que les viandes des veaux du régime C. Cette association négative entre herbe et tendreté de la viande n’est généralement pas retrouvée dans la littérature, les muscles longissimus dorsi des animaux nourris à l'herbe étant soit aussi tendres (French et al., 2001), soit légèrement plus tendres (Carrillo et al., 2021) que ceux des individus nourris aux céréales. Il est possible que les effectifs animaux de notre expérimentation, sans être négligeables, ne soient pas suffisants pour permettre de rendre compte de la variabilité des situations rencontrées sur le terrain. Ces premières données sur la race Maraîchine mériteront donc d’être confortées.
Les différences de couleur et de tendreté observées entre les deux régimes concordent avec les résultats obtenus sur la répartition des fibres musculaires : le régime H génère en effet un pourcentage plus important de fibres lentes au métabolisme oxydatif présupposant une teneur accrue en myoglobine qui a pour conséquence une viande plus rouge et moins tendre. Ces résultats obtenus sur les veaux s’accordent par ailleurs avec ceux précédemment obtenus sur la viande des bœufs Maraîchins pour lesquels la finition à base d’herbe impactait défavorablement les notes de tendretés initiale et globale (Farruggia et al., 2023).
 
Tableau 6 : Effet du régime sur les propriétés sensorielles de muscles des veaux d’élevage
 Performance Maraichine Tab6
Veaux du régime H (« Herbe ») (n = 15) ou du régime C (« Concentrés ») (n = 14),
notation sur une échelle continue bornée de 0 à 10 ; m : Moyenne,  : Ecart-type, p : p-value
 
II.4. Caractéristiques nutritionnelles des viandes des veaux d’élevages
 
II.4.1 Teneurs en lipides et composition en acides gras

Les teneurs en lipides totaux du muscle RA sont d’environ 1,3 g/100g de tissu (Tableau 7). Ce sont très logiquement des teneurs inférieures à celles rapportées dans la bibliographie pour des ruminants adultes (Farruggia et al., 2023) mais assez proches de celles rapportées pour la viande de veaux préruminants issus de croisement laitier Frison x Holstein (environ 1,7 g/100g ; Bauchart et al., 1999) ou de veaux rosés Blonds de Galice recevant du lait et du concentré (0,9 g/100 g, Moreno et al., 2007). Ces faibles teneurs en lipides peuvent s’expliquer par le fait que les veaux sont en croissance. En effet, les lipides ingérés sont préférentiellement oxydés pour produire de l’énergie plutôt que stockés dans les muscles (Bauchart et al., 1999).
Parmi les lipides, la proportion d’acides gras saturés (AGS) représente environ 40 % des AG totaux, soit des proportions proches de celles obtenues sur le muscle RA des bœufs Maraîchins (Farruggia et al., 2023), de veaux Salers (Serrano et al., 2005) ou de veaux Frison x Holstein (Bauchart et al., 1999). Cette famille d’AG est dominée par l’acide palmitique (C16:0) connu pour ses propriétés pro-athérogènes (Afssa, 2010). Toutefois, la proportion de C16:0 dans le RA des veaux Maraîchins est moins importante que chez les veaux Frison x Holstein (20 vs. 37,3 % des AG totaux, Bauchart et al., 1999).
La proportion d’acides gras polyinsaturés (AGPI), proche de 20 %, est largement plus élevée que chez les veaux Salers (12 à 14 % ; Serrano et al., 2005). Elle est inférieure à celle trouvée dans les muscles Semitendinosus et Longissimus lumborum de veaux Arouquesa PDO (Alfaia et al., 2007 ; Sosin-Bzducha et al., 2012). Toutefois la teneur élevée dans ces deux muscles s’explique par leur métabolisme plus glycolytique que le RA et leur très faible teneur en lipides (1g/100g), ces lipides étant essentiellement composés de phospholipides connus pour leur richesse en AGPI. La proportion d’AGPI chez les veaux est deux fois plus élevée que chez les bœufs Maraîchins (environ 10%, Farruggia et al., 2023). Cette différence s’explique probablement par le fait que les veaux n’ont pas encore un rumen complètement fonctionnel et ne désaturent pas complètement les AGPI qu’ils ingèrent.
Les deux principaux acides gras (AG) de la famille des AGPI sont l’acide linoléique (C18:2 n-6) et l’acide linolénique (C18:3 n-3). Ces deux AG sont essentiels pour l’homme qui ne peut pas les synthétiser, notamment le C18:3 n-3 déficitaire dans nos régimes alimentaires contrairement au C18:2n-6. Les proportions en ces deux AG dans le RA des veaux Maraîchins sont proches de celles décrites dans d’autres races de veaux (Bauchart et al., 1999 ; Steinshamn et al., 2010). Le muscle RA des veaux Maraîchins contient aussi des proportions non négligeables d’acides linoléiques conjugués (CLA). Ces AG, synthétisés essentiellement par les ruminants et donc apportés aux veaux par le lait de la mère, sont potentiellement bénéfiques pour l’homme en termes de prévention et/ou traitement de pathologies sévères. Ces proportions sont du même ordre de grandeur que celles rapportées par Domaradzki et al. (2017) sur différentes races de veaux. Enfin, le RA des veaux Maraîchins contient des proportions non négligeables d’AGPI à Longue Chaîne n-3, notamment le C20:5 n-3 (EPA) et le C22:6 n-3 (DHA) très bénéfiques pour la croissance et le maintien des fonctions cognitives. Les proportions de ces deux AG sont dix fois supérieures à celles obtenues sur le RA de bœufs Maraîchins (Farruggia et al., 2023). Cette différence est probablement directement corrélée à la plus grande proportion d’AGPI chez les veaux que chez les bœufs. En effet, à titre d’exemple, le RA des bœufs Maraîchins recevant le régime H contient 15,8 mg d’EPA alors que le RA des veaux H contient 28,9 mg d’EPA.
Les veaux du régime H ont une proportion de C16:0 plus faible au profit du C18:0 (connu pour être neutre pour la santé humaine) que les veaux du régime C. La proportion de C18:3 n-3 et de CLA est aussi augmentée chez les veaux du régime H, ce qui tend vers une amélioration de la qualité nutritionnelle du RA des veaux complémentés à l’herbe comme cela a été montré chez les bœufs Maraîchins (Farruggia et al., 2023).
 
Tableau 7 : Effet du régime sur la teneur en lipides et la composition en acides gras d’intérêt nutritionnel des viandes des veaux d’élevage
 Performance Maraichine Tab7
 
Teneurs en lipide totaux (g/100 g de tissu), proportion (en % des AG totaux) des acides gras saturés (AGS), de l’acide palmitique (C16:0), l’acide stéarique (C18:0), des acides gras monoinsaturés totaux (AGMI), de l’acide oléique (C18:1 n-9, des acides gras polyinsaturés totaux (AGPI), de l’acide linoléique (C18:2 n-6), de l’acide linolénique (C18:3 n-3, de l’acide eicosapentaénoïque (EPA), et de l’acide docosahexaénoïque (DHA) dans le muscle Rectus abdominis (bavette de flanchet) issu de veaux du régime H (« Herbe ») (n = 15) ou du régime C (« Concentrés ») (n = 14),. m : Moyenne,  : Ecart-type, p : p-value
 
L’amélioration de la valeur nutritionnelle des viandes issues de veaux du régime H est présentée dans le tableau 8 sous la forme de différents indices et rapports nutritionnels. Les indices d’athérogénécité (AI), de thrombogénécité (TI) sont deux indices représentatifs des risques d’athérosclérose et de thrombose dont la valeur ne doit pas excéder 1 pour AI et 1,1 pour TI (Ulbricht and Southgate, 1991). Dans le RA des veaux Maraîchins, quel que soit le régime, ces indices sont en deçà de ces valeurs critiques. Les rapports hypo/hypercholestérolémiant et C16:0/C18:0 sont significativement diminués avec le régime H montrant une amélioration de la qualité nutritionnelle du RA. Le rapport AGPI n-6/n-3 est considéré comme un indice nutritionnel de santé des aliments destinés à la consommation humaine et ne devrait pas dépasser une valeur de 4 dans le régime alimentaire humain afin de réduire le risque de maladies cardiovasculaires. Ici, ce rapport est inférieur à la valeur critique quel que soit le régime et est significativement diminué avec le régime H.
 
Tableau 8 : Effet du régime sur les indicateurs santé relatifs à la composition en lipides des viandes des veaux d’élevage
 Performance Maraichine Tab8
Indicateurs de la valeur santé des lipides évaluée par l’indice d’athérogénécité (AI), de thrombogénécité (TI), peroxydabilité (PI), le rapport des AG hypocholestérolémiants sur les acides gras hypercholestérolémients (Hypo/Hyper), le rapport des acides gras n-6 sur les acides gras n-3 (n-6/n-3) et le rapport de l’acide palmitique sur l’acide stéarique (C16/C18) dans le muscle Rectus abdominis (bavette de flanchet) issu du régime H (« Herbe ») (n = 15) ou du régime C (« Concentrés ») (n = 14).
m : Moyenne,  : Ecart-type, p : p-value
 
II.4.2 Teneurs en antioxydants

L’augmentation de la concentration en AGPI dans la viande bovine favorise les phénomènes de peroxydation lipidique. Lorsque l’intensité de la peroxydation des AG est modérée, celle-ci a un effet bénéfique sur la flaveur de la viande. Toutefois, lorsque son intensité augmente, elle devient une des causes majeures de la détérioration pendant le stockage sous forme réfrigérée ou congelée de la qualité des produits carnés crus ou cuits : altérations de couleur, diminution de la flaveur, apparition d’odeurs désagréables (rance). De plus, ces phénomènes peuvent affecter la valeur santé de la viande via la production de composés toxiques (peroxydes) potentiellement nuisibles à la santé du consommateur, leur rôle ayant été mis en évidence dans le développement du cancer colorectal (Surya et al., 2016). La présence d’antioxydants est donc indispensable pour contrer les phénomènes de peroxydation.
Dans notre étude, le régime H a entrainé, comme chez les bœufs de même race (Farruggia et al., 2023), un enrichissement très important en antioxydants endogènes, c’est-à-dire synthétisés par le veau, de type enzymatique, et exogènes, c’est-à-dire apportés par l’alimentation, de type vitaminique, avec une augmentation de la vitamine E (5,63 vs 2,15 µg/g de tissu), de la catalase (CAT) et du glutathion peroxydase (GPx) (Tableau 9). Ce double enrichissement (endogène et exogène) en antioxydants est assez rare dans les données traitant de viande de ruminant et devrait conférer à ce muscle une bien meilleure résistance à l’oxydation lors des processus technologiques de transformation (cuisson en particulier) et digestifs chez l’Homme.
 
Tableau 9 : Effet du régime sur les teneurs en antioxydants des viandes des veaux d’élevage
 Performance Maraichine Tab9

Teneurs en vitamine E (Vit E en µg/g tissu), vitamine A (Vit A en µg/g tissu), Superoxyde dismutase (SOD en U/min/mg de prot), catalase (CAT en µmole/min/mg de prot), glutathion peroxydase (GPx en µmol/min/mg prot) et en statut en antioxydant (SAO en µmol équivalent TEAC/g tissu) dans le muscle Rectus abdominis (bavette de flanchet) issu du régime H (« Herbe ») (n = 15) ou du régime C (« Concentrés ») (n = 14).
m : Moyenne,  : Ecart-type, p : p-value
 
II.4.3 Teneurs en vitamines B

Les vitamines B sont des nutriments essentiels au fonctionnement des cellules (croissance, métabolismes, régulations) des mammifères mais celles-ci ne sont généralement pas capables de les synthétiser, ou pas en quantité suffisante pour couvrir les besoins de l’organisme (Graulet, 2022). En raison de capacités de stockage corporel limitées, leurs besoins spécifiques devraient être couverts par des apports alimentaires réguliers. Les études épidémiologiques indiquent cependant que ce n’est pas le cas et que cela représente un facteur de risque au développement de maladies chroniques en particulier avec l’âge. Or, les produits carnés de ruminants représentent des sources d’apport intéressantes pour ces vitamines, a minima pour les vitamines B12 et B2 selon les données disponibles.
Dans notre étude, des concentrations significativement plus basses de vitamines B3 et B6 ont été observées avec le régime H : -11% pour le nicotinamide (vitamine B3 ou PP) et -14% pour le pyridoxal (forme majoritaire de vitamine B6) mais pas pour l’acide pantothénique (vitamine B5) ou la pyridoxamine (forme minoritaire de vitamine B6) (Tableau 10). La troisième forme de vitamine B6 (la pyridoxine) ainsi que la biotine (vitamine B8) étaient totalement absentes des échantillons analysés (limite de détection à 0,2 µg/g). Inversement, la teneur en vitamine B2 totale est 34% supérieure dans le muscle des veaux du régime H par rapport à ceux du régime C. Ces résultats sont originaux car il en existe peu dans la littérature sur les effets de l’alimentation sur les teneurs en vitamines B des viandes et notamment sur la vitamine B3. Pour la viande, seul un fort enrichissement en vitamines B2 (x2) et B1 (x3) a pu être observé chez des bœufs croisés Angus en finition au pâturage par rapport à ceux recevant du concentré (Duckett et al., 2009), tandis que l’inverse a pu être montré pour la vitamine B12 de manière non-systématique, selon le dispositif expérimental, l’espèce ou le muscle (Ortigues-Marty et al., 2005). Les niveaux de concentration en vitamine B2 observés dans le RA des veaux Maraîchins étaient notablement plus faibles que ceux observés dans le filet par Duckett et al., (2009) sur bœufs croisés Angus (entre 2,2 et 4,6 µg/g). Cet écart pourrait être imputable à des différences entre muscles, entre type animal ou entre races. Lombardi-Boccia et al., (2005) observent en effet des teneurs en vitamine B2 plus élevées dans le filet que dans les autres muscles analysés chez le bœuf ou que dans le filet chez le veau (races non communiquées par les auteurs). Les résultats restent incomplets dans le lait mais des concentrations supérieures de vitamines B6 et B12 ont déjà été observées lorsque les animaux reçoivent des rations riches en concentré tandis que les concentrations de vitamines B2 ou B9 sont plus élevées dans le lait de vaches ou de chèvres au pâturage (Graulet et Girard, 2016 ; Laurent et al., 2022). L’origine de ces différences selon le régime alimentaire peut être (1) métabolique (puisque ces vitamines sont impliquées dans toutes les voies métaboliques, énergétiques en particulier, des cellules), (2) liée aux différences de type de fibres observées, (3) alimentaire (apports de ces vitamines différents selon la ration) ou (4) digestive (une part importante de ces vitamines est issue des synthèses bactériennes dans le rumen). Or, toutes les espèces bactériennes ne sont pas dotées de la capacité de synthèse de ces vitamines B et la composition du microbiote est modifiée par la composition de la ration ce qui implique une disponibilité post-ruminale des vitamines B variable selon la ration à la fois en liaison avec les apports et avec les activités bactériennes ruminales. Il est à noter que les concentrations moyennes en vitamines B3, B5 et pyridoxal (B6) dans la viande de veau sont toujours supérieures à celles de la viande de bœufs Maraîchins (respectivement 59, 6,0 et 2,3 µg/g ; Graulet et al., données non publiées).

Tableau 10 : Effet du régime sur les teneurs en vitamines B des viandes des veaux d’élevage
Performance Maraichine Tab10
Teneurs en vitamines B (µg/g de tissu) : nicotinamide (NAM ; vitamine B3 ou PP), pyridoxal (PAL ; vitamine B6), pyridoxamine (PM ; vitamine B6), acide pantothénique (AP ; vitamine B5), et riboflavine (Ribo ; vitamine B2) dans le muscle Rectus abdominis (bavette de flanchet) issu de veaux du régime H (« Herbe ») (n = 15) ou du régime C (« Concentrés ») (n = 14). m : Moyenne,  : Ecart-type, p : p-value
 
CONCLUSION

Les résultats disponibles dans la littérature sur la viande de veaux et broutards sont peu nombreux et concernent des animaux complémentés, souvent plusieurs semaines après leur sevrage. La présente étude fournit des nouvelles connaissances sur les veaux rosés dont l’élevage est en phase avec l’évolution des demandes des consommateurs et de la société vis-à-vis du bien-être des animaux et d’une alimentation « naturelle » : des veaux élevés avec leur mère, alimentés au pis avec le lait maternel, complémentés avec de l’herbe ou des concentrés et pouvant se mouvoir librement au pâturage ou en stabulation. Elle répond aux questionnements initiaux des éleveuses et éleveurs vis-à-vis du régime alimentaire de leurs veaux. Nous avons montré que la complémentation à l’herbe pâturée en plus du lait donne des viandes de veau à typage de fibres musculaires comparable à celui des adultes de la même race. Cette alimentation entraine des écarts marqués de couleur et de teneur en fer, contrairement à ce que nous avons mis en évidence chez le bœuf Maraîchin. La teneur en fer reste cependant moitié moindre de celle de la viande des bœufs. Pour les veaux comme pour les bœufs, les viandes d’animaux du régime herbe ont été jugées moins tendres que celles des animaux du régime concentrés avec une plus grande présence de flaveur anormale et de résidus en bouche. Les éleveuses et éleveurs n’attribuent cependant pas forcément ce résultat à un caractère négatif vis-à-vis de l’herbe et préfèrent parler dans ce cas de « plus de mâche ». La viande de veau Maraîchin est apparue comme une viande maigre mais contenant un pourcentage élevé d’acide gras polyinsaturés. Le régime herbe n’a pas modifié la teneur en lipides de la viande mais a augmenté la proportion d’acides gras d’intérêt pour l’homme (C18:3 n-3, CLA) et diminué la proportion de C16 :0, délétère pour la santé. De plus, comme pour les bœufs de même race, les défenses antioxydantes exogènes (vitamines E et A) et endogènes (enzymes antioxydantes) ont été fortement augmentées avec le régime herbe. Ces résultats ne sont pas courants car classiquement, lorsque les apports par l’alimentation en vitamines sont importants, les défenses endogènes sont plutôt « mises en veille ». Cette étude a fourni également des données originales pour la recherche sur la santé humaine sur les teneurs en vitamines B et leur variation en fonction du régime alimentaire. La littérature est en effet tellement pauvre concernant l’évaluation des teneurs en vitamines B des produits animaux en général, de ruminants en particulier, et leurs facteurs de variation, que l’intérêt de ces aliments pour l’apport de l’ensemble de ces vitamines dans l’alimentation humaine est probablement sous-évalué.
Une partie de ces résultats sera diffusée au-delà de cette publication. Ils ont été en effet transmis aux éleveuses et éleveurs par le biais d’une brochure intitulée « La viande de vache Maraîchine, une viande de valeurs ». Ils feront l’objet de débats et discussions lors de manifestations organisées par l’association Maraîchine en présence des chercheurs.
 
Remerciements
Nous remercions les 8 éleveuses et éleveurs pour nous avoir permis de prélever des échantillons de viande sur leurs animaux ainsi que la Fondation de France qui a financé cette étude.
 
 

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