Evaluation de l’impact de la baisse de consommation chez les enfants et adolescents.
I. INTRODUCTION
La dernière enquête du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) montre que la consommation de produits carnés diminue chez les enfants et les adolescents (www.credoc.fr/publications). La sensibilité exacerbée des jeunes vis-à-vis de la souffrance animale, savamment médiatisée par quelques groupes animalistes, et les messages incessants autour de la responsabilité discutable de l’élevage dans le réchauffement climatique en sont les principales causes. Les propos alarmistes suggérant une toxicité de la consommation pluriquotidienne de viande, parfois mus par des motivations autres que scientifiques (Rubin, 2020), viennent parachever l’inquiétude des jeunes et de leurs parents. Le but de cet article est de déterminer si ce comportement a des conséquences sur la santé des enfants et des adolescents et d’analyser le bienfondé des risques potentiels d’une consommation considérée comme exagérée de produits carnés à cette période de la vie.
1.1. Principalement le fer
Tableau I. Contenu en fer de différents produits carnés cuits.
Précisons cependant que dans la viande crue, 50 à 80% du fer total est sous forme héminique, avec des variabilités selon les espèces (70 à 80% du fer dans le bœuf, 60% du fer dans le veau et la viande chevaline, 50% du fer dans l’agneau). Lors de la cuisson de la viande, une part du fer héminique est expulsée par les jus et une autre partie se dégrade en cas de cuisson longue. Mais les teneurs en fer héminique restent toujours suffisamment significatives (https://www.interbev.fr/wp-content/uploads/2018/07/Cahier-Cuisson-2015-VF.pdf). Les autres aliments (végétaux, lait, œufs) apportent du fer non héminique.
L’absorption intestinale du fer héminique ne requiert pas de processus biochimiques limitant. Sa biodisponibilité est ainsi de 20 à 30%, elle est de surcroît peu influencée par les autres aliments, le pH ou les sécrétions digestives (Collings et al., 2013). Le fer non-héminique se présente sous forme de fer ferrique (Fe3+), et, pour être absorbé, Fe3+ doit être chélaté par (lié à) des acides aminés ou des sucres, ou être converti en fer ferreux (Fe2+). Ces facteurs limitant conduisent à une absorption intestinale de seulement 2 à 5% (Collings et al., 2013). De surcroît, sa biodisponibilité est influencée par certains facteurs diététiques. L’acide ascorbique et le tissu musculaire (donc les produits carnés) stimulent son absorption en favorisant la réduction de Fe3+ en Fe2+ ou en chélatant le fer non-héminique (Hurrel et al., 2010). Les phytates (céréales complètes, légumes) et les polyphénols (thé, café, légumes, notamment épinards, aubergines et haricots noirs) se lient au fer non héminique et limitent son absorption (Hurrel et al., 2010).
Dans la mesure où la biodisponibilité du fer héminique est 7 à 8 fois supérieure à celle du fer non héminique, les produits carnés représentent la seule source raisonnable de fer chez l’enfant et l’adolescent. En effet, les quantités de végétaux à ingérer pour absorber suffisamment de fer seraient bien trop importantes pour être accessibles en pratique, surtout à cet âge (Tableau II).
Tableau II. Equivalences alimentaires en termes de fer absorbé. Toutes les valeurs sont données pour l’aliment cuit.
1.2. Autres nutriments
L’intérêt nutritionnel des produits carnés est souvent indûment concentré sur les protéines. En effet, s’ils sont effectivement riches en protéines (environ 20%) avec un apport équilibré en acides aminés essentiels, c’est aussi le cas des autres produits d’origine animale, dont en premier lieu les produits laitiers. Il est même tout à fait possible de ne pas être carencé en protéines sans consommer de produits d’origine animale, à condition d’assurer correctement les apports en acides aminés essentiels. Il suffit pour cela de consommer concomitamment des céréales et des légumineuses, leurs carences respectives en lysine et en méthionine étant mutuellement compensées grâce à l’association de ces deux groupes d’aliments. D’ailleurs, les adolescents végétaliens ne sont pas carencés en protéines (Larsson et al., 2002).
Les produits carnés constituent également une source de zinc, sélénium, vitamines B1, B3, B6 et B12, mais ces nutriments peuvent aussi être trouvés dans beaucoup d'autres aliments d’origine animale ou végétale, excepté la vitamine B12 exclusivement d’origine animale. De plus, leurs carences d'origine alimentaire sont tout à fait exceptionnelles.
2. Quelle quantité de produits carnés doit-on recommander aux enfants et adolescents ?
2.1. Apports recommandés en fer
Le groupe de travail sur le fer de la Société Française de Pédiatrie (Tounian et al., 2017) a défini pour chaque tranche d'âge les apports recommandés en fer ingéré et les besoins recommandés en fer absorbé (Tableau III). Ces derniers ont été calculés en ajoutant 2 écarts-types aux besoins moyens en fer absorbé, eux-mêmes déterminés en additionnant l’estimation des pertes de fer et celle des besoins pour la croissance selon l’âge et le sexe.
Tableau III. Apports recommandés en fer chez l'enfant et l'adolescent.
L’originalité de ces recommandations repose sur la distinction entre fer ingéré et absorbé. En effet, toutes les recommandations institutionnelles se limitent aux apports recommandés en fer ingéré, sans tenir compte de la différence considérable entre les biodisponibilités respectives des fers héminique et non héminique. Certains enfants peuvent ainsi assurer leurs apports recommandés en fer ingéré mais ne pas absorber suffisamment de fer pour couvrir leurs besoins. Par exemple, les adolescents végétaliens ingèrent autant de fer que leurs congénères omnivores (Larsson et al., 2002), mais, comme ils en absorbent moins, ils sont plus fréquemment carencés en fer (Desmond et al., 2021). De sorte que le statut martial évalué par des marqueurs biologiques, ici la ferritinémie, est beaucoup plus pertinent que le niveau des apports en fer.
2.2. Apports recommandés en produits carnés
Pour couvrir leurs besoins en fer, le groupe de travail de la Société Française de Pédiatrie recommande aux enfants et aux adolescents de consommer 2 produits carnés par jour (Tounian et al., 2017). Il a semblé plus simple de définir ces apports recommandés en portions quotidiennes plutôt qu’en quantités ingérées. Si ces dernières avaient été choisies, elles auraient été de 125 g entre 1 et 6 ans, 200 g de 7 à 11 ans, 325 g chez les adolescents et 430 g chez les adolescentes.
Ces quantités peuvent apparaitre considérables au premier abord, mais rappelons que les besoins recommandés correspondent aux besoins moyens d'une population donnée auxquels sont ajoutés 2 écarts-types afin de couvrir les besoins de 97,5% de cette population. Les besoins se répartissent ainsi selon une courbe de Gauss. Les adolescentes qui se trouvent à l'extrême droite de cette courbe sont celles qui doivent ingérer 430 g/j de produits carnés pour couvrir leurs besoins en fer. De tels apports étant très difficiles à assurer, ces adolescentes sont très souvent carencées en fer, même lorsqu’elles consomment 2 produits carnés par jour. En revanche, les besoins médians en fer absorbé des adolescentes (qui correspondent à 50% de la population) ne sont que de 1,2 mg/j (Tounian et al., 2017), assurés par 215 g de produits carnés et donc facilement accessibles par la consommation de 2 produits carnés quotidiens.
On notera enfin qu’en choisissant les produits les plus riches en fer (comme le boudin noir, le foie ou la viande de bœuf), les quantités à ingérer peuvent être réduites tout en assurant des apports corrects en fer absorbé (Tableau II).
3. Quelle est la prévalence de la carence martiale en pédiatrie ?
La carence martiale (ou carence en fer) est la plus fréquente des maladies nutritionnelles pédiatriques de la planète. En effet, en Europe, un tiers environ des adolescent(e)s sont carencés en fer et plus de la moitié des enfants vivant dans des pays en voie de développement sont en déplétion martiale (Dupont, 2017).
Les conséquences de la carence martiale sont importantes. L’anémie microcytaire est la plus connue, elle entraîne de nombreuses complications : fatigue, difficultés scolaires, réduction de la capacité physique. La carence en fer provoque également une susceptibilité accrue aux infections (de Pontual, 2017). Les conséquences neuro-psychiques sont moins connues et pourtant potentiellement graves car parfois irréversibles dans la mesure où le développement et le fonctionnement cérébral ont besoin de fer (Vallée, 2017). La carence martiale diminue les performances cognitives, dans certains cas de manière définitive (Vallée, 2017 ; Larsen et al., 2020), et est responsable de troubles psychiatriques (syndrome dépressif, troubles anxieux, troubles de l’attention avec hyperactivité, tics, troubles du spectre autistique) qui peuvent régresser après supplémentation en fer (Chen et al., 2013).
4. Doit-on limiter la consommation de produits carnés chez l’enfant et l’adolescent ?
4.1. Consommation excessive de viande et cancer
Certaines études observationnelles ont mis en évidence une corrélation statistique entre la consommation de viandes rouges et transformées chez l’adulte et un risque accru de cancers, principalement coliques (Norat et al., 2005). Ces travaux ont été repris par des organisations institutionnelles qui ont recommandé de limiter la consommation de viandes, y compris chez l’enfant et l’adolescent (Haut Conseil de Santé Publique, 2020). Ces données méritent d’être discutées.
Tout d’abord, d’autres études méthodologiquement solides ne retrouvent pas le même niveau de lien statistique entre consommation excessive de produits carnés et cancer (Vernooij et al., 2019 ; Han et al., 2019). Cette inhomogénéité des résultats est probablement expliquée par certains facteurs confondants. En effet, les gros mangeurs de viandes, notamment rouges et transformées, cumulent souvent des facteurs de risque bien établis de cancer du côlon (https://vizhub.healthdata.org/gbd-compare/) : alcool, embonpoint, sédentarité, tabac qui, malgré les ajustements statistiques opérés, ne peuvent pas être parfaitement extraits des analyses et expliquent ainsi probablement les résultats divergents observés.
Le lien statistique entre consommation excessive de viandes et cancers est donc discutable chez l’adulte, mais il l'est encore davantage chez l’enfant et l’adolescent. En effet, les rares travaux réalisés ne montrent pas de corrélation indépendante des nombreux facteurs confondants (dont surtout les autres facteurs de risque à l'âge adulte) entre la consommation de viandes durant l’adolescence et un risque accru de cancer colique à l’âge adulte (Nimptsch et al., 2013). Un autre travail montre de surcroît que cette corrélation est observée principalement avec la persistance d’une consommation excessive de produits carnés à l’âge adulte, indépendamment de celle durant l’adolescence (Ruder et al., 2011). La limitation des produits carnés durant l’enfance et l’adolescence est donc scientifiquement hautement contestable, sinon totalement injustifiée.
4.2. Consommation excessive de viande et atteinte rénale
Les lésions rénales que pourrait provoquer l'apport excessif de produits carnés, et donc de protéines, durant l'enfance et l'adolescence est une idée assez répandue. En fait, ce postulat n'est soutenu par aucune étude. Un travail ayant comparé l’évolution de la fonction rénale entre 2 groupes d’enfants insuffisants rénaux, l’un ayant des apports protéiques élevés (175% des apports recommandés) et l’autre bas (95% des apports recommandés), n’a montré aucune différence significative dans la dégradation de la fonction rénale sur une période de 2 ans (Sahpazova et al., 2006). Même si ce travail n’apporte pas de réponse précise sur le risque d’atteinte rénale lié à un apport excessif de produits carnés, il est particulièrement rassurant.
En médecine, les recommandations doivent s’appuyer sur la balance bénéfices-risques. Les bénéfices liés à la consommation de 2 portions quotidiennes de produits carnés par les enfants et les adolescents pour couvrir leurs besoins en fer ont été étayés par la Société Française de Pédiatrie (Tounian et al., 2017). Les risques allégués liés à une consommation jugée excessive de viande sont hypothétiques, voire injustifiés. Il est donc urgent d'inverser la tendance qu’ont les jeunes depuis quelques années à réduire leur consommation carnée, afin de lutter contre ce problème majeur de santé publique que représente la carence martiale. On ne peut que regretter la limitation de la consommation carnée indûment prônée par certaines recommandations institutionnelles (Haut Conseil de Santé Publique, 2020) ou la dramatique portée symbolique et éducationnelle des repas végétariens imposés dans les cantines scolaires.
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