Revue Française de la recherche
en viandes et produits carnés

ISSN  2555-8560

IGP Agneau de lait des Pyrénées : première étude exploratoire

 

Intérêt de produire des agneaux croisés en Indication Géographique Protégée (IGP) Agneau de lait des Pyrénées : première étude exploratoire
 
L’agneau de lait des Pyrénées est une production ancestrale et traditionnelle des Pyrénées Atlantiques sous Label Rouge (depuis 1992) et IGP (depuis 2012). Prochainement révisé, le cahier des charges IGP autorisera le croisement entre races locales laitières et les races à viande locales pyrénéennes. Ce travail vise à évaluer précisément l’intérêt de ce croisement. Cette démarche permettra d’enrichir un argumentaire économique vis-à-vis des éleveurs et de conforter les connaissances collectives pour défendre les produits sous SIQO.
 

I. INTRODUCTION

L’agneau de lait des Pyrénées est une production ancestrale et traditionnelle des Pyrénées Atlantiques. Dans une saison de production de brebis laitières, il est le premier produit valorisé par les éleveurs. Afin de démarquer la qualité de ce produit haut de gamme, apprécié des plus grands chefs, et de créer de la valeur ajoutée à leur production, les éleveurs Pyrénéens ont souhaité s’engager dans une démarche sous signe officiel de qualité. En 1992, ils ont obtenu le Label rouge et, en 2012, l’Indication Géographique Protégée (IGP).

Ces signes de qualité s’appuient, parmi les choix forts, sur les races locales (Manech Tête Rousse, Manech Tête Noire, Basco-Béarnaise) et une alimentation exclusivement au lait maternel. L’agneau de lait des Pyrénées se caractérise par une production saisonnière, de fin octobre à début juin, avec un pic de production important lors des fêtes de fin d’année, puis une diminution linéaire ensuite jusqu’à juin. Si la demande espagnole est importante pour les fêtes de fin d’année (mais elle s’érode chaque année), la demande est, quant-à-elle, faible en hiver mais elle surpasse largement la production pour les fêtes de Pâques.
Le marché espagnol absorbe 80% des volumes produits : les consommateurs espagnols consomment culturellement l’agneau de lait à Noël. En France, la consommation s’oriente autour des fêtes de Pâques. Les restaurateurs gastronomiques et bistronomiques sont les principaux clients de la filière sur le marché français de l’Agneau de Lait des Pyrénées (70%), mais le produit peine à se faire une place dans les ménages qui consomment culturellement l’agneau plus âgé. En parallèle, l’importation d’agneaux lourds (en provenance de Grande-Bretagne, d’Irlande ou de Nouvelle-Zélande) représente 50% de la consommation française.
Chaque année, les sept cents éleveurs engagés dans la filière Agneau de lait des Pyrénées IGP et Label rouge produisent 150 000 agneaux labellisables, dont seuls 20 000 sont labellisés, la faute à un manque de notoriété, une trop faible corrélation entre la saison de production (surtout en période hivernale) et la saison commerciale (principalement lors de fêtes de Pâques), et une conformation de produit qui pourrait être optimisée.

L’IGP Agneau de lait des Pyrénées permet de valoriser des agneaux issus du croisement entre une mère de race locale laitière et un père issu d’une des quatre races à viande suivantes : Charolais, Berrichon du cher, Texel et Suffolk. Seuls les agneaux nés et élevés dans le département des Pyrénées-Atlantiques au sud du gave de Pau (une partie du Pays Basque et du Béarn), issus exclusivement de mères de races locales (Manech Tête Rousse, Manech Tête Noire, Basco-Béarnaise) et nourris exclusivement au lait maternel, par tétée au pis, peuvent prétendre à l’appellation IGP.
De nombreuses autres exigences comme l’alimentation des mères, leur durée du pâturage, l’interdiction des antibiotiques, le confort des animaux, entrent également dans le cahier des charges de l’IGP.
L’actuel cahier des charges Agneau de Lait des Pyrénées sera prochainement révisé et permettra la création d’un cahier des charges IGP Agneau des Pyrénées. Celui-ci autorisera quant-à-lui le croisement entre races locales laitières et les races à viande locales pyrénéennes. Ces croisements entre ces races permettront de commercialiser des agneaux de lait, mais également des agneaux de boucherie . Parmi les races à viandes Pyrénéennes prochainement autorisées dans l’IGP, l’une d’elles possède des caractéristiques bouchères potentiellement intéressantes dans le cadre d’un croisement : la Montagne Noire. Ainsi, l’observation sur le terrain permet de faire l’hypothèse que ces croisements entraîneront une croissance plus rapide et une conformation plus adaptée aux marchés, et donc de produire des agneaux ayant beaucoup plus de qualités commerciales (le paiement des agneaux étant fonction du poids, de l’état d’engraissement et de la conformation).
En effet, au-delà des performances de croissance, la caractérisation complète des races doit inclure les caractéristiques sensorielles afin de fournir des informations pertinentes pour les marchés hautement compétitifs, puisque les attributs de la viande d'agneau déterminent si les consommateurs choisissent l'agneau plutôt que le bœuf, le porc, la volaille ou le poisson, ou encore s'ils découragent la consommation d'agneau (Shackelford et al., 2012). En dépit de l’intérêt commercial, et d’un prix intéressant, les éleveurs ne pratiquent que rarement ce type de croisement, alors qu’il pourrait être mis en œuvre plus fréquemment, notamment sur les jeunes femelles ou sur les femelles non fécondées à l’issue de la première insémination (c’est à dire sur des animaux ne participant pas au renouvellement du troupeau).
Il existe plusieurs freins à la mise en place du croisement sur le terrain. D’une part, pour les troupeaux transhumants et regroupés, il peut s’avérer difficile de gérer la lutte indépendamment des autres troupeaux. D’autre part, la question du travail est aussi mise en avant, dans l’ensemble des élevages, car il faut pouvoir gérer simultanément des lots de lutte avec des béliers de race locale et des béliers de race à viande. La mise à la reproduction à un an est, elle aussi, en recul, aussi pour des contraintes d’organisation du travail. Il faut donc démontrer que le gain individuel et collectif compense le travail lié à la gestion des luttes.
Dans un contexte où la production d’agneaux croisés stagne, voir régresse depuis plusieurs années, l’objectif de ce travail a été de réévaluer précisément l’intérêt du croisement, en termes de gain de croissance et de poids, mais aussi de composition corporelle, conformation, et qualités sensorielles des viandes d’agneaux (tendreté, couleur du muscle et du gras). Cette démarche devra permettre en particulier d’enrichir un argumentaire économique vis-à-vis des éleveurs, et de conforter les connaissances collectives pour défendre les produits sous SIQO, l’agneau de lait des Pyrénées et la future IGP agneau des Pyrénées en instruction.
 

II. MATERIEL ET METHODES

2.1. Echantillonnage

L’essai a comparé des agneaux de race pure et des agneaux croisés soit avec des races bouchères soit avec la race Montagne Noire (Tableau 1).
L’étude a été menée sur 3 troupeaux issus de 3 coopératives partenaires.
Les élevages participant s’étaient engagés à :
- sélectionner des mères de race locale (Basco-Béarnaise ou Manech Tête Rousse)
- contrôler simultanément une lutte avec des béliers de race donnée
- utiliser en reproduction des animaux jeunes (3 à 5 ans).

Les données relatives à la mère des agneaux (identifiant, âge, production laitière à la campagne précédente et lors de la campagne en cours, index génétique) ont été collectées en élevage.
Les agneaux ont été pesés à la naissance, à 10 jours et la veille de l’abattage.
Pour un lot d’élevage, l’ensemble des agneaux a été transporté à l’abattoir (pour un total de 57 agneaux) ; les agneaux ont été abattus simultanément dans un même abattoir commercial, à un âge moyen de 35 jours. Les carcasses ont ensuite été découpées en 3 morceaux (gigots, palettes, épaules) par demi-carcasse et congelées.

En raison de la pandémie COVID-19, les animaux ont été abattus sur deux périodes différentes : 33 agneaux ont été abattus entre janvier et février 2020, tandis que les 24 suivants ont été abattus en décembre 2020.

Tableau 1 : Dispositif expérimental
P1 : nombre d’animaux abattus en période 1 ; P2 : nombre d’animaux abattus en période 2

Agneaux croises Tab1

2.2. Analyses réalisées

Vingt-quatre heures après décongélation, les carcasses des agneaux ont été entièrement disséquées (découpe anatomique) afin de déterminer la part d’os, de gras et de muscle de la carcasse ainsi que les poids du gigot, de la palette et de l’épaule.
Pour chaque animal, ces trois morceaux ont été caractérisés en termes de propriétés rhéologiques (Salé, 1971) et de couleur (L* : clarté ou luminance ; a* : indice de rouge ; b* : indice de jaune). Les valeurs de ΔE*=(ΔL*²+Δa*²+Δb*²)1/2 ont été déterminés de sorte d’évaluer si les écarts mis en évidence entre échantillons de races différentes étaient visibles à l’œil nu à savoir si ΔE*>2 pour la viande (Gómez-Polo et al., 2016) et ΔE*>5 pour le gras (Oliveira et al., 2012).
Des mesures de couleur ont été faites sur la viande et le gras intermusculaire de chaque morceau avec un chromamètre Konica Minolta CR400, utilisant l’illuminant D65, un angle de 2°, une ouverture de 8 mm de diamètre et le logiciel SpectraMagic NX.
Pour évaluer la force de cisaillement, cinq carottes de 0,1 à 1,4 cm d’épaisseur ont été découpées dans chaque morceau (gigot, épaule, palette) dans le sens des fibres. Ces carottes ont été cisaillées avec une lame pleine de Warner Bratzler. Les résultats de la force de cisaillement ont ensuite été transférés sur le logiciel Trapezium X. La force de cisaillement a été évaluée sur la viande crue et la viande cuite (cuisson au four à chaleur tournante – 180°C à cœur, 40 min / kg, dans des poches de cuisson). 
2.3. Analyses statistiques

L’objectif étant d’étudier l’effet du croisement et plus spécifiquement du croisement avec des pères Montagne Noire, et ce quelles que soient la race de la mère et les conditions d’élevage, trois lots distincts ont été analysés : le lot des animaux de race pure (BB_BB et MTR_MTR, n=17), le lot des animaux croisés Montagne noire (BB_MN et MTR_MN, n=20) et le lot des autres animaux croisés (BB_CHA et MTR_BER, n=20) (Tableau 1).

Pour chacune des analyses,
- Les données relatives aux animaux (âge, croissance, gains de poids, poids vif, poids de la carcasse) ont été traitées par analyse de variance à 1 facteur fixe (croisement – 3 modalités : Autres Croisements, Croisés MN, PUR) avec le logiciel R.
- Les données relatives aux propriétés musculaires (couleur, force, composition du muscle, pH) ont été traitées par analyse de variance à 2 facteurs fixes avec le logiciel R. Les facteurs testés (croisement et muscle) comportaient respectivement 3 modalités chacun : Autres Croisements, Croisés MN et PUR ; Epaule, Gigot et Palette. Les trois muscles ont été considérés comme des mesures répétées dans le modèle. L’interaction croisement x muscle a également été considérée.

L’objet de ce travail étant d’étudier l’effet du croisement sur les propriétés des animaux et des viandes, nous nous sommes concentrés ci-après sur ces effets « croisement » avec ou sans interaction avec les effets muscle. Lorsqu’une interaction entre le croisement et le muscle a été mise en évidence, aucune conclusion sur l’effet du croisement n’a pu être tirée, la race ayant dans ces cas-là un effet variable selon le muscle considéré.

 
III.    RESULTATS

3.1. Effet du croisement sur la croissance des agneaux

Nés à même poids et abattus à même âge, les agneaux croisés ont présenté, dans cette étude, une croissance plus rapide que les agneaux de race pure, conduisant à un poids vif à l’abattage et un poids de carcasse significativement plus élevés (Tableau 2 ; Figure 1).
Les rendements carcasse n’ont, en revanche, pas été affectés par le croisement, de même que la part d’os dans la carcasse. Les animaux croisés, dont la croissance a été plus rapide et le poids à l’abattage supérieur, ont logiquement présenté des carcasses significativement plus grasses que les agneaux de race pure, ceux-ci ayant de fait, des proportions supérieures de muscle. La part des différents morceaux n’a quand-à-elle pas été affectée par le croisement (Tableau 2).

Tableau 2 : Performances de croissance et propriétés des carcasses des agneaux selon le croisement

Agneaux croises Tab2sd : standard deviation ;
Des lettres en exposant différentes sur une même ligne témoignent d’une différence significative entre les croisements concernés.
*** : p<0,001 ; ** : p<0,01 ; * : p<0,05 ; ns : non significatif
 

Figure 1 : Représentation du poids vif, du poids de carcasse et du gain moyen quotidien des agneaux selon le croisement
Les box plot représentent la médiane, les quartiles, les valeurs minimales et maximales.

Agneaux croises fig1

3.2. Effet du croisement sur les propriétés des muscles et des viandes

Le croisement n’a pas eu d’effet sur les indices L* et a* du gras (Tableau 3). En revanche, quel que soit le muscle considéré, les animaux de race pure ont présenté des gras moins jaunes (indice b*) que les animaux croisés (quel que soit la race du père). Les valeurs de ΔE* (Tableau 4) permettent de supposer que le croisement n’a pas affecté visuellement la couleur des gras (valeur ΔE*>5).
Concernant la couleur de la viande, si l’indice de jaune a, cette fois, été stable entre les différents croisements, on peut noter que les agneaux de race pure et croisés MN ont présenté des viandes plus claires (L* plus élevé) que les agneaux issus des autres croisements. Ces derniers ont également eu des viandes plus rouges (indice a*).
Le croisement semble ainsi pouvoir affecter visuellement la couleur des muscles (valeur ΔE*>2), les agneaux croisés MN et de race pure présentant des gigots et des palettes de couleur significativement plus claires et moins rouges que les agneaux croisés avec d’autres races. Les agneaux croisés MN et purs semblent en revanche être à l’origine de viandes de couleurs similaires, quel que soit le muscle considéré.

Tableau 3 : Propriétés des muscles et viandes des agneaux selon leur croisement et résultats des tests statistiques (ANOVA 2 facteurs : croisement et morceau + interaction croisement x morceau)

Agneaux croises Tab3

*** : p<0,001 ; ** : p<0,01 ; * : p<0,05 ; ns : non significatif
L’interaction n’étant jamais significative, elle n’a pas été notée dans le tableau.



Tableau 4 : Valeurs de ΔE* entre les races pour les différents morceaux étudiés.

Agneaux croises Tab4Par définition, ΔE*=(ΔL*²+Δa*²+Δb*²)1/2

 Quel que soit le croisement, la composition des muscles en os, gras et muscle est restée inchangée.
Enfin, concernant les propriétés texturales (évaluées par le biais de la force nécessaire pour cisailler un morceau de viande), il ressort que si le croisement n’a pas eu d’effet sur la viande crue, il a conduit à des écarts significatifs sur la viande cuite : les viandes des agneaux de race pure étant légèrement plus dures (force supérieure) que celles des agneaux croisés MN, les viandes des agneaux issus d’autres croisements étant quant-à-elle significativement plus tendres.

Figure 2 : Représentation des forces de cisaillement des viandes crues et cuites selon le croisement
Agneaux croises fig2
Les box plot représentent la médiane, les quartiles, les valeurs minimales et maximales.

IV. DISCUSSION : INTERET DE PRODUIRE DES AGNEAUX CROISES EN INDICATION GEOGRAPHIQUE PROTEGEE
 
D’après la littérature, la qualité de la viande est une caractéristique très importante pour les consommateurs et c'est pourquoi les effets des différentes races et des croisements sur les caractéristiques de qualité de la viande sont étudiés avec un intérêt croissant (Hoffman et al., 2003 ; Hopkins et al,. 2007 ; Jandasek et al., 2014 ; Landim et al., 2011 ; Martı́nez-Cerezo et al., 2005 ; Monaco et al., 2015; Tejeda, Peña, et Andrés 2008). Der Merwe et collaborateurs indiquent que lorsque des agneaux de différentes races sont abattus à poids différents, il est possible que les différentes races diffèrent non seulement en termes de taille et de forme de la carcasse, mais aussi en termes de caractéristiques de qualité de la viande (Der Merwe et al., 2020). Ainsi certains auteurs ont constaté des différences de qualité de viande entre différentes races et différents poids à l'abattage (Suarez et al., 2000), tandis que d'autres n'ont pas trouvé de différence (Sañudo et al., 1997 ; Solomon et al., 1980). Okeudo et Moss ont constaté que les corrélations entre la plupart des paramètres de qualité de la viande et le poids à l'abattage étaient hautement significatives, pour des animaux dont le poids à l'abattage était compris entre 32 et 56 kg (Okeudo et Moss, 2008). Monaco et al. (2015) ont, quant-à-eux, établi que la tendreté de la viande était variable selon les races alors même que l’évaluation des paramètres physiques et chimiques est pratiquement équivalente entre différents types de races. De même, Costa et al. (2009) n'ont trouvé aucun effet de la race sur la force de cisaillement. A l’inverse, une corrélation négative a été mise en évidence entre le poids à l’abattage et la force de cisaillement de la viande (Hoffman et al., 2003 ; Okeudo et Moss, 2008). Cet état des lieux bibliographique permet d’établir qu’il existe effectivement un effet de la race sur la tendreté, mais que celui-ci est variable selon les races étudiées. Toutefois, quel que soit le résultat, Hoffman et al. (2003) indiquent que, si des différences mesurées objectivement dans les caractéristiques physiques de qualité de la viande sont observables entre races, l'étendue de la variabilité observée pour ces caractéristiques se situe toujours dans une fourchette acceptable pour les consommateurs.  De même, Der Merwe et al. (2003) ont pu montrer que si de petites différences existent dans la force de cisaillement instrumentale au sein d’une même catégorie d’adiposité de la carcasse, ces différences ne sont pas suffisantes pour compromettre la qualité perçue de la viande provenant de différentes races. Par conséquent, l'abattage d'agneaux de races différentes, à un même degré d'engraissement, conduit à élever les agneaux pendant des périodes différentes, pour obtenir une carcasse dont la taille et la conformation varient, tout en présentant des caractéristiques de qualité de viande similaires. Bien que l'objectif soit de produire une carcasse d'agneau de qualité et de composition uniformes, l'état d'engraissement varie d'une carcasse à l'autre (Strydom et al., 2009), les schémas de dépôt de graisse dans la carcasse et les autres dépôts variant d'une race à l'autre. La taille de la carcasse ou le poids à maturité des différentes races diffèrent (Der Merwe et al., 2020 ; Van der Merwe, Brand, et Hoffman, 2019) induisant une variation de forme du corps et de musculature et entraînant par là-même des différences dans la composition des tissus ainsi que dans le rendement des découpes de la carcasse. Il est couramment admis que les races à maturité précoce déposent de la graisse à un stade plus précoce que les races plus tardives (Brand et al., 2018). Elles déposent également plus tôt les dépôts adipeux sous-cutanés (Brand et al., 2018 ; Negussie et al., 2003). De fait, elles sont couramment abattues à des poids plus légers que ceux des races à maturité tardive, afin d'obtenir une carcasse présentant l'état d'engraissement recommandé (Der Merwe et al., 2020). Ayant une plus grande distribution de graisse sous-cutanée, elles présentent généralement un rendement plus élevé, le rendement augmentant en parallèle du niveau de couverture de graisse sous-cutanée (Brand et al., 2018). Les consommateurs perçoivent en général la couleur rouge de la viande comme un indice de fraîcheur et préfèrent pour cette raison que la viande d'agneau lourd soit de couleur rouge (Jacob et al., 2014), la viande d’agneau de lait recherchée est pour sa part idéalement blanche voire éventuellement rosée claire. Il faut, à ce stade, préciser que, en raison de son mode de conduite (alimentation et âge à l’abattage), l’agneau de lait fournit une viande plus claire et moins rouge que celle des agneaux plus lourds (Martı́nez-Cerezo et al., 2005). 
 
Conformément aux retours des professionnels du terrain, les agneaux de race pure ont des performances de croissance plus faibles et présentent un poids à l’abattage et un poids de carcasse plus légers que les agneaux croisés. Le croisement en agneau de lait des Pyrénées améliore donc les performances des animaux. Dans ce travail, les agneaux de race pure ont présenté des carcasses moins grasses que les agneaux croisés. La moindre adiposité des carcasses des agneaux purs a conduit à une augmentation simultanée de la part de muscle dans ces carcasses, en comparaison de celle des agneaux. Les différents éléments de la littérature n’ont toutefois pas été retrouvés dans notre étude puisque nous n’établissons aucun impact négatif du croisement que ce soit sur les rendements de carcasse ou sur la part des différentes pièces (et donc sans doute de la valorisation bouchère). Il faut noter que les résultats de la littérature concernent 1) des agneaux plus lourds que les agneaux de lait étudiés ici, et 2) des races sélectionnées et non pas des races locales.  En effet, si des expériences ont été menées dans de nombreux pays pour évaluer les races ovines en fonction de leurs caractéristiques de croissance et de carcasse (Carter et Kirton 1975 ; Freking et Leymaster 2004), aucune publication n’existe sur les races Manech Tête Rousse, Basco-Béarnaise ou encore Montagne Noire à notre connaissance.
 
Les gras colorés peuvent constituer un défaut dans la filière ovine. En particulier, les colorations brun-rouge altèrent la présentation des carcasses et peuvent entraîner l’exclusion des démarches qualité (label, CCP...). Aussi, un gras blanc est-il davantage conforme aux attentes des opérateurs. Si le croisement semble pouvoir affecter la couleur des gras et notamment l’indice de jaune (b*) : le gras des agneaux de race pure étant significativement moins jaunes que ceux des animaux croisés, nous avons toutefois pu mettre en évidence que cet écart n’était pas visible par l’œil humain et qu’aucune altération de couleur ne pouvait donc être relevée par les opérateurs de filière. 
Le croisement semble pouvoir affecter la couleur des muscles, les agneaux croisés MN et de race pure présentant des viandes visuellement plus claires et moins rouges que les agneaux croisés avec d’autres races. Il sera toutefois de confirmer ces observations dans un travail ultérieur dans la mesure où les valeurs des indices de rouge relevées dans ce travail sont élevées et davantage proche d’agneaux lourds (Devincenzi et al., 2019 ; Priolo et al., 2002) que d’agneaux de lait (Arranz et al., 2016).
Nous n’avons pas mis en évidence d’effet du croisement sur le pH à 24 heures des muscles. Selon la littérature, la race a (Hopkins et al., 2005 ; Jandasek, Milerski, et Lichovnikova, 2014) ou pas (Teixeira et al., 2005) un effet sur les valeurs de pH à 24 heures. Les écarts entre les différents travaux peuvent s’expliquer par la variabilité des poids des agneaux concernés : 24 à 40 kg selon les expérimentations. Ainsi, un effet du poids de la carcasse sur les valeurs de pH à 24 heures a précédemment été rapporté par Teixeira et al. (2005). Toutefois, il semble que les effets de la race et du poids sur le pH à 24 heures nécessitent d’être approfondis. A titre d’exemple, Martı́nez-Cerezo et al. (2005) ont obtenu des résultats contradictoires lors d’un travail sur les effets du poids de la carcasse (de 10 à 32 kg) et de la race sur le pH à 24 heures : le poids de carcasse ayant ou pas un effet significatif sur le pH à 24 heures selon les races. D’autres auteurs (Jandasek et al., 2014) n’ont quant-à-eux, pas mis en évidence d’effet du poids à l'abattage sur le pH à 24 heures. 
 
Dans notre travail, nous avons établi que les agneaux de race pure étaient légèrement plus durs que les agneaux croisés MN et significativement plus durs que les agneaux issus d’autres croisements. Il est possible à ce stade de faire l’hypothèse que, la plus forte adiposité des agneaux croisés a eu un impact favorable sur leur attendrissement à la cuisson, la dureté liée au gras étant réduite à la cuisson avec la fonte de celui-ci. 
Les écarts de pertes à la cuisson sont susceptibles d’expliquer des écarts de force de cisaillement entre échantillons. Ceci est en partie dû à la densité des fibres musculaires qui augmente dans les échantillons de viande cuite au fur et à mesure de la perte d'humidité. Toutefois, dans le présent travail, aucun écart de pH n’a été mis en évidence entre les différents lots. Aussi peut-on faire l’hypothèse que les pertes à la cuisson ne diffèrent pas non plus entre les races (Der Merwe et al., 2020). 

V. CONCLUSION

Les agneaux de lait croisés semblent plus lourds à l’abattage et/ou ont une croissance supérieure aux agneaux de lait purs.
Si l’adiposité des carcasses peut être impactée par le croisement, la taille et la conformation ne sont pas impactées de façon significative.
Le croisement n’impacte pas non plus négativement la qualité sensorielle et il semble donc tout à fait possible et même favorable d’utiliser les agneaux croisés dans le cadre de l’IGP Agneaux des Pyrénées.
Ce travail exploratoire donne ainsi des premiers éléments de caractérisation de races et de croisements jusqu’alors peu traités dans la littérature.
Toutefois, il est nécessaire de confirmer des premiers éléments par des travaux complémentaires concernant notamment davantage d’animaux dans la mesure où l’échantillon étudié ici est limité.

Références bibliographiques : 

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Remerciements :
Les auteurs tiennent à remercier les éleveurs et les opérateurs de la filière qui ont participé à ce travail, ainsi que les étudiants qui ont travaillé sur cette expérimentation, à savoir Léa Keranflech et Marie Lafitte. Ce travail n'aurait pas été possible sans le soutien financier de l'Agence Nationale de la Cohésion des Territoires, de la Communauté d'Agglomération du Pays Basque et du Conseil Départemental des Pyrénées Atlantiques.


 

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