Le pilotage efficace de l'hygiène des viandes à l’aide des critères microbiologiques actuels questionné par les opérateurs des filières viandes fraîches.
Depuis plusieurs années, de nombreux opérateurs des filières viandes fraîches déclarent que les critères microbiologiques utilisés pour vérifier l’hygiène des procédés et évaluer les durées de vie des produits ne sont plus adaptés à la réalité du terrain. Il n’y aurait plus de lien entre ces critères et l’état organoleptique des produits ou le fonctionnement des procédés. Afin de répondre à cette problématique, une enquête en ligne et des entretiens individuels ont été conduits dans les filières herbivores, porc et volailles.
I. INTRODUCTION
Les critères microbiologiques utilisés quotidiennement par les industries de la viande reposent pour la majorité sur des travaux initiés dans les années 1970-1980, notamment ceux menés par Jeanne Fournaud (Bousset and Fournaud, 1976 ; Fournaud and Mocquot, 1966 ; Kriaa et al., 1985 ; Montel et al., 1991). Bien qu’intégrés dans des guides et documents plus récents (Guide de Bonnes Pratiques d’Hygiène et d’application des principes de l’HACCP (« Hazard Analysis Critical Control Point » ou analyse des dangers et points critiques pour leur maîtrise) des filières viandes, liste des critères d’acceptabilité des viandes et produits carnés de la Fédération du Commerce et de la Distribution (FCD)…), ces critères ont relativement peu évolué. Or depuis plusieurs années, les procédés (ex : températures de conservation, conditionnements…), les équipements utilisés (ex : capteurs et régulateurs de température…), les pratiques (ex : maturations longues, hebdopack…) et les moyens de maîtrise de l'hygiène des étapes d'abattage et de découpe des viandes ont beaucoup évolué pour les filières herbivore, porcine, et volaille, laissant penser que l’écologie microbienne des produits a pu évoluer. Par ailleurs, les techniques microbiologiques pour investiguer les écosystèmes microbiens ont aussi nettement progressé, et permettent l’obtention de résultats beaucoup plus précis et fiables, que ce soit dans l’identification, la détection et le dénombrement des bactéries présentes.
Il est possible de distinguer deux catégories de critères liés à la sécurité des aliments :
• Les critères de sécurité qui définissent l'acceptabilité d'un produit, d'un lot de denrées alimentaires ou d'un procédé, sur la base de l'absence, de la présence ou du nombre de micro-organismes. Ces critères se concentrent sur l'innocuité des produits dans les aliments à risque en veillant à protéger la santé des consommateurs (principalement sur la base des critères règlementaires regroupés dans le règlement CE n°2073/2005 et le guide de gestion des alertes).
• Les critères d'hygiène du procédé qui définissent l'acceptabilité du fonctionnement du procédé de production. Un tel critère, dans le principe, n'est pas applicable aux produits mis sur le marché. Il fixe une valeur indicative de contamination dont le dépassement exige des mesures correctives destinées à maintenir l'hygiène du procédé conformément à la législation sur les denrées alimentaires.
Ce sont ces derniers qui suscitent aujourd’hui des interrogations. En effet, les critères d’hygiène des procédés (CHP) jouent un rôle clé dans le cadre des plans de maîtrise sanitaire (PMS) qui s’appuient sur les principes de l'HACCP. Ces critères sont utilisés pour valider l’hygiène des procédés de production, déterminer les durées de vie des produits, surveiller le bon fonctionnement des procédés et alerter précocement sur les risques de dérives. Pour cela, il est impératif de disposer de critères objectifs et normalisés qui reflètent la sécurité et/ou la salubrité des produits à chaque étape de la chaîne de production.
Si des CHP sont fixés règlementairement pour les carcasses, les viandes hachées et les préparations de viandes (Règlement CE n°2073/2005), il revient aux opérateurs des entreprises du secteur, représentés par leurs syndicats professionnels et accompagnés de leurs centres techniques, de fixer les CHP pour tous les autres produits de la filière : muscles (bruts, Prêts à Découper (PAD), Prêts à Trancher (PAT)), viandes piécées, abats, etc…
Or les opérateurs des différents maillons de la filière des viandes fraîches observent depuis plusieurs années des cas 1) de produits sans altération perceptible mais dont les critères microbiologiques de validation et vérification des durées de vie sont dépassés, 2) d’absence de liens entre les critères d’hygiène des procédés et la salubrité des produits.
Afin de dresser un bilan aussi exhaustif et précis que possible de cette situation, des enquêtes ont été menées en parallèle par l’Institut de l’Elevage (Idele), l’Institut du Porc (IFIP) et l’Institut technique des filières avicole, cunicole et piscicole (ITAVI) auprès des responsables qualité des entreprises de viandes fraîches d’herbivores, de porcs et de volailles.
Ces enquêtes ont été réalisées entre novembre 2022 et mai 2023, pour interroger spécifiquement les responsables qualité de ces entreprises sur leurs pratiques en termes d’analyses microbiologiques, leurs résultats et leurs difficultés d’interprétation et d’utilisation des CHP dans la gestion de l’hygiène de leurs productions tout comme dans la validation des durées de vie de leurs produits et le contrôle de l’hygiène de l’environnement. A noter que les critères d’hygiène ou de sécurité portant sur la recherche ou le dénombrement de bactéries pathogènes ont volontairement été écartés de l’enquête, car ces critères sont définis par la règlementation française et européenne et ne sont donc pas à fixer par les filières.
II.1. Enquêtes en ligne
Une enquête en ligne a été construite pour recueillir des éléments sur l’utilisation des critères microbiologiques utilisés dans les filières viandes par les abatteurs, découpeurs et transformateurs de viande (principalement pour la filière porc), et le ressenti de ces opérateurs sur la pertinence de ces critères. L’enquête a été conçue autour de deux axes. Le premier axe visait à connaître les critères utilisés par les opérateurs pour leurs autocontrôles de validation/vérification de l’hygiène de leurs procédés de fabrication et ceux utilisés pour les analyses de validation/vérification de la durée de vie microbiologique des produits. Le second axe avait pour but de comprendre quelles étaient les difficultés d’interprétation et d’utilisation des résultats d’analyses basés sur ces critères microbiologiques (Tableau 1). Le support utilisé était « Google Forms », dont le lien a été diffusé aux responsables qualité des entreprises des filières viandes de boucherie par Culture Viande et aux responsables qualité des entreprises de volailles par l’ITAVI. Les réponses ont été enregistrées entre novembre 2022 et janvier 2023.
Tableau 1 : Structure de l’enquête en ligne
NB : La « fréquence ressentie » correspond à une réponse sur une échelle allant de systématiquement, souvent, parfois, jusqu’à jamais non-conforme. Ce choix a été fait en collaboration avec le comité de pilotage de l’étude.
II.2. Entretiens individuels
Les répondants à l’enquête en ligne qui le souhaitaient ont participé à un entretien individuel en visioconférence avec une interlocutrice de l’Institut Technique Agricole spécialiste de la filière principale de l’entreprise (herbivore, porcine et/ou volaille).
Ces entretiens semi-directifs suivaient un questionnaire commun aux trois filières qui s’articulaient autour des thèmes suivants :
• Activité de l’entreprise (espèces, produits, volumes…) et logistique des analyses microbiologiques des flores bactériennes non pathogènes (laboratoire interne ou prestataire, méthodes d’analyse…)
• Contrôle de l’hygiène des procédés (produits analysés, fréquences et méthodes de prélèvements, analyses réalisées, critères de référence, conformité des résultats, difficultés perçues, avis sur la pertinence des critères utilisés…)
• Détermination et la vérification des Durées de Vie Microbiologiques (DVM) des produits (protocole d’établissement des DVM, analyses réalisées, critères de référence, prise en compte de l’aspect sensoriel, conformité des résultats, difficultés perçues, avis sur la pertinence des critères utilisés…)
• Contrôle de l’hygiène de l’environnement de production (procédures de nettoyage et désinfection, fréquence et méthode de prélèvements des surfaces, analyses réalisées, critères de référence, seuils déclencheurs de notifications à l’administration, difficultés perçues, avis sur la pertinence des critères utilisés…)
• Questions et besoins particuliers vis-à-vis des critères microbiologiques d’hygiène (expression libre)
Ces entretiens ont été réalisés entre février et mai 2023. Les données ainsi collectées ont fait l’objet de synthèses par filière, qui ont été présentées et discutées avec les opérateurs participant à l’étude.
III.1. Résultats des enquêtes en ligne
La participation des entreprises à l’enquête en ligne s’élève à 79 réponses, dont 53 provenant de sites de production ayant un atelier de découpe, attenant ou non à un abattoir, produisant des muscles de semi-gros, Prêts à Découper (PAD) et des viandes piécées, et 26 provenant d’entreprises du maillon transformation. Les critères auxquels ces entreprises se réfèrent pour le management de l’hygiène des procédés ou pour la détermination/vérification de la durée de vie des produits sont les « critères microbiologiques applicables aux marques de distributeurs, marques premiers prix et matières premières dans leur conditionnement initial industriel » édités par la FCD (55 entreprises), et les critères microbiologiques définis dans le cadre des guides de bonnes pratiques d’hygiène (GBPH) (50 entreprises). Parmi les répondants, 27 déclarent s’appuyer uniquement sur la règlementation en vigueur alors que 19 indiquent utiliser des critères internes et 29 ceux définis par leurs clients (cahiers des charges spécifiques). Une majorité des répondants (77%) a indiqué avoir déjà rencontré des difficultés d’utilisation des résultats obtenus par rapport aux critères microbiologiques définis pour l'hygiène des procédés ou la validation de durée de vie.
Dans le cadre de ces critères non règlementaires permettant de valider puis de vérifier les bonnes pratiques d’hygiène de production et de conservation des viandes fraiches, les principaux indicateurs utilisés par les exploitants sont la Flore Totale Aérobie Mésophile (FTAM), les entérobactéries présumées, Pseudomonas spp., la Flore Lactique (FL) et Escherichia coli. Ces indicateurs et les seuils correspondants sont choisis par les professionnels, à l’échelle de leurs filières (GBPH) ou dans leurs transactions commerciales (ex : critères négociés annuellement avec la Fédération de Commerce et de Distribution (FCD), cahiers des charges des clients…).
Les instituts ont d’abord collecté les réponses concernant les fréquences de non-conformités enregistrées pour ces différents indicateurs, celles-ci sont illustrées dans la Figure 1 et le Tableau 2. Les répondants pouvaient choisir entre systématique, souvent, parfois ou jamais selon leur propre ressenti de la fréquence de survenue des non-conformités.
Figure 1 : Fréquences de non-conformité des viandes et produits carnés vis-à-vis des critères microbiologiques d’hygiène non règlementaires utilisés par les répondants à l’enquête en ligne
(A : 53 sites découpe, B : 26 sites de transformation).
Tableau 2. Typologie des indicateurs d’hygiène utilisés par les répondants (non règlementaires).
NB : x = correspond à cette description, (x) = peut correspondre mais n’est pas identifié comme spécifique
Ainsi, pour plus de 75% des répondants, les non-conformités vis-à-vis des critères FTAM et « Entérobactéries présumées » sont assez fréquentes, alors que ce sont les analyses les plus réalisées (95% des répondants). Des non-conformités au regard des critères « Pseudomonas spp. » et de la « Flore Lactique » (FL) sont également indiquées par 50% des répondants. A contrario, sur 80% des sondés qui recourent au critère « E. coli », seuls 20% indiquent faire face « parfois » à des non-conformités.
Il est à noter que les choix des critères microbiologiques ne sont pas homogènes entre les trois filières investiguées. Ceci est lié aux évolutions des modes de conservations des produits (ex : conditionnements avec et sans oxygène, durée de conservation entre la date d’abattage et la consommation…), mais également des historiques et des choix issus des réflexions collectives de ces différentes filières.
Les instituts se sont intéressés en un second temps aux difficultés d’interprétation posées par certains critères.
Pour la filière porcine, les non-conformités relevées par les opérateurs à l’origine d’un problème d’interprétation sont principalement liées à la FTAM, la FL, les Pseudomonas spp. et les Entérobactéries présumées. Des dépassements des critères fixés sans lien avec une altération organoleptiques sont principalement en cause.
Pour les filières herbivores, les répondants sont principalement issus du maillon découpe, et rapportent que les principales difficultés d’interprétation rencontrées sont liées au dépassement des critères portant sur la FTAM, les Entérobactéries présumées, les Pseudomonas spp. et la FL. Il s’agit des flores retenues dans leurs critères actuels établis dans les années 2000.
Pour la filière volaille, les abatteurs-découpeurs ont rapporté rencontrer des difficultés vis-à-vis des critères Pseudomonas spp. et E. coli, et moins fréquemment de la FL et de Clostridium spp. Pour les transformateurs, les principales non-conformités sont liées à la FTAM et aux Entérobactéries présumées, dans une moindre mesure à la FL. Les transformateurs de volaille remontent principalement des problématiques de FTAM et de FL.
Il n’est pas possible à ce stade d’expliquer les causes de ces difficultés rapportées.
Parmi les difficultés rencontrées dans les trois filières, les critères reposant sur le ratio de FTAM et FL (généralement défini comme devant être inférieur à 100) sont fréquemment cités. Une des causes clairement identifiées est liée aux limites méthodologiques pour dénombrer les bactéries lactiques en présence dans les produits carnés : exclusion des genres bactériens Carnobacterium spp. et Lactococcus spp. par la méthode de dénombrement de la FL (milieu MRS) et sous-estimation des bactéries de la famille des Lactobacillaceae par la méthode de dénombrement de la FTAM (milieu PCA), faussant les résultats des deux dénombrements composant le ratio FTAM/FL (Bieche-Terrier et al., 2019).
III.2. Résultats des entretiens individuels dans les 3 filières
III.2.1. Typologie des sondés
Au total, 20 opérateurs ont accepté de participer à ces entretiens qui duraient en moyenne 2 heures (Tableau 3).
Tableau 3. Typologie des 20 participants aux entretiens.
III.2.2. Gestion des résultats d’analyses pour piloter l’hygiène des procédés
Le pilotage de l’hygiène des procédés dans l’industrie carné varie d’une filière à l’autre et même d’une entreprise à l’autre au sein de ces filières.
Pour les entreprises avicoles et herbivores, environ un tiers des établissements ne réalise pas de contrôle systématique des produits en sortie d’atelier de production de viandes fraîches. Le pilotage de l’hygiène repose alors sur les analyses microbiologiques et organoleptiques de vérification des produits en fin de durée de conservation et sur les analyses microbiologiques de l’environnement de production, voire celui des matières premières quand elles proviennent de fournisseurs externes. Ils ne procèdent à des contrôles microbiologiques de produits en sortie d’atelier qu’en cas de dérives constatées sur les autres indicateurs ou de retours clients nécessitant une investigation.
Les autres établissements ont inscrit dans leurs PMS des contrôles analytiques réguliers (majoritairement mensuels) de la contamination des viandes fraîches en sortie d’atelier ou à J+1.
En filière volaille, sur les 5 entreprises interrogées, 2 réalisent des contrôles sur les produits dans le cadre du pilotage de l’hygiène des procédés. L’une d’elle teste E. coli et Staphylococcus sp en lien avec les problèmes rencontrés parfois au niveau de l’éviscération et de la contamination de la peau, à J+1 uniquement, à une fréquence hebdomadaire et sur différentes pièces anatomiques, La seconde entreprise réalise 4 analyses/an, et évalue la contamination en entérobactéries et FTAM.
En filière herbivores, les analyses réalisées sur les produits en sortie d’atelier évoluent ces dernières années. A l’origine, elles reposaient sur des dénombrements de FTAM et d’entérobactéries. Désormais, un tiers des entreprises interrogées dise se tourner vers Pseudomonas spp. et E. coli, du fait des difficultés rencontrées pour l’analyse des causes en cas de dépassement des critères FTAM et entérobactéries présumées et donc de l’impossibilité d’identifier des actions correctrices ciblées en réponse.
En filière porcine, les analyses réalisées pour l’évaluation de l’hygiène des procédés sont basées sur la FTAM, la FL et les Pseudomonas spp pour toutes les personnes interrogées. Celles-ci sont principalement réalisées en sortie d’atelier. Ces flores restent utilisées malgré de fréquentes difficultés lors de l’analyse des causes (dépassement de critère sans altérations détectables).
Les opérateurs qui pratiquent les contrôles microbiologiques des produits en sortie d’ateliers y voient un outil de surveillance globale de la production, dont les résultats sont fiables et objectifs, permettant ainsi une amélioration globale de l’hygiène de fabrication (appropriation de l’HACCP, sensibilisation des opérateurs, analyse des processus en cas de défaillance…) et un bon dialogue avec les partenaires commerciaux (prestataires, clients…).
Cependant plusieurs critiques sont aussi formulées :
• les seuils de conformité de ces critères difficiles à tenir pour certains indicateurs (surtout en cas de délai entre l’abattage et la découpe (ex : importations de matières premières, maturation…),
• l’absence de lien entre le respect ou non de ces critères et la bonne ou mauvaise conservation des produits,
• l’impossibilité de procéder à l’analyse des causes en cas de dépassement du critère limitant la FTAM et donc d’identifier des mesures de corrections ciblées et adaptées pour corriger cette dérive.
Enfin, en filière viande bovine, l’absence de critère adapté à des matières premières maturées est spécifiquement pointée par les opérateurs concernés.
Par ailleurs, le choix des critères de référence pour ces contrôles du pilotage de l’hygiène des procédés interroge les responsables qualité des entreprises des filières carnées. En effet, ils doivent prendre en compte des références qui ne sont pas systématiquement équivalentes entre elles :
1) les repères spécifiques à l’entreprise et à la filière (PMS de l’entreprise, GBPH de l’activité concernée…),
2) les demandes des clients (critères FCD et cahiers des charges spécifiques…),
3) les exigences de la réglementation en matière de sécurité alimentaire (règlements européens et français, normes internationales pour l’export…).
Ces différents critères n’obéissent pas à la même logique ni aux mêmes objectifs, ce qui rend leur articulation particulièrement délicate. Malgré une conformité à un critère GBPH et une organoleptique conforme du produit, des critères complémentaires (cahier des charges client par exemple) peuvent être non conformes. Plusieurs opérateurs interrogés ont exprimé la volonté de simplifier ces références pour disposer de critères communs reconnus par tous les acteurs concernés.
III.2.3. Contrôles de l’hygiène de l’environnement de production
Toutes les entreprises qui ont participé à ces entretiens ont mis en place des contrôles de l’hygiène de l’environnement de production régulier dont les principales spécificités sont décrites dans le Tableau 4.
Tableau 4. Contrôles de l’hygiène de l’environnement de production, toutes filières confondues
Les répondants n’ont pas fait part de difficultés particulières liées à ces contrôles, qui sont jugés plutôt simples à mettre en œuvre et dont l’interprétation ne pose pas de problème. Ils sont jugés utiles pour le pilotage de l’hygiène et pour surveiller l’efficacité des procédures de nettoyage et désinfection, qui sont souvent confiées à des prestataires. Ils permettent d’assurer une surveillance constante (et un suivi de l’absence de dérive en lien avec les historiques) de l’hygiène et de la sécurité des produits carnés des 3 filières.
Plusieurs répondants ont néanmoins fait part de leurs difficultés à appréhender les attentes liées à la Loi EGALIM (loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous) en cas de contamination de l’environnement par Listeria monocytogenes. Le guide d’aide à la gestion des alertes d’origine alimentaire à l’usage des exploitants du secteur alimentaire et de l’administration (Instruction Technique DGAL/MUS/2023-11), paru début 2023, a pu apporter certains éclairages à ce sujet.
III.2.4. Détermination et vérification des DVM (Durées de Vie Microbiologiques)
La DVM est évaluée pour tout nouveau produit de viande fraîche lors de sa conception lors de la validation initiale. Par la suite, les contrôles de vérification de DVM sont généralement réalisés une fois par an, organisés par famille de produits similaires, pour les filières porcines, avicoles et herbivores. Ces contrôles incluent une période de vieillissement des produits à température de réfrigération de 4°C, avec éventuellement une rupture de température à 8°C si les produits sont à destination directe des consommateurs, comme indiqué dans l’Instruction Technique DGAL/SDSSA/2019-861. A l’issue de ce vieillissement, les produits sont analysés selon les indicateurs microbiologiques suivis par les entreprises, mais il s’avère que ces indicateurs ne sont pas toujours en lien avec l’état de conservation des viandes fraîches (Tableau 5).
Tableau 5. Détermination et vérification des DVM des viandes fraîches : indicateurs utilisés, problématiques rencontrées et stratégies d’adaptation.
Une des stratégies mises en œuvre par plusieurs entreprises des filières viandes en cas de résultats microbiologiques non-satisfaisants est de réaliser des observations sensorielles des produits incriminés (couleur, odeur, exsudat, aspect général…). En effet, les entreprises ont depuis plusieurs années mis en évidence que les indicateurs microbiologiques utilisés par leurs filières pour qualifier la conservation des viandes fraîches ne traduisent pas l’apparition d’altération sur les produits. Certains des répondants en filière herbivore ont même inclus l’observation sensorielle des produits lors de la vérification de la DVM dans leurs accords commerciaux, mettant ainsi en place une procédure standardisée (Figure 2). Il y a donc une véritable attente de la part de ces entreprises pour la prise en compte de l’aspect sensoriel dans la détermination et la vérification de la durée de vie des produits par les critères de référence qu’ils utilisent.
Figure 2. Organisation d'observations sensorielles pour établir et vérifier les DVM des produits des entreprises viandes d'herbivores, sur 9 entreprises interrogées.
Concernant le choix des critères microbiologiques de durée de vie des produits carnés, les entreprises des trois filières investiguées sont face au même problème que pour les critères d’hygiène des procédés : la pluralité des références (FCD, demandes des clients, GBPH, Instructions Techniques de la Direction Générale de l’Alimentation (DGAL) sur la validation des DVM) sans consensus entre les différents acteurs. Les opérateurs sont donc en attente de critères de référence reconnus par tous les interlocuteurs concernés.
III.2.5. Difficultés remontées par les responsables qualité des entreprises viandes vis-à-vis du pilotage actuel de l’hygiène
En l’état actuel des connaissances et des moyens techniques, les entreprises des filières viandes interrogées ont exprimé conjointement des besoins :
• d’opérationnalité des critères utilisés pour le pilotage de l’hygiène des productions carnées, afin que les cas de résultats non-satisfaisants puissent faire l’objet d’analyses des causes concluantes et donc de mises en œuvre d’actions de corrections adaptées (ce qui est impossible avec des critères basés sur un ensemble de familles de bactéries aussi vaste que la FTAM) ;
• de cohérence entre les différents maillons (abattoir, découpe, transformation…) afin d’avoir des références reconnues, et donc des critères communs et utilisés par tous les acteurs concernés (fournisseurs, transformateurs, distributeurs…) ;
• de considération de l’état organoleptique des produits concernés (hors aspects liés à la sécurité des produits), notamment avec la prise en compte de l’évaluation sensorielle des produits pour qualifier leur bonne ou mauvaise conservation, afin d’ouvrir le dialogue avec les clients en cas de résultats microbiologiques non-satisfaisants et ainsi de limiter le gaspillage ;
• de fiabilité des méthodes analytiques retenues en lien avec les critères des viandes (ex : défaut du milieu MRS pour quantifier l’ensemble des bactéries lactiques se développant en surface des viandes) ;
• de relations directes entre des critères microbiologiques précoces d’hygiène des procédés et la conservation des viandes concernées (ex : le respect des CHP pour un faible risque d’altération des produits, si les conditions de conservation sont bien maîtrisées).
D’un point de vue règlementaire, certains des industriels interrogés étaient également demandeurs d’éclaircissements sur certains aspects liés à la loi EGALIM (article L 201-7 du CRPM). Certaines clarifications ont pu être fournies par les instructions techniques publiées par la DGAL à ce sujet courant 2023.
Spécifiquement au sein de la filière volaille, une incohérence notable est relevée dans la disparité des critères appliqués aux carcasses, aux préparations de viandes et aux viandes séparées mécaniquement, ce qui nécessite une harmonisation. Du côté des viandes d’herbivores, les professionnels indiquent le manque de critères adaptés aux viandes bovines maturées et aux viandes ovines, et l’inadéquation de certains critères actuels aux viandes importées.
En termes de recherche et de développement, les industriels souhaiteraient disposer de connaissances plus poussées, actualisées et synthétisées sur les flores microbiologiques des viandes, sur les impacts de la présence et croissance de bactéries spécifiques, sur l’altération des produits carnés et sur les interactions entre les différents microorganismes se développant sur les viandes selon les conditions de conservation. Les acteurs des entreprises de viande aimeraient que ces travaux puissent aboutir dans un second temps à des orientations et des méthodes leur permettant de disposer de nouveaux critères précoces et plus adaptés au pilotage de la qualité hygiénique de leurs produits. Ces critères devraient aussi pouvoir être appliqués au quotidien, que ce soit en termes de techniques mises en œuvre (méthodologie, délais de réponse, facilité d’interprétation…) et de coûts analytiques.
IV. CONCLUSION
Les récents projets ANR Ecobiopro (ANR-2010-ALIA-018) et Redlosses (ANR-16-CE21-0006) dont l’IFIP, l’ADIV et l’INRAE étaient partenaires, ont montré toute la complexité des écosystèmes bactériens avec une diversité plus importante dans des saucisses fraîches de volaille que dans des saucisses fraîches de porc ainsi que des espèces bactériennes communes mais aussi spécifiques de chacune des matrices (Luong et al., 2020). Alors qu’en volaille, le conditionnement jouait un rôle important sur la dynamique bactérienne lors de la conservation, en porc, c’est la manière dont la viande fraîche (épaule milieu ou désossée/découennée) était découpée avant la mise en œuvre qui impactait cette dynamique.
Ces études ont également permis de mettre en évidence :
(1) l’espèce bactérienne Dellaglioa algida (anciennement Lactobacillus algida), connue pour son rôle d’altération dans les matrices viande, dominante sur saucisses de porc suivant le type de préparation mais qui ne pousse pas sur les milieux de dénombrement recommandés dans la méthode normée NF ISO 15214 de dénombrement des bactéries lactiques ;
(2) la dominance de Lactococcus piscium et Carnobacterium spp. sur certains produits carnés (en particulier le bœuf sous vide), non détectés par les milieux de dénombrement pour la FL actuellement commercialisés.
Ce dernier point a également été observé parmi les cas de conservations « atypiques » de viandes bovines conditionnées sous-vide (Bieche-Terrier et al., 2019).
L’impossibilité de culture de ces espèces très spécifiques des viandes pourrait ainsi expliquer certains écarts identifiés par les professionnels entre critères microbiologiques et salubrité des produits.
Plusieurs travaux de recherche récents ont aussi souligné pour les trois filières l’impact des conditionnements (notamment par rapport à l’oxygène dans les atmosphères modifiées ou le sous-vide) sur le développement des bactéries d’altération sur les viandes fraîches de porc (Cauchie et al., 2020), de bovin (Jääskeläinen et al., 2016) et de volaille (Höll et al., 2016).
A noter cependant que les processus d’altération des viandes sont complexes et que parfois, ce sont des espèces sous dominantes qui agissent sur l’altération, voire l’association entre plusieurs espèces bactériennes, comme l’a montré le projet Redlosses.
Parallèlement, plusieurs constats se dégagent des enquêtes menées dans les trois filières viandes et présentées dans cet article. Les critères d’hygiène des procédés et de validation des durées de vie des viandes fraiches actuellement utilisés, tels que la FTAM, les entérobactéries présumées, Pseudomonas spp., présentent des problèmes de dépassements fréquents non reliés à des défauts organoleptiques, rendant les analyses des causes complexes voire impossibles.
Ces critères ont certainement joué un rôle important dans l’amélioration de l’hygiène de la filière carnée en lien avec la progression de la maîtrise du froid dans ces filières. Ils demeurent cependant des critères très généraux et pas toujours adaptés à l’évolution des conditions de conservation (ex : conditionnements sans oxygène), aux circuits des viandes découpées, à l’utilisation de viandes issues de carcasses maturées en filière bovine, à l’importation de matières premières…
Aussi, les responsables qualité des entreprises des filières viandes expriment des difficultés pour interpréter des cas de résultats non-conformes par rapport à ces critères et pour mettre en place des actions adéquates.
Les critères jugés significatifs pour la gestion de l'hygiène sont ceux qui ont une incidence directe sur la qualité des produits. Ils permettent d'identifier les causes des non-conformités et facilitent la mise en place d'actions préventives et correctives. La cohérence des critères entre les différentes étapes de la chaîne d'approvisionnement et de transformation des produits viandes, ainsi que leur reconnaissance par l'ensemble des acteurs, des fournisseurs aux distributeurs, est essentielle. Cela permettrait aussi aux responsables qualités de ces filières de ne pas avoir à jongler entre les critères spécifiques à la filière et les demandes des clients.
La demande de liens plus forts entre les critères microbiologiques et les évaluations sensorielles est particulièrement marquée dans les filières de viandes d’herbivores et de volailles. L'inclusion de l'évaluation sensorielle dans l’évaluation de la durée de vie du produit est aujourd’hui perçue comme une avancée cruciale et incontournable, à privilégier sur la seule approche microbiologique. En particulier, l’utilisation de grilles standardisées par filière pour évaluer la couleur des viandes et des gras, l’odeur et l’exsudat des pièces de viande pourrait compléter les résultats des analyses microbiologiques. Ces grilles ont déjà été rédigées et validées pour les filières bovine et porcine en partenariat avec le syndicat Culture Viande, grâce au soutien financier d’Interbev (https://cultureviande.eu/evaluation-sensorielle-de-la-viande-de-boeuf-une-grille-commune-desormais-disponible/).
Les auteurs de cet article tiennent à remercier les responsables qualité des entreprises des filières viandes qui ont participé à ces enquêtes et entretiens, ainsi que les membres du comité de pilotage du projet : Sabine Leroy de l’UMR 0454 INRAE MEDiS, Marie-Christine Champommier-Vergès de l’UMR 1319 INRAE MicAliS, Souad Christieans de l’ADIV, Nathalie Desmasures de l’UR 4651 ABTE Université de Caen Normandie, Sofia Strubbia de l’UMR 1014 INRAE SECALIM, et en particulier Monique Zagorec membre honoraire de l’UMR 1014 INRAE SECALIM.
Ce travail a été réalisé grâce au soutien financier des interprofessions Interbev, Inaporc et ANVOL.
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Bièche-Terrier, C., Fleury, M., Bré, J.-M., Malayrat, C., Tribot-Laspière, P., Desmasures, N. (2019). Viandes sous vide : les indicateurs microbiologiques actuels sont-ils fiables ? Viandes et Produits Carnés 3535, VPC-2019-35-3-5.
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