Revue Française de la recherche
en viandes et produits carnés

ISSN  2555-8560

Le rôle sociétal de l’élevage : de la déclaration de Dublin à l’appel à Action de Denver

 
Le rôle sociétal de l’élevage débattu à Dublin puis Denver ou comment relever le défi colossal de bien nourrir les populations mondiales tout en minimisant les impacts environnementaux.

Après le congrès de 2022 et la déclaration de Dublin sur le rôle sociétal de l’élevage, l’appel à action discuté au congrès de Denver en 2024 appelle les décideurs politiques du monde entier à prendre des décisions concernant l’élevage sur la base de travaux scientifiques solides.


I. INTRODUCTION

En 2022, un groupe de 150 scientifiques au moins de plusieurs pays se sont réunis à Dublin pour examiner les enjeux, les faiblesses et les bénéfices de l'élevage et des productions animales qui sont très critiqués dans la sphère publique.

A la suite de ce congrès, la déclaration de Dublin a été publiée afin de promouvoir une recherche impartiale, rigoureuse et honnête concernant les productions animales. Cette déclaration a été signée par plus de 1200 scientifiques de nombreux pays début 2025 (https://www.dublin-declaration.org/signatures).

La seconde édition de ce Sommet a eu lieu à Denver dans le Colorado fin octobre 2024. Ce congrès, uniquement sur invitation, a réuni environ 200 personnes et il était organisé en quatre sessions après une introduction générale concernant l'importance de la science dans le débat public et la confiance que nos concitoyens peuvent avoir dans la science.
L’exposé introductif a été réalisé par Charlie Arnot (Look East, USA). Le présentateur a argumenté que les conflits naissent lorsque les attentes sociétales ne sont pas satisfaites par les différents produits ou services auxquels le consommateur a accès. Il s’agit d’un conflit de valeurs. Les attentes sociétales en forte évolution d’une part, et l'acceptabilité sociale des produits animaux d’autre part, sont de plus en plus divergentes en raison d’un conflit de valeurs de plus en plus important. D’un côté, ces attentes sociétales évoluent avec le temps et impliquent, outre un prix d’achat acceptable des produits animaux, la nécessité que ces produits soient issus de systèmes de production éthiques, en respectant les nouvelles valeurs et les attentes des citoyens. La réponse qui est généralement apportée est une réponse plutôt rigide et bureaucratique qui induit des coûts supplémentaires car d’ordre législatif et réglementaire pour satisfaire à des exigences de conformité et gérer les conflits. La question principale ainsi posée est la confiance que nos citoyens ont en la science. Ainsi, on peut distinguer différents groupes sociaux : 1) les scientifiques (6% de la population environ mais 11% de l’audience publique) véhiculent des messages scientifiquement étayés mais sont incapables de les simplifier pour le grand public influençant ainsi que des intellectuels. 2) Ces derniers représentant 9% de la population avec une audience de 14% s'approprient les messages scientifiques avec une grille de lecture favorisant l’éthique, les simplifient et les partagent afin d’apporter de la matière à leurs disciples qui veulent simplement prendre les bonnes décisions. 3) Les penseurs bienveillants (32% de la population avec 40% de l’audience publique) font confiance aux affirmations fortes voire radicales que leur origine soit officielle ou non, et ont tendance à exagérer les impacts des aliments quitte à porter atteinte à leur crédibilité. 4) Enfin, les existentialistes (14% de la population, 25% d’audience) prétendent avoir une moralité exemplaire, sont généralement très engagés politiquement et préfèrent les informations qui valident leurs croyances préalables. La confiance que les citoyens ont vis-à-vis des informations qui leurs sont données résulte d’une combinaison entre les compétences des pourvoyeurs d’information et les croyances des citoyens modérées par diverses influences. Les croyances (basées sur un partage de valeurs) prennent de plus en plus d’importance aux dépens de la compétence supposée des pourvoyeurs d’information (basée sur leur expertise et sur les observations scientifiques).
Tout ceci explique pourquoi les messages scientifiques sont de moins en moins audibles ou de moins en moins crédibles. Nous vivions en effet depuis Galilée dans une société pilotée par la science de plus en plus diffusée à la suite de l’invention de l’imprimerie. Toutefois, le développement des réseaux sociaux comme intermédiaires supplémentaires entre le scientifique et le citoyen amplifient grandement la déconnexion entre une approche scientifique crédible et la société de plus en plus exigeante.

II. SESSION 1. SANTE ET NUTRITION

II. 1. Valeur nutritionnelle des viandes

La première session animée par Frédéric Leroy a porté sur la valeur nutritionnelle des produits animaux. Trois exposés ont porté successivement sur le score PURE pour un régime sain (par Andrew Mente, McMaster University, Canada), la malnutrition dans les pays à revenu faible ou moyen (par Lora Iannotti, Washington University, USA) et la malnutrition dans les pays développés (par Ty Beal, Gain, USA).
Les recherches conduites pendant plus de 10 ans sur le score PURE ont montré que les risques de mortalité liés à une mauvaise alimentation augmentent lorsque la proportion d'énergie apportée par les glucides augmente. Il s'agit bien sûr de l'amidon apporté par les céréales et non pas la consommation de fruits et légumes. En revanche, les mêmes études ont montré que la viande non transformée ou la viande de volaille n’ont aucun effet sur l'augmentation du risque de mortalité, la viande rouge ayant un effet neutre voire légèrement protectrice. Ainsi, un régime bon sur le plan nutritionnel contient non seulement des produits végétaux (légumes frais, fruits, légumineuses, noix, poisson) mais également des produits animaux (poisson, produits laitiers, etc.). Ces résultats ont été obtenus avec plus de 245000 personnes issues de 80 pays et sont en accord avec 6 autres études internationales et les recommandations qui découlent de ces observations diffèrent des premières études réalisées il y a plusieurs dizaines d'années. Un rapport de la FAO intitulé “Contribution of terrestrial animal source food to healthy diets for improved nutrition and health outcomes” confirme ces analyses (la présentation est disponible sur https://drive.google.com/file/d/1f8sv02-G9ulwjoYIxOIct3BOcJzquCSO/view).

Lors de ces travaux caractérisant les régimes bons sur le plan nutritionnel, la viande était bien présente dans ces régimes mais les experts qui ont relu l'article scientifique lors de sa soumission ont considéré qu'il ne fallait pas garder la viande parmi les aliments acceptables en raison de son impact environnemental élevé. Cette observation a soulevé un point de discussion important : est-ce que c’est le critère environnemental qui est le plus important ou au contraire le critère nutritionnel.
L’absence de produits animaux dans les régimes alimentaires peut conduire à deux familles de problèmes : les retards de croissance et les carences surtout dans les pays pauvres (https://drive.google.com/file/d/1koJbhDgzW_uXW1kFgVFHRmkDZ87RBvH5/view) comme expliqué par Dr Lora Iannotti. La malnutrition prévaut dans le monde entier avec des problèmes de surpoids et d’obésité notamment dans les pays développés. Les nutriments absents des régimes alimentaires dans les pays pauvres se trouvent en fortes concentrations et avec une forte digestibilité dans les produits animaux. Tout en protégeant l’environnement et les risques de surconsommation des produits animaux, il est important de protéger les populations vulnérables contre une faible consommation de produits animaux. Les recommandations alimentaires doivent considérer l’entièreté de ces aspects. Nous avons encore besoin de connaissances pour préciser les consommations optimales et la fréquence recommandée de consommation des différentes catégories de produits animaux en particulier pour les différents groupes de population des pays pauvres.
Les différentes carences pour les micronutriments varient en fonction des différentes régions du monde mais sont bien présentes partout comme expliqué par le Dr Ty Beal (https://drive.google.com/file/d/1rUoG6jrYquoZhIVwpOMLRLWUKUG_pKvq/view).

Ainsi par exemple, des carences en fer élevées sont observées pour les femmes au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. En Arabie Saoudite, ce sont plutôt des carences élevées en vitamine D qui sont observées. La consommation d'acide gras de la famille des oméga 3 issus de la pêche est insuffisante en Chine, en Inde, au Moyen-Orient, en Afrique et en Amérique du Sud et dans une moindre mesure en Amérique du Nord. Pour les autres micronutriments tels que la vitamine E, la vitamine C, le fer et le calcium, nous observons également de grandes différences entre pays et entre régions du monde ; en particulier pour le fer, rares sont les pays pour lesquels les populations ont un apport suffisant et c'est probablement la carence qui pose le plus de problèmes en raison de ses impacts importants sur la santé. Aux États-Unis, les carences les plus importantes sont celles en fer, en magnésium, en vitamine C et surtout en iode et en vitamine E. Les aliments mauvais pour la santé réduisent les avantages de la diversité alimentaire et remplacent les aliments bons pour la santé dans les pays à revenu élevé. D'une façon générale, les produits animaux sont les sources uniques de rétinol, de fer héminique, de vitamine B12 et de vitamine D3. La biodisponibilité du zinc et de la vitamine B6 sont très élevés dans les produits animaux. Les produits animaux ont un profil en acides aminés complet et des protéines bien assimilables. Ce sont aussi des sources uniques de DHA et de EPA. Ils apportent aussi des micronutriments avec des effets potentiellement bénéfiques pour la santé qui incluent la créatinine, l’ansérine, la taurine, la cystéamine, la 4 hydroxyproline, la carnosine, le CLA et des peptides bioactifs. Les produits végétaux sont des sources uniques de fibres alimentaires et ce sont des sources importantes de phytonutriments. C'est la source majoritaire de vitamine C. Les produits végétaux sont aussi des sources importantes de folates, vitamine E, magnésium et potassium. En conclusion, les carences en micronutriments sont courantes même dans les pays riches en particulier les carences en fer et en vitamine D. Les carences nutritionnelles sont fréquentes dans les pays riches en particulier pour les acides gras de la famille oméga 3 à longues chaîne, ainsi que pour la vitamine E, la vitamine C, le fer, le calcium, le magnésium et le folate. Les aliments qui sont mauvais pour la santé réduisent les avantages nutritionnels de la diversité alimentaire dans les pays riches en remplaçant les aliments riches en micronutriments. Les aliments d'origine animale et les aliments d'origine végétale contiennent chacun des nutriments spécifiques et complémentaires et de ce fait ces deux familles d'aliments doivent être combinées pour avoir des régimes nutritionnellement bons.

Plus de trois milliards de personnes souffrent d'insécurité alimentaire dans le monde. Garantir l'accès à des aliments de qualité grâce à des systèmes alimentaires équitables est essentiel pour réduire l'insécurité alimentaire. En effet, certaines populations sont très vulnérables à la malnutrition en raison de leur apport alimentaire limité en aliments d’origine animale. Ces populations peuvent être définies selon : 1) leur cycle de vie, notamment celles ayant des besoins biologiques spécifiques (par exemple, les femmes enceintes ou allaitantes, les enfants, les adolescents et les personnes âgées) ; et 2) leur contexte, les personnes confrontées à des obstacles sociaux, économiques ou environnementaux à l'accès aux aliments d’origine animale. Ces dernières années, une série de politiques et de propositions avec éventuellement des taxes contre les aliments d'origine animale ont été adoptées surtout dans les pays à revenu élevé. Ces dispositions entraînent une hausse des taux d'insécurité alimentaire. Gundersen, Iannotti et Leroy (2025) estiment que jusqu'à trois millions d'Américains supplémentaires seront confrontés à l'insécurité alimentaire du fait des seules taxes, ce qui représente une augmentation de près de 10 % du taux global d'insécurité alimentaire.

II. 2 Séance participative de l’audience

La séance qui a suivi a été une séance participative avec l’audience. Un premier temps a été consacré aux interprétations et présentations scientifiques erronées intentionnelles ou non. Un premier biais consiste à détourner l'attention des points importants du discours pour se focaliser sur des détails sans importance. Le second biais consiste à d’abord utiliser certaines évidences pour ensuite développer et faire accepter un raisonnement faux qui aboutit à tirer des conclusions dénuées de sens. La stratégie la plus sophistiquée consiste à rendre accessible et à interpréter de façon biaisée des données sans révéler quelle est parmi les deux méthodes ci-dessus celle qui a été utilisée.
Dans un second temps, les participants ont été questionnés à propos de trois affirmations. La première affirmation a été la suivante : « nous sommes en face d'un paradoxe nutritionnel moderne car il y a de plus en plus de recommandations nutritionnelles et dans le même temps, les différents régimes alimentaires conduisent à des maladies chroniques », cette affirmation a reçu une approbation de 4,4 sur une échelle de 5. La seconde affirmation a été la suivante : « les produits animaux sont parmi les aliments les plus nutritifs et apporter des produits animaux, c'est la façon la plus pertinente de nous alimenter », cette affirmation a été approuvée avec une note de 4,5 sur 5. La dernière affirmation a été : « les aliments ultra transformés sont faits à partir d’ingrédients bon marché et sont convertis en aliments addictifs remplaçant ainsi les autres options alimentaires meilleures pour la santé », cette affirmation a été approuvée avec une note de 3,8 sur 5.
Ensuite, les animateurs de la séance ont proposé un graphique (Figure 1) avec, sur l'axe des abscisses, les régimes à la plus faible densité nutritionnelle qui sont dominés par les céréales et les dérivés végétaux (amidons, huiles, sucres, ...) vers les régimes à la plus forte densité nutritionnelle, constitués principalement de produits animaux (situés à un niveau trophique plus élevé), mais aussi de certains végétaux (comme les légumes à feuilles foncées). Sur l'axe des ordonnées est indiqué le degré de transformation du régime. Les régimes dominés par des produits alimentaires ultra-transformés doivent être évités, quelle que soit leur densité nutritionnelle. Ils conduisent à une suralimentation, ce qui a été démontré par différentes approches, notamment des études d’intervention. Cette surconsommation se traduit alors par une prise de poids, une inflammation, et un risque accru de maladies chroniques. En revanche, les produits alimentaires peu ou moyennement transformés et à trop faible densité nutritionnelle peuvent entraîner une carence en micronutriments. De plus, les régimes alimentaires dominés par des aliments à forte densité nutritionnelle peuvent présenter certains risques nutritionnels pour certains en raison de leur teneur potentiellement très élevée en aliments d’origine animale (transformés), même si ce risque est très incertain et contextuel (de tels régimes peuvent même avoir un potentiel thérapeutique ; régimes cétogènes, régimes zéro glucide). La priorité doit donc être donnée aux régimes à densité nutritionnelle modérée à élevée, constitués d’une combinaison de végétaux nourrissants et d’aliments d’origine animale. Dans cette catégorie, il existe une grande variété de régimes traditionnels disponibles (Leroy et al., 2025).
Ensuite, des questions ont été posées à l'ensemble de la salle. La première question était de savoir si les gouvernements devraient proposer des recommandations alimentaires. Parmi les réponses proposées, celle qui a obtenu le plus de suffrage est que les gouvernements doivent effectivement proposer des recommandations alimentaires mais en préalable, nous devons mieux comprendre les mécanismes physiologiques pour garantir le fondement scientifique de ces recommandations alimentaires. La seconde question a porté sur le graphe proposé par les animateurs de la session principalement Frédéric Leroy. Parmi les réponses proposées, la majorité des participants a considéré que c'était une bonne synthèse, mais insuffisante pour être transformée en recommandations alimentaires. Parmi les mots les plus importants qui ont été retenus par la salle à la suite de cette session, se trouvent logiquement le mot « nutrition » mais aussi le mot « confiance » et le mot « communication ».

Figure 1 : La table de l’alimentation humaine (d’après Leroy et al., 2025).Role societal elevage Dublin Fig1

III. SESSION 2 : ECOLOGIE ET ENVIRONNEMENT

III. 1 Les réactions à la déclaration de Dublin


La seconde session a porté sur les questions d'écologie et d'environnement. Une première intervention par Dr Pablo Manzano a résumé les réactions suite à la déclaration de Dublin https://drive.google.com/file/d/1OjiuYiOqkOIz10yzdfdDkgTAJuXjgeDN/view). Deux réactions majoritaires ont été notées : La première critique des opposants à la Déclaration de Dublin a été une accusation de vouloir réduire les effets négatifs des productions animales. La seconde critique a été le regret que des experts en agroécologie, en sciences environnementales et en sociologie rurale n'étaient pas représentés dans le panel de scientifiques qui ont signé la déclaration de Dublin, ce qui a été contesté par les animateurs de la session. Les animateurs ont considéré que ces critiques ne prenaient pas en compte certains éléments essentiels. Le premier de ces éléments est la diversité des systèmes d'élevage avec des systèmes d'élevage favorisant la bio-circularité et au contraire des systèmes d'élevage étant plutôt de type linéaire. Le second élément (Figure 2) est qu'il faut faire une différence entre ce qui s'appelle l'écosphère (qui correspond en fait au système naturel avec notamment les herbivores sauvages) et la technosphère (qui correspond au système mis en place par l'homme). Dans la technosphère, on trouve l'élevage intensif qui émet beaucoup de CO2 issus de l'utilisation des énergies fossiles en plus des émissions de méthane, mais on trouve également l'élevage extensif caractérisé par une forte émission de méthane mais une faible émission de gaz carbonique. Si on supprime un de ces types d'élevage, en particulier l'élevage extensif, il va y avoir des pâturages abandonnés repeuplés par des herbivores sauvages et ceci va se traduire par des émissions de méthane élevées qui ne seront pas de la responsabilité humaine. Ainsi, supprimer l'élevage ne va pas conduire à une réduction des émissions notamment de méthane. De la même façon, un graphe bien connu montre que plus les animaux produisent soit de la viande soit du lait, moins ils produisent de gaz à effet de serre par kilo de produit. En réalité, si on fait la distinction entre la production de gaz à effet de serre lié à l'augmentation de la productivité par animal voulue par l'homme et la production de gaz à effet de serre liée uniquement à l'animal sans intervention humaine, on se rend compte que ce sont les animaux les plus productifs qui ont les émissions associées à l’intervention humaine les plus élevées (Figure 3). Par le passé, il y avait beaucoup d'herbivores sur la planète qui produisaient énormément de méthane mais qui ont permis d’avoir des sols très fertiles.

Figure 2 : Conceptualisation des émissions dues aux animaux sauvages ou aux animaux d’élevage en fonction des interventions humaines
(d’après Manzano, https://drive.google.com/file/d/1OjiuYiOqkOIz10yzdfdDkgTAJuXjgeDN/view).

Role societal elevage Dublin Fig2

Figure 3 : Conceptualisation des émissions de gaz à effet de serre des animaux d’élevage en fonction de leur productivité
(d’après Manzano, https://drive.google.com/file/d/1OjiuYiOqkOIz10yzdfdDkgTAJuXjgeDN/view).

 Role societal elevage Dublin Fig3

L'élevage utilise directement ou indirectement de vastes étendues de terres, mais les conséquences de ces observations sont souvent évaluées de manière simpliste. Considérer l’utilisation des terres par l’élevage comme systématiquement négative revient à négliger le rôle écologique des herbivores qu’ils soient sauvages ou domestiques, ainsi que l’importance de la gestion optimisée des troupeaux ou des pâturages, dont les effets sont positifs. Simplifier à l’excès l'interprétation de l'utilisation des terres est également problématique. Un exemple bien connu est l'attribution de la majeure partie de l'expansion de la culture de soja à l'élevage, en oubliant la production d’huile de soja. Les systèmes d'élevage dans le monde peuvent être décrits à travers cinq grandes catégories. Trois d'entre elles – le pâturage extensif, l'agriculture intensive associée au territoire et les systèmes de basse-cour – sont traditionnelles et elles sont basées sur la bio circularité. Elles sont aussi dans l’ensemble plutôt durables. Les deux autres – les pâturages améliorés et les systèmes intensifs – sont apparues en raison de la disponibilité d'énergie fossile bon marché, ce qui leur a permis d'atteindre des productivités très élevées, mais a engendré des problèmes en matière de durabilité. Plus généralement, une analyse excessivement simplifiée de l'utilisation des ressources peut conduire à une identification erronée des facteurs qui conduisent à la non-durabilité des systèmes alimentaires, qu'ils soient d'origine végétale ou animale, ou mixtes. De même, le rôle perçu comme systématiquement positif des forêts et des plantations d'arbres dans l'utilisation durable des terres a parfois été mal interprété en raison d’analyses trop simplistes. Le potentiel élevé des systèmes sylvopastoraux à produire des aliments tout en favorisant d'importants stocks de carbone reste insuffisamment exploré, malgré des éléments solides démontrant leur intérêt (Manzano et al., 2025).

III. 2 Quatre exposés scientifiques sur élevage et environnement

Ensuite, quatre exposés ont été présentés. Le premier a porté sur la nécessité de déplacer l'attention excessive portée sur l’animal vers le système de production (par Elna de Lange, GOALSciences, South Africa, L’exposé est accessible sur https://drive.google.com/file/d/1GAqDQnKZHlW7bGpdN9hgOZoRWCXHuh0r/view. Le second était intitulé « Comment donner du sens à la gestion du pâturage pour une meilleure gestion de la santé des sols et des émissions (par Paige Stanley, Colorado State University, USA, https://drive.google.com/file/d/1uOEqkSs4vwAoXWP5TQLLkNYueZnnyrE7/view). Les deux dernières interventions ont porté sur la mesure des gaz à effet de serre et les approches comptables pour un impact multidimensionnel (par Sara Place, Colorado State University, USA https://drive.google.com/file/d/1zyHc0R08zgzsIdDeMD7kJE4aSYffGYwf/view) et sur l’importance de solutions à l’échelle locale (par Enrike Maree, GOALsciences, South Africa https://drive.google.com/file/d/1333qvsA2sMhou6Hko5CeRLneVyN39t6L/view)
Il est intéressant également de comparer l'évolution de notre approche de l'élevage avec l'évolution des téléphones initialement conçus pour seulement communiquer vers des téléphones portables aux multiples fonctions. Au début, l'élevage était là pour assumer essentiellement des fonctions de production mais de plus en plus, on se rend compte que l'élevage assume une diversité de services allant de l'entretien des paysages au maintien de la biodiversité, en passant par le maintien de la fertilité des sols etc. Un outil est en cours de construction pour appréhender l’ensemble des bénéfices d’ordre nutritionnel et les impacts notamment négatifs sur l’environnement. Cet outil d'évaluation et de comparaison des systèmes d’élevage, présenté par Elna de Lange, prend en compte non seulement la contribution des systèmes d’élevage à l’approvisionnement national en protéines, mais aussi différents indicateurs d'impact environnemental. Il est en effet utile de créer des outils interactifs pour les parties prenantes, facilitant la prise de décisions éclairées afin d'optimiser la productivité et la durabilité de l’élevage (de Lange et al., 2025).
Les exposés ont montré également qu'il y avait deux types d'émissions : les émissions liées à l'animal ou les émissions liées au système d'élevage (le « comment »), ces dernières étant sous la responsabilité de l'homme au contraire des premières. Par ailleurs, les études ont montré que les pâturages ont perdu une quantité importante de carbone organique stocké dans les sols, et comme d'une façon générale certains sols sur la planète dans certaines parties du monde ne sont pas saturés, une meilleure gestion du pâturage a un potentiel important pour augmenter les stocks de carbone dans les sols et c'est probablement une opportunité très efficace pour réduire le bilan carbone de l'élevage. La science nous indique donc que les pâturages stockent la majorité du carbone dans les sols. De plus, les émissions de gaz à effet de serre liées aux pâturages sont de loin beaucoup moins importantes que les émissions de gaz à effet de serre liées aux feux sauvages notamment des forêts. Le « comment » pour l'optimisation du pâturage est une opportunité unique pour produire des aliments à partir d'animaux vivants dans leur niche écologique tout en restaurant les stocks de carbone dans le sol et tout en réduisant les gaz à effet de serre. Les derniers travaux de la FAO ont révisé à la baisse la proportion des émissions de gaz à effet de serre due à l'élevage passant de 18% en 2006 à 14,5% puis à 12%. Ceci s'explique par des méthodes de plus en plus précises pour estimer ces émissions et aussi par l'augmentation des émissions des autres activités humaines.
Une courte intervention a ensuite présenté l'évolution de la teneur en méthane dans l'atmosphère en parallèle de l'évolution de la température à la surface de la terre. D'une façon générale, il existe une certaine corrélation entre ces deux mesures, ce qui peut s’expliquer au moins en partie par la présence de ruminants en nombre important à chaque augmentation. Actuellement, nous sommes plutôt dans une période chaude qui n'est pas différente des autres périodes chaudes que la Terre a connu au cours des centaines de milliers d'années précédents notre ère, même si l’origine de ces réchauffements est sans doute différente (phénomènes naturels par le passé ou activités humaines aujourd’hui). Quoi qu’il en soit, de nombreuses questions scientifiques restent sans réponse avec certaines controverses autour de la description et du calcul de l'impact des émissions de méthane sur le changement climatique (Ederer et Iliushyk, 2025)
Des systèmes d’élevage bien gérés, comme le pâturage bien adapté et le sylvopastoralisme, améliorent la santé des sols, la biodiversité et la rétention d'eau tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Cependant, des pratiques d'alimentation intensive (comme la supplémentation alimentaire des animaux et les parcs d'engraissement) augmentent la production de viande et peuvent permettre de gérer efficacement les émissions grâce à des stratégies d'alimentation et de gestion des déjections contrôlées. Une association raisonnée entre le pâturage durable et des systèmes intensifs permet d’optimiser l'utilisation des terres, l’alimentation des hommes et la réduction des émissions, répondant ainsi de manière durable à la demande alimentaire mondiale. Par ailleurs, la capacité des animaux d'élevage, notamment des herbivores, à transformer les fourrages et les sous-produits non comestibles par l’homme en aliments riches en nutriments doit être mieux considérée dans la mesure où elle est essentielle pour la souveraineté alimentaire de l’humanité. In fine, les agriculteurs et les autres acteurs du secteur de l’élevage prennent des décisions fondées sur des observations réelles pour optimiser la durabilité des systèmes, grâce aux innovations et des analyses de cycle de vie. Ils confirment ainsi le rôle essentiel de l'élevage dans la réalisation des missions de l'agriculture aussi bien pour la production d’aliments pour l’homme que pour la gestion raisonnée de l’environnement (Maree et al., 2025).

III. 3 Débats avec les professionnels

Cette séquence a été suivie d'un débat (https://drive.google.com/file/d/12O_sf6LT7zk6_sploL2OJf9Aj2e0DWYO/view) avec des professionnels. Il est ressorti de ces échanges que les professionnels sont prêts à jouer le jeu de la réduction des émissions de gaz à effet de serre avec une préférence pour calculer les émissions nettes et non les émissions brutes. Mais pour cela, les professionnels ont besoin de méthodes précises pour calculer ce bilan carbone afin d'influencer correctement les décideurs politiques. Il faut notamment être en capacité de mesurer les stocks de carbone dans les sols de façon précise. Les messages scientifiques doivent être clairs pour être transmis à l'ensemble des professionnels afin de permettre la prise de bonnes décisions. Les progrès scientifiques sont essentiels pour apprendre à réduire les émissions, et à mieux conduire les animaux tout en garantissant leur santé et tout en gérant au mieux les sols et l'utilisation de l'eau. Pour cela, il est nécessaire de faire évoluer les pratiques. Une question qui se pose est le coût de la mise en œuvre de ces mesures de réduction des émissions (qui doit payer ?). Le système qui fonctionne le mieux est de travailler sur la base du volontariat sans taxe imposée et avec un dialogue efficace entre acteurs. Un autre défi est l'harmonisation des technologies : en effet, les données en provenance des éleveurs sont utilisées par différents organismes pour estimer les émissions de gaz à effet de serre et il y a parfois contradiction entre les différents calculs des émissions. Il y a donc besoin d'une méthode de calcul unique avec des données précises. Les politiques peuvent parfois pénaliser les éleveurs en imposant des règles qui ne sont pas suffisamment étayées sur le plan scientifique. Une meilleure communication est donc importante auprès des politiques. À la question à quoi va ressembler le futur, plusieurs réponses ont été apportées comme par exemple une meilleure collaboration entre tous les acteurs des filières et entre les pays, une meilleure valorisation des coproduits, une bonne adaptation des animaux et une bonne utilisation des innovations technologiques telles que par exemple les capteurs et l'élevage de précision. D'une façon générale, les éleveurs et les filières doivent continuer à générer de la valeur ajoutée car les différents acteurs impliqués doivent pouvoir vivre de leur travail. Parmi les enjeux du futur, figure également la nécessité que les animaux d'élevage doivent être efficaces et robustes pour survivre dans différentes conditions. En Europe, les politiques agricoles ont un impact très important, et encore une fois la science doit étayer les décisions politiques. La science doit aider les éleveurs et les éleveurs doivent aider la science. La transparence doit également être de rigueur. La biocircularité est certainement la clé pour le futur. À la question est-ce que l'élevage extensif seul est capable de nourrir le monde ?, la réponse a été que nous n'avons pas suffisamment de données pour répondre à cette question. Il faut également tenir compte des aspects culturels car, par exemple, en Afrique, les éleveurs sont intéressés par leur capital lié à l’importance de leur cheptel et moins par la productivité. Pour l'instant, les systèmes de pâturage sont parfois optimum, ou au contraire, on observe du surpâturage ou du sous pâturage et ceci doit être amélioré pour optimiser le stockage de carbone dans les sols. Nous avons besoin également d'une vue holistique pour embrasser l'ensemble des impacts positifs ou négatifs de l'élevage et non pas raisonner par silo. En d’autres termes, peut-on avoir une « guilty-free meat » ?. Une meilleure communication auprès du consommateur est nécessaires La question préalablement évoquée de l'éthique de la science peut trouver une réponse dans la déclaration de Dublin et dans le « Denver call for action ».

III. 4 Discussion avec l’audience

La séquence qui a suivi a été une discussion avec l’audience. Plusieurs affirmations ont été proposées aux personnes présentes. La première a été « le nombre total d'animaux d’élevage doit augmenter pour mieux nourrir le monde et pour restaurer la circularité de l'agriculture ». Cette affirmation a été plébiscitée avec une note de 3,3 sur 5. La seconde affirmation « le nombre total d'animaux doit diminuer pour nourrir le monde et restaurer la circularité de l'agriculture » a obtenu une note de 1,9. La troisième affirmation selon laquelle nous avons besoin de davantage d'animaux en liberté et de moins d'animaux à l'intérieur pour des raisons de bien-être et de protection de l'environnement a obtenu une note de 2,4. Au contraire l'affirmation selon laquelle nous avons besoin de moins d'animaux en liberté et davantage d'animaux à l'intérieur pour des raisons de productivité et d'impact climatique a obtenu une note de 2,6. Enfin, l’idée que la marchandisation des produits d'élevage empêche le développement de systèmes d'élevage mieux adaptés aux conditions locales à obtenir une note de 3,1.
Les mots qui ont caractérisés cette session ont été : complexe, compliqué, difficile, communication, durabilité. En d’autres termes, la problématique de l’interaction de l’élevage avec l’environnement est une problématique complexe et difficile qui nécessite non seulement des travaux scientifiques conséquents mais aussi une bonne communication afin de permettre la durabilité de l’élevage.


IV. SESSION 3 : CONSIDERATIONS SOCIETALES

IV.1 Présentation de la WAAP

En introduction du second jour (https://drive.google.com/file/d/173VNyobgRdZd6Djv7PwxuH7NjFQRgnRY/view, Frank Dunshea (Melbourne University, Australie) a présenté l’association mondiale des sciences animales (https://waap.it/) dont il est le président. Cette association regroupe une vingtaine de membres en Amérique, en Afrique et en Asie-Océanie, l’Europe étant représentée par l’EAAP. Les petits éleveurs produisent l’essentiel des produits animaux dans les pays à développement faible ou moyen (75% en Asie, 72% en Afrique, contre 30% en Europe et 8-10% en Amérique). La durabilité des systèmes d’élevage s’appuie 8 concepts : l’alimentation des animaux sans rentrer en concurrence avec l’alimentation humaine, l’ajout de suppléments alimentaires pertinents, l’élevage de races animales locales, le bien-être animal, la consommation de produits animaux de qualité, un élevage en lien avec les pratiques locales, un bon suivi des coûts et bénéfices, et enfin la mise en œuvre des meilleures pratiques d’élevage. Dr Frank Dunshea a conclu sa présentation en soulignant que le réseau de WAAP est parfaitement adapté à la diffusion de la déclaration de Dublin et du Call for Action de Denver.

IV.2 Attentes sociétales et bien-être animal

La session 3 a porté sur les aspects sociétaux de l’élevage. L’animatrice de la session, Colette Kaster (AMSA, USA) a rapporté quelques faits marquants aux Etats-Unis depuis deux ans (https://drive.google.com/file/d/1kVuF00SHRXLVbAU9e-Ex6iLsYuXLdL9G/view). Le débat sur la viande de culture est clos puisque ce produit est autorisé aux USA. Un programme sur la conduite respectueuse des animaux a été mis en place. On observe une importance croissante de la communication sur les réseaux sociaux. Cette introduction a été suivie de trois exposés sur l’équilibre entre les recherches sur le bien-être animal et les attentes sociétales https://drive.google.com/file/d/1MLDT1pfAnId_oEgTabZ6i3T9A8QATUTq/view par Ed Pajor (University of Calgary, Canada), sur les nouvelles technologies au profit de l’amélioration génétique https://drive.google.com/file/d/1AIBKzKFNWLQqv8ZsSYfgzBv2O2bHcu2K/view par Alison Van Eenennaam (University of California-Davis, USA), sur les considérations éthiques concernant l’application de technologies par Paul Thompson (Michigan State University, USA,
https://drive.google.com/file/d/1H1lCNwlgfKfu4ZLvKTLigoFcSk2QFGro/view) et sur l’insécurité alimentaire aux USA https://drive.google.com/file/d/1pXpoAJp1LOasboe_9UnDiKgMphCoAejb/view par Craig Gunderson (Baylor University, USA,.
Les moteurs principaux de la consommation de viande sont les qualités sensorielles (goût, fraicheur) et sanitaires ainsi que le prix et également les qualités nutritionnelles. Les préoccupations environnementales et relatives aux bien-être animal figurent parmi les derniers critères de choix. Cela ne veut pas dire pour autant que le bien-être animal n’est pas important. Il est souvent considéré comme quelque chose d’attendu. Le bien-être animal se définit par la science et les valeurs, ce n’est pas de l’ordre des opinions. L’éthique est aussi une composante du bien-être animal.
Le nouveau modèle conceptuel du bien-être animal repose sur trois piliers en intersection (Figure 4) : le fonctionnement de l’animal en relation avec sa santé et ses productions, ses émotions (souffrance, plaisir) et un comportement naturel. Les recherches conduites se déclinent en 5 domaines : nutrition et hydratation, environnement physique, statut fonctionnel et de bonne santé, interactions comportementales, ces 4 domaines interagissant chacun avec le cinquième domaine intitulé expériences mentales. Les valeurs exprimées par les consommateurs relatives au bien-être animal peuvent être regroupées en 4 blocs : justice, compassion, bienveillance et intégrité. La problématique du bien-être animal est complexe. Comme les problèmes complexes ne peuvent pas être résolus, il s’agit de gérer au mieux le bien-être animal.

Figure 4 : Modèle conceptuel réactualisé du bien-être des animaux d’élevage
(d’après Pajor https://drive.google.com/file/d/1MLDT1pfAnId_oEgTabZ6i3T9A8QATUTq/view)

Role societal elevage Dublin Fig4

La production issue de l’élevage (en millions de tonnes de protéines) est la plus importante en Asie du Sud-Est et de l’Est (19,4), puis en Amérique du Sud (12,2), en Amérique du Nord (10,1), en Europe (10,4) et en Asie du Sud-Ouest (9,7) étant en troisième importance. Mais c’est en Afrique et en Amérique du Sud que le nombre de bovins augmente et est de loin le plus élevé alors que le nombre de bovins reste globalement stable en Inde, en Amérique du Nord et en Europe. La productivité (production de viande par animal) est la plus élevée aux USA et beaucoup plus faible en Afrique et surtout en Inde. Les émissions de gaz à effet de serre issues de l’élevage (en million de tonnes de CO2 eq) sont de loin les plus élevées en Amérique du Sud (1889), en Asie du Sud-Est et de l’Est (1576), en Asie du Sud-Ouest (1507), et plus faibles en Amérique du Nord (609) et en Europe (579). Différents moyens de réduire ces émissions ont été présentées. Concernant les entreprises produisant des substituts de viande, elles sont surtout dans les pays développés (81,6%), surtout aux Etats-Unis. Dans les pays en voie de développement, elles sont surtout en Inde, en Chine et au Brésil.

IV.3 Nouvelles technologies et amélioration génétique

En génétique, les progrès sont permanents et cumulatifs d’une génération à l’autre. Ils se sont accélérés à partir des années 2010 avec l’évènement de la génomique, qui, combinée avec la reproduction et les biotechnologies, permet des progrès importants. A l’exception du Brésil, l’insémination artificielle est largement plus utilisée en bovins laitiers qu’en bovins viande. D’une façon générale, les émissions par kg de carcasse sont plus faibles en bovins laitiers qu’en bovins viande et ces émissions peuvent être réduites par l’amélioration génétique. L’édition du génome est également une technique intéressante pour améliorer certains phénotypes, comme par exemple le rendement. Cette technologie tout comme celle des OGM peut faire l’objet de réglementations qui, pour faire simple, sont différentes entre l’Amérique d’une part, l’Europe et l’Asie d’autre part. Mais la réglementation peut évoluer (exemple du Japon initialement réticent aux OGM). D’une façon générale, les progrès génétiques sont moins importants dans les pays en développement qui concentrent pourtant 76% des bovins et 75% des émissions de gaz à effet de serre par les ruminants (Van Eenennaam, 2025).

IV.4 Ethique et technologies

L’éthique technologique est quelque chose d’important dans la mesure où les technologies doivent améliorer la vie des citoyens et des consommateurs sans coût financier ni nuisances injustifiées. Cela amène à se poser la question à qui s’adresse l’agriculture. Une première réponse est que l’agriculture est utile pour tout le monde car l’agriculture produit des aliments. Dans ce cas, il faut avoir une stratégie d’intensification durable pour être en capacité de nourrir le monde. Une autre réponse est de dire que l’agriculture est d’abord pour les agriculteurs eux-mêmes car elle permet de maintenir la cohésion sociale de cette profession. Dans ce cas, il faut renforcer la résilience rurale. Une troisième réponse renvoie à notre besoin physiologique de nous nourrir et l’agriculture contribue ainsi à notre culture et aux fondements de notre société. Une agriculture urbaine est dans ce cas pertinente. Si l’agriculture ne dessert personne en particulier, elle doit être ouverte à une certaine modernisation technologique. Pour chacune de ces réponses, plusieurs options contradictoires sont possibles. Par exemple, la stratégie d’intensification durable peut s’attendre comme disséminer des méthodes dites industrielles y compris aux pays moins développés ou au contraire s’appuyer sur de nombreux petits producteurs en déployant les principes de l’agroécologie et en favorisant l’autonomisation des bassins de production. De même, une agriculture urbaine peut s’entendre comme le développement de circuits courts pour mieux valoriser les productions actuelles ou le développement de technologies avant-gardistes comme la viande de culture. Dans ce contexte, les actions d’évaluation et de communication doivent considérer la complexité croissante des considérations éthiques des innovations technologiques dans le domaine de l’alimentation, mais, contrairement au secteur médical, le secteur agricole est beaucoup moins investi dans ces questions éthiques. En résumé, les capacités institutionnelles en matière de recherche éthique en agriculture sont sous-développées. L’éthique technologique dominante met l'accent sur les innovations qui favorisent l'amélioration de la santé, de la richesse et du bien-être, mais restreint les technologies qui le font au détriment des droits individuels et des populations vulnérables. D'autres visions éthiques privilégient l'importance de la production alimentaire et investissent dans les producteurs alimentaires eux-mêmes, porteurs de valeurs culturelles et éthiques uniques (Thompson, 2025).
Alors que l’insécurité alimentaire avait diminué sur la période 2015-2021, elle repart à la hausse en raison de l’inflation. Dans ce contexte, il est important de réfuter scientifiquement certains arguments : l’orateur Craig Gunderson s’est exprimé de façon journalistique en disant que non la consommation de viande n’est pas mauvaise pour la santé, non les consommateurs ne vont pas s’arrêter de consommer de la viande. La mise en place de taxes sur les produits carnés augmenterait l’insécurité alimentaire.

IV.5 Discussions avec l’audience

La séquence qui a suivi a été une discussion avec l’audience. Plusieurs questions ont été posées. La première a été « Nous sommes face à un paradoxe éthique moderne. Il n’y a jamais autant de technologies pour améliorer les systèmes d’élevage, mais nous n’avons jamais été aussi peu autorisés de les utiliser ». Cette affirmation a été plébiscitée avec une note de 3,3 sur 5. La seconde affirmation « tout bien considéré, les animaux d’élevage vivent une vie meilleure que leurs cousins sauvages éloignés » a été plébiscité avec une note de 3,4. La troisième affirmation « la génétique est le levier le plus puissant pour améliorer les performances des animaux » a reçu la note 3,7. La quatrième affirmation « Les agriculteurs et l’industrie doivent améliorer leur capacité à engager un discours éthique avec la société » a été fortement plébiscitée (note 4,5). Enfin, l’affirmation « Les droits de l’homme, en particulier le droit d’avoir les moyens de se nourrir correctement, ont préséance sur les considérations liées au bien-être animal » a été plébiscitée avec une note de 3,4. 

V. SESSION 4 : COMMENT ALLER DE L’AVANT

V.1 Retour sur la déclaration de Dublin

Au cours d’un premier exposé (https://drive.google.com/file/d/1oopQ03spjt803AQeYm7-tQOZyIR_rDmS/view), Frédéric Leroy a expliqué comment la déclaration de Dublin est en accord avec les déclarations faites au « Food Systems Summit » de 2001 des Nations Unies et comment les activistes anti-élevage essayent de contester la déclaration de Dublin en utilisant parfois des méthodes condamnables (comme par exemple discréditer explicitement certains chercheurs). Des chercheurs des journalistes qui contestent la déclaration de Dublin et mettent en avant les liens d’intérêts des signataires de la déclaration ont eux-mêmes des conflits d’intérêts.

Il a été rappelé que la déclaration de Dublin ne prône pas une stratégie « business as usual ». La déclaration n’est pas non plus un soutien inconditionnel à l’élevage, mais un appel à ce que « les systèmes d'élevage doivent progresser sur la base des standards scientifiques les plus élevés ».
Dans la conférence qui a suivi (https://drive.google.com/file/d/1QBFsdIvY8apEeEm9AKEYACPt_ZZIALqF/view), le Prof Meng (China Agricultural University, Pékin) a expliqué quelle était l’importance de l’élevage en Chine et comment la déclaration de Dublin a été perçue dans son pays. Il a encouragé la communauté scientifique à ne pas oublier les pays asiatiques notamment la Chine (premier pays d’élevage dans le monde) qui peut potentiellement organiser le prochain congrès sur ce sujet à la suite du congrès de Denver. L’importance économique de l’élevage dans les pays asiatiques n’est plus à démontrer notamment en termes de revenus pour les éleveurs. L’élevage est également important pour la souveraineté alimentaire des pays. L’élevage favorise aussi le développement de l’économie rurale, du e-commerce et de l’emploi notamment des femmes. Les déjections animales sont également une source de revenus pour générer des biogaz ou pour fertiliser les sols. Les tendances futures s’appuient sur les innovations technologiques mais aussi sur le développement durable utilisant peu d’énergie pour respecter l’environnement en incluant également le recyclage des biomasses. Parmi les défis à relever, il y a le développement de l’élevage intensif qui pose question, l’utilisation de races locales peu productives, la gestion de la diversité des préférences des consommateurs et la difficulté des consommateurs âgés à appréhender les approches numériques (notamment le e-commerce). En conclusion, le futur est brillant mais le chemin à parcourir est sinueux.

V.2 Science et société

Ensuite, l’hôte de ce congrès (le Prof Keith Belk, Colorado State University) a expliqué le rôle de la science dans la société (https://drive.google.com/file/d/1HsdrMzk8AIkbtMMR6Nn_Sx6tkXyk9Dub/view). Tout ce qui est sur internet n’est pas vrai et l’élevage est attaqué par des personnes qui ne connaissent pas le sujet mais qui veulent changer les choses. La recherche est par définition un mécanisme qui permet de générer de nouvelles connaissances fondamentales ou appliquées. La rigueur de l’approche scientifique permet une bonne reproductibilité des études pour confirmer les premières conclusions. La transparence, la formation des scientifiques, leur qualification sont des préalables qui assurent la crédibilité des approches scientifiques. La science est bien un processus difficile et complexe. La science doit avoir des impacts dans la société mais quand la science devient la base d'une nouvelle politique établie par un gouvernement, ce n'est plus une question académique mais bien une question politique. Le domaine de l’alimentation nous concerne tous car nous sommes tous des « mangeurs » et les citoyens sont demandeurs de science notamment dans ce domaine. Toutefois, face à l’avalanche d’information sur ce sujet, notre cerveau est débordé et n’est pas toujours apte à trier entre les vraies et les fausses informations. Chacun de nous réagit aussi en fonction de ses émotions et, face à la diversité des moyens de communication, accorde sa confiance à certains d’entre eux que ce soit à tort ou à raison. Les scientifiques ne doivent pas communiquer directement au grand public, mais bien aux influenceurs qui ont la confiance du public. Répéter les mêmes messages sur différents canaux est également une façon d’augmenter son audience. Pour progresser, la société doit comprendre comment la science fonctionne (Belk et al., 2015).

La dernière présentation a été assurée par le Prof Alexa Lamm de l’université de Georgia sur comment communiquer les résultats scientifiques aux décideurs politiques et aux consommateurs. La façon dont un message est perçu et atteint l’audience cible dépend à la fois du message lui-même mais aussi de la source de ce message et du canal de diffusion (Figure 5). L’audience peut elle-même être segmentée en différents groupes de personnes (ONG, consommateurs, citoyens, décideurs, etc.). Le canal de diffusion peut-être un des nombreux réseaux sociaux, ou encore les médias plus traditionnels (presse écrite, radio, télévision). Comment le message est formulé est de grande importance car les scientifiques s’expriment avec des précautions s’appuyant sur de statistiques ou des probabilités, tandis que les citoyens demandent des résultats scientifiques validés. La source à laquelle nous prenons attention est souvent une personne en qui nous avons confiance ou au contraire un collectif. L’avalanche d’informations est telle qu’il y a un véritable « goulot d’étranglement » dans ce que nous pouvons retenir et surtout ce qui est réellement utilisé en pratique (Lamm, 2025).

Figure 5 : Les piliers de la communication des messages scientifiques (adapté de Lamm, 2025).

Role societal elevage Dublin Fig5

VI. CONCLUSIONS 

En octobre 2022, la Déclaration de Dublin des scientifiques sur le rôle sociétal de l'élevage a été publiée lors du premier Sommet international sur le rôle sociétal de la viande, qui s’est tenu à Dublin. Depuis, plus de 1 200 scientifiques du monde entier ont signé la Déclaration, chacun ayant fait l’objet d’une vérification de ses qualifications scientifiques pertinentes. La Déclaration commence par les mots : « Les systèmes d'élevage doivent progresser sur la base des standards scientifiques les plus élevés. Ils sont trop nécessaires à la société pour être l’objet de simplifications, de raccourcis ou de parti-pris fanatique ».
Aujourd’hui, deux ans plus tard, ces paroles n’ont rien perdu de leur importance. Une urgence renouvelée a conduit à l’Appel à Action de Denver (https://www.dublin-declaration.org/fr/lappel-a-action-de-denver) déclinés en 3 points :
1) Appel à une politique guidée par le souci d'une alimentation adéquate (Le discrédit généralisé de la viande, des produits laitiers et des œufs doit cesser afin que nous puissions revenir à des recommandations alimentaires pleinement fondées sur des preuves scientifiques, économiquement et culturellement appropriées, qui nourrissent et respectent à la fois les consommateurs et les producteurs de ces aliments, au lieu de les discréditer sans cesse).
2) Appel à la reconnaissance de la complexité des systèmes d'élevage et de l'écologie (Nous appelons les décideurs politiques à rejeter les représentations trop généralisées des systèmes d’élevage comme étant intrinsèquement nocifs pour la planète ; en outre, ces jugements doivent être cohérents avec des approches holistiques de la durabilité sur les plans éthique, économique, social et environnemental).
3) Appel à des normes élevées de preuves et de respect de la science. « Nous encourageons les décideurs politiques à écouter attentivement les commissions scientifiques et les groupes d'experts où l'ensemble des preuves est présenté, soulignant ce qui est connu et ce qui ne l'est pas ; et où le rôle des scientifiques est de se confronter les uns aux autres en appliquant des méthodes scientifiques rigoureuses, dans le respect mutuel et avec ouverture d’esprit ». 

Références

Belk K.E., Scanga J.A., Nair M.N., Zhang P., Geornaras G., Delmore R.J. (2025). Perspective: the role of science in society. Animal Frontiers, 15, 1, 97–101, https://doi.org/10.1093/af/vfae035
de Lange E., du Toit L., Fletcher A., Iliushyk T., Kalinovska B., Lupton N., Maree E., Ederer P. (2025). Shifting the focus from animal species to livestock production systems: an interactive tool for evaluating food contributions relative to environmental impacts. Animal Frontiers, 15, 1, 72–79, https://doi.org/10.1093/af/vfaf008
Ederer P., Iliushyk T. (2025). In search of better models for explaining atmospheric methane accumulation. Animal Frontiers, 15, 1, 34–42, https://doi.org/10.1093/af/vfaf001
FAO. (2023). Contribution of terrestrial animal source food to healthy diets for improved nutrition and health outcomes – An evidence and policy overview on the state of knowledge and gaps. Rome, FAO. https://doi.org/10.4060/cc3912en
Gundersen C., Iannotti L., Leroy F. (2025). Food security at risk: the consequences of limiting animal source foods. Animal Frontiers, 15, 1, 2025, 24–33, https://doi.org/10.1093/af/vfae030
Lamm A.J. (2025). Communicating with society about the science behind meat and livestock production. Animal Frontiers, 15, 1, 94–96, https://doi.org/10.1093/af/vfae039
Leroy F., Beal T., de Mûelenaere N., De Smet S., Heinrich F., Iannotti L., Johnston B., Mann N., Mente A., Stanton A. (2025). A framework for adequate nourishment: balancing nutrient density and food processing levels within the context of culturally and regionally appropriate diets. Animal Frontiers, 15, 1, 10–23, https://doi.org/10.1093/af/vfae032
Manzano P., de Aragão Pereira M., Windisch W. (2025). Vast extension but positive outcomes, reduced but negative: complexity and nuances in evaluating land use by livestock and crops. Animal Frontiers, 15, 1, 43–54, https://doi.org/10.1093/af/vfae051
Maree E., Blignaut J., Gilliland J., Lee M.R.F., Manzano P., McCosker T., du Toit L., Truter W., Weinheimer B., Polkinghorne R. (2025). Ruminant livestock farmers and industry are leading innovation to deliver human nutrition and improved environmental outcomes through sector lifecycle collaboration: a review of case studies. Animal Frontiers, 15, 55–71, https://doi.org/10.1093/af/vfae050
Thompson P.B. (2025). Perspective: ethical considerations of animal-sourced foods. Animal Frontiers, 15, 1, 91–93, https://doi.org/10.1093/af/vfae036
Van Eenennaam A.L. (2025). Current and future uses of genetic improvement technologies in livestock breeding programs. Animal Frontiers, 15, Pages 80–90, https://doi.org/10.1093/af/vfae042

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