Evaluation environnementale des coproduits de la viande : la question de l'allocation des impacts.
INTRODUCTION
Afin de mieux évaluer ces impacts négatifs sur l’environnement, les prescripteurs des secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire se tournent de plus en plus vers les méthodes de quantification telles que l’Analyse du Cycle de Vie (ACV). Une question méthodologique importante se pose lorsqu’on réalise l’ACV d’un système multi-produits : celle de l’attribution de la bonne charge environnementale à chacun des coproduits sortant du système. C’est précisément l’impact d’un produit (et non celui du système total) qui intéressera souvent le consommateur ou le décideur politique pour faire ses choix.
Le secteur de la viande est directement concerné par ces choix d’allocation puisqu’outre le produit principal qu’est la viande, un animal produit également d’autres coproduits tels que les abats, le cuir ou encore le sang, qui peuvent avoir divers débouchés (alimentaires ou non).
De 2018 à 2020 un projet financé par Interbev et conduit en partenariat entre INRAE, Idele et Célene a permis de construire un outil de calcul et des bases de connaissance pour éclairer les utilisateurs de l’ACV sur les implications de différentes règles d’allocation des coproduits de la viande. Ce travail a aussi été l’occasion de produire des bases de données consolidées des rendements de découpe des différents coproduits bovins et ovins à la porte de l’abattoir selon leur race et leur type.
I. QUELQUES RAPPELS SUR L’ANALYSE DU CYCLE DE VIE
L’Analyse du Cycle de Vie (ACV) est une méthode de quantification des impacts environnementaux potentiels d’un produit (bien ou service) sur l’ensemble des étapes de son cycle de vie, c’est-à-dire de l’extraction des matières premières à la fin de vie (Guinée, 2002). L’ACV évalue les impacts environnementaux de la (ou les) fonction(s) rendue(s) par un système, en se rapportant pour cela à l’unité fonctionnelle. Grâce à son approche « cycle de vie », la méthode permet d’identifier de possibles transferts d’impacts entre étapes du cycle de vie (fabrication, fin de vie, etc.) ou entre catégories d’impacts environnementaux. Par exemple, elle permettra de s’assurer qu’une action visant à réduire l’impact sur le changement climatique d’un système ne conduit pas à augmenter ses impacts sur l’eutrophisation ou l’acidification. Ainsi, l’ACV permettra d’obtenir une vision exhaustive et contrastée pour aider le décideur à choisir en toute connaissance de cause.
L’ACV d’un système multi-produits pose une question majeure : comment répartir l’impact environnemental du système entre les différents coproduits ? En effet, il arrive qu’il soit possible de quantifier les impacts environnementaux du système entier sans pour autant être capable de calculer précisément les impacts propres à chacun des coproduits.
La norme ISO 14044 (2006) définit les exigences et les lignes directrices à suivre lors de la réalisation d’une ACV. Parmi celles-ci, on retrouve la question du choix de la méthode de détermination des impacts de coproduits issus de systèmes de produits. La norme les hiérarchise ainsi :
1. Dans la mesure du possible, il convient d’éviter l’allocation en utilisant la subdivision ou, à défaut, l’expansion de système ;
2. Si l’allocation est inévitable, il convient d’utiliser une règle d’allocation basée sur les relations physiques qui sous-tendent le lien entre les coproduits ;
3. En dernier recours, on utilisera une règle d’allocation reflétant d’autres relations entre les coproduits du système, telle que la valeur économique.
La subdivision consiste à diviser le système multi-produits en plusieurs systèmes mono-produits. L’application de cette méthode est souvent rendue difficile, soit par une connaissance imprécise du système puisqu’elle nécessite de connaître précisément chaque sous-processus composant le système, soit par une incapacité à allouer aux sous-systèmes les flux entrants et sortants correspondants (Cederberg and Stadig, 2003; Ekvall and Finnveden, 2001). Dans le cas de la viande, il s’agirait par exemple de connaître précisément la part de l’électricité consommée par le système pour l’éclairage des bâtiments qui a été nécessaire à la fabrication du muscle de l’animal.
La substitution consiste à soustraire à l’impact total du système les impacts de produits équivalents (i.e. remplissant la même fonction que celles des coproduits) pour ne garder que les impacts du produit principal (dans notre cas la viande). Dans de nombreux cas, ces substituts n’existent pas ou seraient trop éloignés des coproduits eux-mêmes et la substitution n’est alors pas possible. Dans le cas de la viande, il faudrait par exemple trouver un produit équivalent aux abats ou au sang, dont on connaîtrait par ailleurs l’impact et qui ne soit pas lui-même un coproduit.
Il est donc souvent nécessaire d’appliquer les deux derniers points de la norme. La technique consiste à répartir un certain pourcentage des impacts du système entre les différents coproduits (le produit viande et ses sous-produits). Ces pourcentages sont appelés facteurs d’allocation. Une question se pose alors : comment calculer ces facteurs d’allocation ?
Les facteurs d’allocation sont calculés à partir de certaines grandeurs caractéristiques des coproduits. Ainsi, les impacts pourront par exemple être répartis au prorata d’unités physiques ou de la valeur économique des coproduits. On distingue tout d’abord les règles d’allocation basées sur des grandeurs physiques. On peut citer par exemple :
- Allocation massique : les impacts sont alloués aux coproduits au prorata de leur masse.
- Allocation sur la matière sèche : les impacts sont alloués aux coproduits au prorata de leur masse en matière sèche.
- Allocation énergétique : les impacts sont alloués aux coproduits au prorata de leur contenu énergétique – exprimé en kCal ou MJ.
- Allocation protéique : les impacts sont alloués aux coproduits au prorata de leur contenu en protéines.
- Allocation biophysique : les impacts sont alloués aux coproduits au prorata de la quantité d’intrants nécessaires (ex : énergie nécessaire pour couvrir les besoins énergétiques d’un animal) à leur fabrication (Chen et al., 2017).
Enfin, non basée sur une grandeur physique, l’allocation économique répartit les impacts entre les coproduits au prorata de leur valeur économique.
Les références bibliographiques démontrant l’influence du choix de la méthode d’allocation sur les impacts d’un produit ne manquent pas (Ayer et al., 2006; Brankatschk and Finkbeiner, 2014; Wiedemann et al., 2015; Toniolo et al., 2017). En effet, il est aisé de comprendre que dans le cas d’un coproduit représentant 40% de la masse totale du système de produits mais 80% de sa valeur marchande, des allocations massique et économique conduiront à des résultats très contrastés (40 et 73 % respectivement).
Malgré la préférence de la norme pour les règles d’allocation basées sur des paramètres physiques, l’allocation économique est la plus utilisée dans les productions agricoles (de Vries and de Boer, 2010; Fuchs et al., 2011; Baldini et al., 2017). Elle est particulièrement privilégiée lorsqu’un produit principal est clairement identifié (Ziegler et al., 2003; Ziegler, 2006). Les auteurs défendent ici l’allocation économique, argumentant que l’allocation massique donnerait trop d’importance aux coproduits à destination de l’alimentation des animaux de compagnie (la moitié de la masse pour seulement 2% de la valeur économique) contre ceux à destination de l’alimentation humaine. Les résultats de l’allocation économique ne sont cependant pas toujours transposables dans le temps et l’espace, du fait de la volatilité des prix (Eyjolfsdottir et al., 2003; Baldini et al., 2017), ce qui constitue un argument supplémentaire à l’utilisation de règles d’allocation basées sur des relations physiques entre coproduits, plus constantes dans le temps et l’espace.
Outre les aspects calculatoires, la difficulté principale pour obtenir ces facteurs d’allocation est la quantité importante de données à récolter (notamment pour l’allocation biophysique). Aussi, afin de faciliter leur utilisation, une base de données a été créée, contenant différents modèles de bovins, veaux et ovins. Ainsi, un utilisateur pourra s’il le souhaite utiliser directement ces données, certifiées par le consortium du projet ou les adapter (s’en servir comme base) pour créer ses propres jeux de données.
Les différences de résultats obtenus avec les différentes méthodes d’allocation dans le cadre de ce projet sont notables, ce qui confirment les résultats de la littérature. Utiliser l’une ou l’autre des méthodes d’allocation n’est donc pas anodin et doit être justifié. Ce travail, en offrant la possibilité d’utiliser trois méthodes d’allocation pour l’ACV des coproduits de la viande, pourra alimenter les débats scientifiques et techniques sur le sujet.
L’usage de ces facteurs d’allocation dans l’ACV sont spécifiques à l’étape d’abattage et ne présage pas du bilan environnemental total de l’animal. Ce dernier est lié à d’autres paramètres (tels que le mode d’élevage, l’alimentation, la zone géographique, etc.) qui ne sont pas considérés ici. Une hiérarchisation des facteurs d’allocation entre deux individus ne suppose rien de la hiérarchisation des impacts environnementaux de ces mêmes individus.
Il serait intéressant, à l’aune de ce qui a été fait sur les facteurs d’allocation, de poursuivre la collecte des données d’inventaires (et donc des bilans environnementaux) propres à un grand nombre d’individus (race, catégories ou modes d’élevage différents), afin de pouvoir apprécier plus finement les différences.
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