Revue Française de la recherche
en viandes et produits carnés

ISSN  2555-8560

Evaluation environnementale de systèmes de production animale

 
Evaluation environnementale de systèmes de production animale contrastés au regard des services écosystémiques et de l’analyse en cycle de vie : accord ou désaccord ?

L’analyse de cycle de vie et le cadre des services écosystémiques peuvent fournir des évaluations opposées des systèmes d’élevage de production de viande. Cette étude s’intéresse à ce paradoxe apparent.
(Cet article est le deuxième d’une série de cinq issus des interventions scientifiques présentées lors des Matinales de la Recherche 2025 d’Interbev, le 25 mars 2025).

I. INTRODUCTION

L'analyse du cycle de vie (ACV) et l’évaluation des services écosystémique (SE) sont deux cadres d’évaluation des impacts environnementaux. L'ACV est une méthode normalisée basée sur l'inventaire des flux de matières et d'énergie, impliqués dans toutes les étapes du cycle de vie d'un produit (Huppes and Curran, 2012). Elle s’intéresse aux impacts négatifs tels que les émissions de gaz à effet de serre, ou la consommation d’énergie fossile. Elle a vu le jour dans l'industrie dans les années 1960.

Le concept de SE est, quant à lui, utilisé pour décrire les bénéfices que les sociétés humaines tirent des fonctions et processus des écosystèmes (Costanza et al., 1997). Les SE s’intéressent aux impacts positifs, tels que la production de bois, de fourrage, la séquestration du carbone et la pollinisation. C’est un cadre qui a été popularisé par des économistes et des écologistes dans les années 2000. Les SE sont de trois types :
• Approvisionnement : fourniture de denrées physiques comme le bois et le fourrage (comme mentionné ci-dessus) ;
• Régulation : stabilisation des grands cycles biophysiques comme celui de l’eau, du carbone et du pollen ;
• Culturel : fourniture d’un paysage de grande valeur esthétique ou récréative pour les activités de plein air.
L’ACV est donc plus ancienne que le cadre des SE, et dispose à ce titre de nombreuses bases de données et de logiciels pour être appliquée, ce qui explique qu’elle est plus utilisée couramment que les évaluations de SE. L’ACV a établi via de nombreuses études que les viandes de ruminants, c’est-à-dire issues principalement de bovins et d’ovins, avaient des impacts plus élevés que les viandes de monogastriques, c’est-à-dire issues de porcs et de volailles. Ces impacts sont rapportés au kilogramme de produit, ce qui est l’approche historique de l’ACV. L’utilisation de cette « unité fonctionnelle », selon la terminologie ACV, n’est pas sans conséquences, comme nous allons le voir. Ainsi, la production d'un kilogramme de viande de poulet, de porc et de bœuf émet respectivement 3,7 à 6,9, 3,9 à 10,0 et 14,0 à 32,0 kilogrammes d’équivalent CO2 (de Vries et de Boer, 2010).
À l’inverse, le cadre des services écosystémiques montre que les prairies, qui peuvent servir à nourrir les ruminants, fournissent plus de SE de régulation que les cultures, qui servent à nourrir les monogastriques. Il y a donc un paradoxe, car l’ACV et le cadre des SE, qui portent tous deux sur l’évaluation environnementale, peuvent évaluer de manière opposée les systèmes de productions monogastriques et ruminants.
Nous avons évalué leur niveau d’accord ou de désaccord, en nous basant sur un échantillon de douze systèmes de production de viande français contrastés, impliquant des ruminants et des monogastriques (six de chaque). Dans chaque type animal, il y a des systèmes plus ou moins productifs et dans les systèmes ruminants, il y a des systèmes plus ou moins herbagers. Nous avons traité cette question d’accord ou désaccord en prenant, pour l’ACV, deux unités fonctionnelles distinctes : le kilogramme de protéine produit et la surface occupée pendant un an pour produire les protéines (m2/an).

 

II. MATERIELS ET METHODES

Les douze systèmes étudiés viennent de la base de données Agribalyse 3.01, qui a fourni les données d’inventaire nécessaires pour conduire les ACV (en utilisant le logiciel OpenLCA). De ces données, nous avons établi les assolements des systèmes, c’est-à-dire la liste des surfaces occupées pour nourrir les animaux et produire 1 kg de protéines animales. Ces assolements sont constitués des types de couvertures de sol exploitées, tels que cultures, prairies temporaires ou permanentes. Nous avons ensuite attribué des scores de services de régulation à chaque type d’occupation de sol, via une revue de littérature en nous intéressant à des indicateurs biophysiques (Tableau n° 1). Ces scores par couverture de sol ont permis de calculer des scores moyens par système, en faisant des moyennes pondérées par type de surface.

III. RÉSULTATS

III.1. Analyse en cycle de vie des systèmes

Comme attendu, les systèmes ruminants ont des impacts environnementaux par kilogramme de protéines animales produites plus élevés que les systèmes monogastriques, pour les seize catégories d'impact classique de l'ACV.

Tableau 1 : Scores de six services écosystémiques de régulation par occupations de sol établis par revue de littérature (min = 0 ; max = 5).
Evaluation environnementale Tab1
Abréviations : conv. = conventionnel ; bio. = biologique ; BR = Brésil ; FR = France ; MON = mondial. Les scores sont basés sur des indicateurs biophysiques (ex : kg de sucre dans le nectar des fleurs à l’hectare pour pollinisation ou tonne de carbone à l’hectare pour le stock de carbone).

Par exemple, pour les ruminants et les monogastriques, les émissions moyennes de gaz à effet de serre (GES) étaient respectivement de 280 et 32 kg d'équivalent CO2, et l'utilisation moyenne d'énergie fossile était respectivement de 351 et 189 MJ. Les ruminants utilisent de surcroît en moyenne 856 m2/an contre 62 m2/an pour les monogastriques, pour produire un kilogramme de protéines. La tendance était inverse pour les impacts par m2/an, avec des émissions moyennes de GES de 0,50 contre 0,57 kg d'équivalent CO2 et une consommation moyenne d'énergie fossile de 0,71 contre 3,63 MJ pour les ruminants et les monogastriques, respectivement. Les résultats complets se trouvent dans l’article de Joly et al. (2024) référencé plus bas.

III.2 Évaluation des services écosystémiques de régulation

Les systèmes ont des assolements très différents, avec comme attendu, beaucoup plus de prairies dans les systèmes de ruminants que monogastriques, les monogastriques mobilisant principalement des cultures (Figure 1). Comme les prairies ont des niveaux de SE plus élevés que les cultures, les systèmes ruminants ont de meilleurs scores que les monogastriques, c’est-à-dire 2,4 et 1,2, respectivement.

Figure 1 : Assolements des systèmes étudiés et score moyen des services écosystémiques de régulation.

Evaluation environnementale fig1

III.3. Corrélation entre analyse en cycle de vie et services écosystémiques

La comparaison des scores de SE et les impacts ACV, par kg de protéines ou m2/an, indique des corrélations opposées. La corrélation est positive pour les impacts par kg indiquant que plus un système est émetteur de pollution par kg de protéines animales produites, plus il fournit des SE. L’ACV exprimant des impacts environnementaux négatifs, la corrélation positive indique un désaccord entre ACV par kg de produit et les SE qui, eux, expriment des impacts positifs. Cela peut paraître paradoxal mais cela s’explique par le fait que les systèmes ruminants qui émettent le plus, et notamment les plus extensifs, sont moins optimisés que des systèmes monogastriques industriels (van der Werf et al., 2020). Les ruminants émettent par ailleurs du méthane entérique, un puissant gaz à effet de serre, lors des processus de digestion de l’herbe. De plus, les systèmes extensifs sont en général les plus herbagers, et donc les plus aptes à fournir des SE de régulation. Donc, dans le cas de l’ACV par kg de protéine, il y a désaccord entre les cadres d’évaluation SE et ACV.
À l’inverse, la corrélation est négative avec les impacts exprimés par m2/an, ce qui signifie que plus un système peut fournir de SE, moins il est émetteur par unité de surface. Cela s’interprète par le fait que les émissions par m2/an représentent une sorte d’intensité de gestion et donc de transformation de l’écosystème. Or, en général, plus un écosystème est transformé, moins il fournit de SE de régulation. Donc, dans le cas de l’ACV par m2/an, il y a accord entre les cadres d’évaluation SE et ACV. La Figure 2 fournit trois exemples de corrélations et les résultats complets sont disponibles dans Joly et al. (2024).

Figure 2 : Exemples de corrélation entre scores de services écosystémiques de régulation et résultats d’analyses de cycle de vie, exprimés par unité de produit (kg de protéine – points bleus) et occupation de sol (m2/an exploité – points orange).

Evaluation environnementale fig2aEvaluation environnementale fig2bEvaluation environnementale fig2c

IV. CONCLUSION

Nous avons conduit simultanément une ACV et une évaluation des SE sur douze systèmes français de production de viande contrastés. Cela a été fait via l’assolement des systèmes et des scores de services, établis sur la base d’indicateurs biophysiques. Ceci est une avancée méthodologique de notre étude. Nous avons vu que l’accord et le désaccord entre SE et ACV dépendaient de l’unité fonctionnelle, ce qui illustre la complexité de l’évaluation environnementale. Nous avons pu voir que les résultats d’ACV par kg de produit et l’évaluation SE étaient en désaccord, ce qui indique que l’utilisation de ce seul type d’ACV, qui est le plus fréquent, peut masquer les effets bénéfiques des systèmes de production, et notamment ceux des systèmes ruminants les plus herbagers.

Références bibliographiques

Costanza R, d’Arge R, de Groot R, Farber S, Grasso M, Hannon B, Limburg K, Naeem S, O’Neil RV, Paruelo J, Raskin RG, Sutton P, van den Belt M. (1997) The value of the world’s ecosystem services and natural capital. Nature, 387, 253–260.
Huppes G, Curran MA (2012). Environmental Life Cycle Assessment: Background and Perspective, in: Curran, M.A. (Ed.), Life Cycle Assessment Handbook. John Wiley & Sons Inc., Hoboken, NJ, and Scrivener Publishing LLC, Salem, MA, USA, pp. 1–14. https://doi.org/10.1002/9781118528372.ch1
Joly F, Roche P, Fossey M, Rebeaud A, Dewulf J, Van Der Werf HMG, Boone L. (2024) How closely do ecosystem services and life cycle assessment frameworks concur when evaluating contrasting animal-production systems with ruminant or monogastric species? Animal, 18(12), 101368. https://doi.org/10.1016/j.animal.2024.101368
van der Werf HMG, Knudsen MT, Cederberg C. Towards better representation of organic agriculture in life cycle assessment (2020). Nature Sustainability, 3, 419-425. https://doi.org/10.1038/s41893-020-0489-6

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