Comparaison entre quinze races bovines européennes de la qualité sensorielle (tendreté, jutosité, flaveur) de la viande (noix d’entrecôte) issue de taurillons.
INTRODUCTION
En raison d'une hétérogénéité importante entre régions et territoires et suite à la spécialisation fonctionnelle des bovins pour la production de lait ou de viande, une variabilité importante des races bovines existe en Europe. La production des carcasses qui résultent de ces races est tout aussi hétérogène : la conformation, l'état d'engraissement, le rendement en viande des carcasses sont très variables d'une race à l'autre.
Ces quelques exemples illustrent tout d'abord que les travaux menés jusqu'à présent n'ont étudié que rarement plus de 4 ou 5 races dans des conditions expérimentales similaires. De plus, les différences observées entre races sont faibles, voire inexistantes, et pas toujours cohérentes entre études en raison de conditions expérimentales souvent différentes. C'est pourquoi, le consortium européen GemQual a étudié l'influence de la race sur la qualité de la viande bovine à grande échelle dans des conditions d'élevage similaires. Ainsi, la qualité sensorielle de la viande issue de taurillons a été comparée entre 15 races européennes conduites en conditions d'élevage identiques.
En parallèle, le traitement statistique des données d'analyses sensorielles collectées durant les expérimentations rapportées dans la littérature est parfois différent. Dans la majorité de ces études (Pesonen et al., 2012, Ozluturk et al., 2004), les notes des jurés sont moyennées par animal. Cette note moyenne est la variable étudiée dans les modèles statistiques pouvant comporter un ou plusieurs facteurs fixes (race, ration, sexe, etc.) qui sont étudiés pour leur impact potentiel sur la qualité de la viande. Pourtant, dans d'autres études, le traitement de l'analyse sensorielle est réalisé via un modèle statistique comportant également des effets aléatoires notamment pour prendre en compte les variations de notation entre jurés. C'est par exemple le cas pour des études sur le yaourt (Saint-Eve et al., 2006), le fromage (Gierczynski et al., 2007) et le vin (Vidal et al., 2003). Cette méthode est parfois adoptée pour l'étude de la viande (Bures et al., 2018, Blanco et al., 2020) bien que ce ne soit pas le cas général (cf. références ci-dessus ; Nian et al., 2017, Huuskonen et al., 2016).
L'objectif de cet article est donc double. Il s'agit tout d'abord de comparer les deux traitements statistiques qui viennent d'être évoqués pour étudier si la prise en compte de l'effet juré permet (ou pas) de réduire la variabilité résiduelle et donc de détecter d'éventuelles différences entre races. Le second objectif vise à étudier l'effet de la race sur la qualité sensorielle de la viande afin de mettre en évidence les facteurs de variation de la qualité de la viande les plus influents.
I. MATERIELS & METHODES
1.1. Dispositif expérimental.
L'étude a porté sur 436 taurillons, issus de 15 races européennes, élevés dans des conditions aussi similaires que possible (Albertí et al., 2008) dans cinq stations expérimentales en France (races Limousine et Charolaise), au Royaume-Uni (races Jersey, South Devon, Hereford, Aberdeen Angus et Galloway), en Espagne (races Casina, Avileña -Negra Ibérica, Pirenaica et Asturiana de los Valles), en Italie (races Piemontese et Marchigiana) et au Danemark (races Holstein, Danish Red et Simmental).
Des animaux sans relation directe depuis deux générations ont été sélectionnés pour représenter la diversité génétique de chaque race. Toutes les procédures expérimentales ont été approuvées par les comités d'éthique respectifs de chaque centre de recherche, conformément à la directive européenne (U.S., 2010).
Les bovins ont été abattus lorsqu'ils avaient atteint 75% du poids moyen à maturité de leur race (15 ± 1,3 mois d'âge, avec une fourchette entre 398 et 511 jours, Alberti et al., 2008). Ils ont été abattus dans des abattoirs commerciaux ou expérimentaux en fonction des infrastructures disponibles dans les différents pays.
Les carcasses ont été divisées en deux parties, la queue se trouvant sur le côté droit de la carcasse, puis réfrigérées à 4±1°C pendant 24 h. Le muscle Longissimus thoracis (noix d’entrecôte) a été coupé 24h post-mortem entre les 6ème et 13ème côtes gauches et mis sous vide pour maturation à 2°C±1°C pendant 10 jours post-mortem, avant d’être congelé à -18°C pour conservation jusqu'aux analyses (Christensen et al., 2011).
1.2. Analyse sensorielle.
L'évaluation sensorielle a été réalisée comme décrit par MacKintosh et al. (2017). En bref, les muscles ont été découpés en steaks de 2 cm d'épaisseur puis grillés (sur un grill double face) jusqu'à atteindre une température à cœur de 74°C.
Deux panels composés de 10 dégustateurs formés, l'un au Royaume-Uni et l'autre en Espagne, ont évalué la qualité de la viande à l'aide de 4 descripteurs sensoriels : la tendreté, la jutosité, la flaveur de bœuf et l'arrière-goût, sur une échelle de 8 points, 1 signifiant le descripteur le moins intense et 8 le descripteur le plus intense, comme décrit par Wood et al. (1995). Chaque échantillon de viande provenant de 29 à 31 animaux par race a été évalué par l’un des deux panels, dans des sessions de 12 échantillons chacune, en groupes de 4 échantillons, avec un ordre aléatoire entre les panélistes pour éviter les effets de premier ordre et de report. Les évaluations ont eu lieu dans une salle de panel spécialement conçue à cet effet et éclairée par une lumière rouge. Chaque cabine contenait un écran d'ordinateur et une souris optique faisant partie du système sensoriel informatisé (Fizz, version 2.20 h, Biosystemes, Couternon, France), pour la saisie directe des réponses sensorielles. Les évaluateurs ont goûté les échantillons dans un ordre basé sur les plans décrits par MacFie et al. (1989), pour équilibrer les effets de transfert entre les échantillons.
Au sein de l’ensemble des échantillons analysés, 40 animaux issus de 7 races différentes ont été utilisés pour la formation et le calibrage des panels, via une double dégustation (par chacun des 2 panels) Cet échantillon a été utilisé pour comparer le panel espagnol et le panel britannique afin de définir les valeurs de calibrage pour chaque attribut sensoriel. La formation a consisté en 5 sessions de 8 échantillons chacune, avec discussion, pour parvenir à un accord commun entre les panélistes. Une forte relation a été trouvée entre les scores, malgré des valeurs absolues différentes. Les résultats des animaux testés en commun par les deux panels ont donc été utilisés pour calculer un facteur de correction entre les deux panels.
1.3. Analyse rhéologique
Les valeurs de la force de cisaillement de Warner-Bratzler et de la force de compression (Instron 3365) mesurées sur de la viande crue et cuite obtenues pour des échantillons provenant des mêmes animaux (Christensen et al., 2011) ont été utilisées dans les analyses statistiques. Pour ces mesures, les échantillons congelés ont été décongelés pendant la nuit et équilibrés à température ambiante (25°C) avant l'analyse de la texture. Pour la force de cisaillement Warner-Bratzler, les tranches ont été cuites dans un bain-marie à 80°C jusqu'à ce que la température interne atteigne 75°C. L'échantillon a ensuite été refroidi pendant 45 minutes dans de l'eau courante puis stocké à 4°C jusqu'à l'analyse. Les mesures sur les échantillons crus et cuits ont été effectuées sur 10 blocs (2 cm de longueur et 1 cm par 1 cm de section transversale) coupés perpendiculairement à la direction des fibres. Pour le test de compression à 80%, les échantillons (1 cm² de section transversale), ont été coupés parallèlement à l'axe longitudinal des fibres musculaires, et ont été analysés à l'aide d'un dispositif de compression modifié qui évite l'allongement transversal de l'échantillon. Les données de force de cisaillement et de compression à 80% sont décrites dans Christensen et al. (2011).
1.4. Traitement statistique
Le traitement statistique des données de l'analyse sensorielle a fait ici l'objet d'une attention particulière. La prise en compte d'un effet aléatoire supplémentaire pour modéliser les écarts de notation entre les jurés a été comparée à l'analyse de variance classique qui analyse les notes moyennes de chaque animal.
Pour comparer les deux traitements statistiques, seules les données du panel espagnol ont été utilisées permettant de confronter les deux approches de modélisation en l'absence de l'effet panel qu’il n'est pas courant d'observer dans les dispositifs classiques.
Le premier modèle d'analyse de variance à effets mixtes (EM) modélise donc l'intégralité des effets (1) à l'exception de l'effet panel. Dans ce modèle, l'effet race est considéré fixe car c'est le facteur d'intérêt de l'expérimentation. A l'inverse, l'effet animal et l'effet juré, résultant d'un processus d'échantillonnage, ont été considérés aléatoires.
L'effet aléatoire juré, qui est croisé, se distingue toutefois de l'effet aléatoire animal, qui est hiérarchique. En effet, chaque juré a dégusté des échantillons de plusieurs races (i) testées alors qu'un animal k ne peut appartenir qu'à une seule race i.
Pour estimer les paramètres des effets, la fonction lmer du package lmerTest version 3.1-0 a été utilisée avec le critère d'optimisation REML (Kuznetsova et al., 2017) avec le logiciel R version 3.6.1.
Le second modèle d'analyse de variance ne comporte que des effets fixes (EF) et est celui le plus classiquement utilisé dans la littérature pour traiter les données d'analyse sensorielle en qualité de la viande.
La p-value testant l'hypothèse de nullité (H0) de l'effet race a permis de comparer les deux modèles. La comparaison des races deux à deux a ensuite été testée via le test post-hoc de Tukey lorsque l'hypothèse de nullité précédente était rejetée. La fonction lsmean du package emmeans (Lenth, 2020) a été utilisée pour procéder à ce test, et une synthèse des différences significatives a été réalisée. Le seuil de 5% a été choisi pour rejeter l'hypothèse H0.
Sur la base de la comparaison précédente des modèles, l'effet race a été analysé, soit en incluant un effet aléatoire juré (EM) si les différences entre les deux modèles étaient importantes, soit en se basant sur les notes moyennes (EF) si pas ou peu de différences étaient observées entre les deux modèles. Ce deuxième choix permet notamment de rester cohérent avec la littérature et donc d'autoriser la comparaison des résultats avec des analyses similaires. Dans cette seconde analyse, l'effet panel (pays) a été pris en compte. Cet effet n'étant composé que de deux modalités, il n'était pas adapté de le modéliser comme un effet aléatoire car l'estimation de sa variance avec seulement deux observations n'aurait pas été pertinente. Cet effet a donc été considéré fixe bien qu'il eut pu être considéré aléatoire si le nombre de panels formés avait été plus important.
Enfin, une analyse multivariée de l'ensemble des descripteurs a été conduite pour identifier les similitudes et les différences entre les races. Les données moyennées (lsmean) centrées et réduites ont ainsi été analysées via une classification ascendante hiérarchique (CAH).
Une Analyse en Composantes Principales (ACP) a ensuite été réalisée afin d'étudier les corrélations entre les descripteurs étudiés dans cet article et les valeurs moyennes de force de cisaillement et de compression mesurées sur les viandes crue et cuite précédemment obtenues à partir des mêmes échantillons (Christensen et al., 2011).
2.1. Comparaison des modèles statistiques.
Les 4 descripteurs utilisés pour étudier la qualité sensorielle de la viande permettent tous de discriminer au moins une race des autres, indépendamment du modèle statistique utilisé (Tableau 1). La tendreté est le descripteur les plus discriminant pour distinguer les races les unes des autres dans la mesure où la p-value pour la tendreté est la plus faible.
Par ailleurs, la prise en compte de l'effet juré ne permet pas de mieux discriminer les races au vu des p-values équivalentes observées d’un modèle à l’autre.
Tableau 1 : P-value résultante du test de l’hypothèse H0 d’égalité des moyennes des notes sensorielles entre les deux pays (Royaume-Uni, Espagne)
De même, les comparaisons deux-à-deux des races conduisent globalement aux mêmes conclusions pour les deux modèles statistiques utilisés. Seul le degré de significativité de la différence entre deux races change d'un modèle à l'autre (Tableau 2). En effet, la race Simmental se distingue significativement de la race Pirenaica sur les descripteurs de tendreté et de jutosité avec le modèle incluant un effet aléatoire juré (Anova à Effets Mixtes) (p-value respectivement de 0,049 et de 0,047 contre 0,065 et 0,058 pour le modèle sans effet juré). A l'inverse, seul le modèle traitant les données moyennées (Anova à Effets Fixes) permet de discriminer ces deux races sur le critère de l'appréciation globale (0,051 pour le modèle Anova à Effets Mixtes contre 0,045 pour le modèle Anova à Effets Fixes).
Tableau 2 : P-value du test de Tukey comparant les races Pirenaica et Simmental (NS : effet non significatif)
Le modèle basé sur les scores moyens (FE) étant largement utilisé et ne biaisant pas l'analyse des données sur la qualité sensorielle de la viande, il a été utilisé pour évaluer l'effet de la race sur la qualité sensorielle de la viande dans les analyses suivantes. L'âge de l'animal (qui variait entre 398 et 511 jours) a eu un effet significatif sur la flaveur de bœuf (valeur p=0,019) mais n'était pas significatif pour les autres descripteurs. L'âge a donc été exclu dans l'analyse ANOVA (Tableau 3).
Le premier test (Tableau 2) a été effectué sur les scores sensoriels du panel espagnol uniquement, alors que les analyses ultérieures rapportées dans le Tableau 3 ont utilisé tous les animaux. A part les races anglaises, pour lesquelles l'analyse sensorielle n'a été faite qu'au Royaume-Uni, les autres races ont été testées à la fois au Royaume-Uni et en Espagne, ce qui génère une variabilité plus importante et ainsi explique les différences obtenues entre les deux tests.
2.2. Effet de la race sur la qualité sensorielle de la viande bovine
Le profil sensoriel de la viande des 15 races étudiées met en évidence cinq associations principales obtenues par la méthode de classification ascendante hiérarchique (Figure 1). L'analyse en composantes principales (ACP) (Figure 2) inclut également des données issues d’analyses rhéologiques préalablement obtenues sur les mêmes échantillons (données non présentées car précédemment publiées par Christensen et al., 2011). Ceci permet d'observer distinctement le positionnement sensoriel de ces 5 associations : 83% de l'information des 8 descripteurs utilisés pour discriminer les niveaux de qualités sensorielles de ces races sont résumés sur le premier plan.
Figure 1 : Dendogramme illustrant la classification ascendante hiérarchique des races, sur la base des données moyennes (lsmean) d’analyses sensorielles présentées dans le Tableau 3 centrées et réduites.
Les races Aberdeen Angus, Highland et Jersey font partie du premier groupe (Figure 1). Ces races se caractérisent par une intensité élevée de la flaveur et de la jutosité du bœuf (Tableau 3). Les races du deuxième groupe comprennent une race à double finalité et deux races rustiques (Simmental, Casina et Marchigiana) qui présentent des viandes plus dures et plus sèches. Les races laitières, Holstein et Danish Red, forment le groupe 3, et sont caractérisées par des notes intermédiaires de jutosité et de tendreté (Figure 2). Les races à double musculature, Asturiana de los Valles et Piemontese et les races bovines à croissance rapide Pirenaica et Avileña Negra Ibérica, en groupe 4, sont caractérisées par une viande tendre et juteuse. Les races bovines françaises hautement spécialisées (groupe 5), Limousine et Charolaise, ont des scores sensoriels similaires et l'intensité de la flaveur de bœuf la plus faible (Tableau 3).
Tableau 3 : Comparaison des races (LSMEAN ± écart-type) pour chaque descripteur de la qualité sensorielle de la viande
Pour un descripteur donné (et donc dans une même colonne), deux races sont significativement différentes l'une de l'autre si aucune des lettres en exposant n'est identique. Les scores vont de la plus faible (1) à la plus forte (8) intensité.
L'analyse en composantes principales (ACP) qui prenait également en compte les valeurs moyennes précédemment publiées de la force de cisaillement et de la force de compression mesurées sur les viandes crue et cuite (Christensen et al., 2011) a montré trois groupes distincts (Figure 2) correspondant aux cinq associations discriminantes sur les deux premières dimensions, qui expliquent 84% de la variation. Les groupes qui étaient les plus proches dans le clustering agglomératif hiérarchique (groupes 3, 4 et 5) sont également regroupés dans l'ACP. Les races qui produisent la viande la plus juteuse et la plus tendre (scores > 4,8), notamment Asturiana de los Valles, Avileña Negra Ibérica et South Devon, sont regroupées dans le quart supérieur droit de l'ACP. Les races produisant de la viande de bœuf présentant à la fois une flaveur intense (> 4,8) et une flaveur anormale (> 3,3), Jersey, Aberdeen Angus et Highland (groupe 1), sont regroupées dans le quart inférieur droit (Figure 2), tandis que les races présentant les notes de tendreté les plus faibles, Casina, Marchigiana, Simmental (groupe 2) sont regroupées dans le quart inférieur gauche.
D'après l'analyse en composantes principales, une corrélation significative a été trouvée entre la tendreté et la jutosité (r=0,63, valeur p=0,01) (Figure 3). La corrélation négative observée entre les valeurs de compression et la tendreté n'était pas significative (r=-0,21, p-value=0,44), tout comme la corrélation entre la force de cisaillement brute et la tendreté (r=-0,33, p-value=0,22). Cependant, la corrélation négative observée entre la note de tendreté et la force de cisaillement pour la viande cuite était significative (r=-0,60, p-value=0,02), ce qui peut venir de l’effet de la cuisson, la force ayant été évaluée sur viande crue tandis que la tendreté a été évaluée sur viande cuite. Une corrélation positive entre la flaveur de bœuf et l'arrière-goût a également été observée (r=0,60, valeur p=0,02), ce qui signifie que les races ayant la plus forte intensité de flaveur de bœuf avaient également l'arrière-goût le plus élevé, ce qui peut être dû au fait que les panels sensoriels évaluent ces deux descripteurs de manière similaire.
Figure 2 : Cartographie des races sur la base des descripteurs d’analyse sensorielle (Tableau 3)
et de mesures rhéologiques (forces de compression et de cisaillement).
Figure 3 : Cercle de corrélation des descripteurs de l’analyse sensorielle (Tableau 3) en combinaison avec les données rhéologiques précédemment publiées (Christensen et al., 2011).
Les faibles différences de notes sensorielles entre les races peuvent être dues à la variabilité élevée entre animaux d’une même race et à la forte variabilité associée à l'évaluation des caractéristiques sensorielles par rapport aux mesures ou aux données instrumentales collectées sur l'animal, la carcasse, le muscle et la viande. Les résultats des panels sensoriels sont connus en effet pour être assez variables (Gagaoua et al., 2016a), ce qui rend difficile la standardisation et la précision de ces mesures, prérequis pour étudier leurs facteurs de variation (Hocquette et al., 2012).
Dans cette étude, nous avons comparé deux modèles statistiques pour évaluer la variabilité technique associée aux différences de protocole expérimental. Cette comparaison a montré que la prise en compte du panéliste comme facteur n'améliore pas significativement la robustesse du modèle statistique, et ne permet pas de détecter des différences supplémentaires entre les races par rapport au modèle sans panéliste comme facteur de variation.
La contribution des caractéristiques de l'animal, de la carcasse et du muscle pour expliquer la variabilité des notes sensorielles est connue pour être faible ou modérée, comme cela a été observé pour les caractéristiques de la carcasse (Judge et al., 2021), les notes de la grille EUROP (Bonny et al., 2016), le persillé (Liu et al., 2020), les caractéristiques biochimiques du muscle (Gagaoua et al., 2016b) ou les mesures mécaniques (Destefanis et al., 2008).
Ces travaux ont montré que les races à croissance rapide comme la Pirenaica (Campo et al., 1999) ainsi que les races à fort développement musculaire produisent la viande bovine la plus tendre. Cela peut être expliqué par des proportions de collagène total et insoluble plus faibles lorsque la masse musculaire est élevée, ce qui contribue à la moindre dureté de la viande bovine des animaux à fort développement musculaire (Purslow, 2005). Une teneur en collagène plus élevée par g de tissu a été observée dans le muscle Longissimus thoracis de bouvillons Angus par rapport à des bouvillons Limousin (Chambaz et al., 2003) et dans les bovins Limousin par rapport à des bovins Bleu Belge culards (Raes et al., 2003) abattus à même âge. D'autres différences de notes sensorielles entre les races peuvent s'expliquer par des différences de teneur en lipides intramusculaires. La teneur élevée en lipides intramusculaires des races Aberdeen Angus, Highland et Jersey pourrait expliquer au moins en partie la flaveur élevée, tandis que la faible teneur en lipides intramusculaires de la race Limousine pourrait induire une flaveur de bœuf moins intense (Gagaoua et al., 2016b). Les différences de teneur en lipides, en collagène intramusculaire et aussi de type de fibres sont supposées expliquer les écarts de qualité sensorielle de la viande bovine, mais les résultats divergent concernant l’effet du type de muscle, du type d’animal ou de la race (Chriki et al., 2012, Chriki et al., 2013). On peut également ajouter que la complexité et le caractère multifactoriel de la perception sensorielle pourraient également expliquer ces relations parfois contradictoires avec les données physicochimiques car les critères organoleptiques évalués sont interdépendants (tels que la jutosité et la tendreté).
La tendreté de la viande de Simmental a été rapportée comme étant plus faible que celle d'autres races (Shackelford et al., 1994 ; Chambaz et al., 2003 ; Zwambag et al., 2013, Xie et al., 2012), ce qui est en accord avec nos résultats. De manière intéressante, Chambaz et al. (2003) ont rapporté que la race Simmental produisait une viande moins tendre que les races Angus et Limousin au même niveau de teneur en gras intramusculaire. La viande de la race Angus a été signalée comme étant plus tendre, plus juteuse et plus savoureuse que celle de la race Holstein (Bures et Barton, 2018), ce qui est également en accord avec nos résultats.
La comparaison des races est difficile car peu d'informations sont disponibles. La collecte d'informations fiables est difficile car les animaux sont élevés de différentes manières. En effet, les systèmes d’élevage diffèrent selon les races et dépendent aussi des ressources locales et des pratiques des différentes régions. Les races originaires de régions spécifiques avec des aliments, des ressources et des conditions d’élevage particulières, se retrouvent aujourd'hui disséminées au niveau international. De nombreuses études ont comparé différents types de bovins et de pratiques, confondant les races, les sexes et les systèmes d’élevage (Gagaoua et al., 2016b) plutôt que de comparer strictement les races toutes choses égales par ailleurs. Afin de réaliser une comparaison en minimisant les biais entre un grand nombre de races, le projet GemQual a établi des protocoles aussi standardisés que possible avec des animaux jeunes (taurillons uniquement). Néanmoins, certains biais sont susceptibles d’être encore présents. Outre les différences de système d’élevages et de races, il est nécessaire de recruter et former les panélistes puis entretenir leurs compétences de sorte qu’ils donnent des résultats cohérents. Il a été démontré que certains descripteurs ont une corrélation modérée entre panels d’experts, par exemple pour la tendreté r=0,67, la jutosité r=-0,14, la flaveur r=0,10, et la flaveur anormale r=0,20. En effet, une corrélation élevée nécessiterait de se baser sur un dictionnaire des descripteurs et des protocoles d’évaluation desdits descripteurs identiques entre équipes de scientifiques, ce qui est difficilement réalisable.
Des méta-analyses de plusieurs études sont également possibles, bien que cela nécessite de tenir compte de la diversité des protocoles dans l'analyse. Ce type d’analyse pourrait cependant constituer une bonne solution pour aborder un sujet aussi vaste et complexe que la caractérisation d’une ou plusieurs races. Un travail récent a montré que la standardisation des échelles de notation, bien que nécessaire, ne résout pas tous les problèmes et qu'un effet aléatoire associé à l'expérience est nécessaire dans le modèle d'analyse (Judge et al., 2021). D'autres sources de variabilité telles que la durée de maturation de la viande, le degré de maturité et le sexe de l'animal rendent difficile la détermination de la contribution de la race aux différences de qualité sensorielle. L'allongement de la durée de maturation réduit les différences de tendreté de la viande entre les races, mais également probablement celles de flaveur et de jutosité. Il a été démontré qu'après une maturation de 21 jours, les différences entre les races ne peuvent pas être détectées (Campo et al., 1999). Dans l'étude GemQual, la viande a été maturée pendant 10 jours, durée pour laquelle les effets de la race sur la qualité sensorielle de la viande bovine auraient encore pu être observés.
Ce travail a tout d'abord permis de comparer deux méthodologies de traitement statistique des données issues des analyses sensorielles (une analyse de variance classique vs une analyse avec prise en compte de l’effet aléatoire lié aux jurés). La très forte similitude des résultats obtenus avec les deux approches permet de conclure que l'une et l'autre semblent satisfaisantes.
Cinq groupes de races ont émergé parmi les 15 races étudiées sur un total de 436 taurillons abattus entre 13 et 17 mois d’âge, à 75% du poids moyen adulte. Les races allaitantes à forte teneur de gras intramusculaire (Aberdeen Angus, Highland et Jersey) se distinguent par une flaveur et une jutosité en bouche supérieures. Les races Simmental, Casina et Marchigiana semblent être les viandes avec les notes les plus faibles pour plusieurs descripteurs parmi les 15 races étudies. Les profils des Limousins et des Charolais semblent assez proches. La Pirenaica est la race qui obtient le meilleur score de tendreté en moyenne même si ce score n'est pas significativement différent de celui des races du second groupe. Les races Asturiana de los Valles et Piemontaise se caractérisent par une flaveur anormale plus intense telle que perçue par les panélistes.
Les résultats de ce travail réalisé avec un grand nombre de races sont cependant à nuancer. En effet, de nombreux facteurs interagissent avec la race de sorte que ces résultats ne seront peut-être pas extrapolables à d'autres types d'animaux (vaches, génisses, bœuf) ou d'autres muscles maturés dans des conditions différentes. De plus, seules des races pures ont été étudiées dans cette expérimentation, il n'est donc pas possible d’en tirer des enseignements concernant la qualité sensorielle de croisements entre races.
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