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Cette étude, menée conjointement entre l’Institut Universitaire de Technologie de La Réunion et l’Université Technologique de Pretoria, décrit l’évolution des propriétés physico-chimiques, microbiologiques et sensorielles d’une viande bovine préparée selon un procédé de type Biltong traditionnel d’Afrique du Sud basé sur le salage et le séchage.
Historiquement, le Biltong a été défini comme un produit carné transformé prêt à consommer originaire d’Afrique du Sud, même si des produits similaires peuvent être retrouvés dans d’autres pays d’Afrique comme le Nigeria, la Namibie ou Madagascar (Lewis et al., 1957 ; Mattiello et al., 2018 ; Ratsimba et al., 2017). Traditionnellement, le Biltong est préparé à partir de filets de viandes crus d’herbivores de la famille des bovins et des antilopes coupés en bandes parallèlement à la fibre du muscle, salés puis séchés (Mattiello et al., 2018). Ces dernières étapes lui confèrent une durée de conservation longue. Aujourd’hui, en Afrique du Sud, même si la production de Biltong à partir de viande sauvage est encore très appréciée (Radder et Bech-Larsen, 2008), ce produit de type "snack" est majoritairement obtenu à l’échelle industrielle par transformation de certaines parties maigres de la viande de bœuf (haut de cuisse, rumsteck, rond de gîte), trempées dans du vinaigre, aromatisées et séchées selon diverses recettes (Jones et al., 2017). Il s’agit d’un produit particulièrement apprécié des consommateurs sud-africains en tant que produit de pique-nique et de snack car il peut être conservé à température ambiante et il est pauvre en lipides et riche en protéines (Witepski, 2006). Ce produit représente un marché économique important en Afrique du Sud estimé à 2,5 milliard de Rand, soit environ 175 millions d’euros (Cloete, 2015).
Le Biltong a gagné en popularité sur le marché international, notamment en Australie, en Nouvelle Zélande, au Canada et dans certains pays d’Europe où la part de marché du "snacking" est en pleine progression (The Nielsen Company, 2014). Cependant, la réglementation européenne concernant l’importation de viande en provenance de pays tiers (hors UE) est très stricte et limite fortement l’importation de produits carnés tels que le Biltong sud-africain en Europe. La raison est principalement d’ordre sanitaire et vétérinaire avec la crainte d’introduire des ravageurs et des maladies non indigènes. C’est pourquoi, certaines entreprises se sont attachées à produire du Biltong sur le territoire européen. Par exemple, en 2015, le "Jerky Group" - leader Européen dans le domaine des produits carnés basé au Royaume-Uni – a fusionné avec "Cruga", le leader européen de production de Biltong à partir de viande de bœuf, pour fonder le "Meatsnack Group". Cette même année, en France, l’entreprise les "Trois Frères Biltong" a ouvert ses portes à Marseille. Malgré l’intérêt grandissant pour ce type de produit, très peu d’études scientifiques ont été menées sur le Biltong. Elles sont pourtant nécessaires pour mieux comprendre le procédé de transformation et proposer des produits répondant à la fois aux critères sanitaires et règlementaires et adaptés aux critères sensoriels d’un panel plus large de consommateurs.
La sécurité sanitaire des aliments est une priorité de santé publique et les bonnes pratiques d’hygiène et de fabrication sont devenues des critères essentiels pour les producteurs afin de garantir la production de produits carnés sains et sans danger pour les consommateurs. Cela implique, entre autres, le contrôle des microorganismes pathogènes qui peuvent s’y développer. Du point de vue industriel, l’amélioration de la qualité sanitaire est un objectif majeur. L’un des premiers critères recherchés, au-delà du prix, est la date limite de consommation du produit. Par ailleurs, les produits carnés comme le saucisson sec ou le salami, sont une source importante d’acides gras saturés pouvant favoriser la production de cholestérol et augmenter le risque de maladie coronarienne (Willett, 2012). Ces dernières années, un regain d’intérêt pour de nouveaux produits carnés, en particulier les produits de type "snack" a été observé auprès des consommateurs (Leroy et Degreef, 2015).
Une meilleure compréhension des processus de transformation du Biltong devrait favoriser le développement de nouveaux produits et renforcer la production, en particulier en Europe. L’objet de cette étude a été de mettre en place un procédé de transformation d’une viande bovine pour obtenir un produit comparable au Biltong et de suivre l’évolution des caractéristiques physico-chimiques (perte de masse, aw, teneur en sel, pH, teneurs en acides D- et L-lactique) et microbiologiques (bactéries lactiques et flore mésophile aérobie totale) des produits au cours de la transformation. Enfin une analyse sensorielle comparative avec un produit commercial de Biltong a été réalisée afin de comparer l’acceptabilité du Biltong produit au laboratoire à celui du Biltong Sud-Africain.
I.1. Origine de la viande
Du rond de gite de bœuf frais d’origine réunionnaise a été fourni par une boucherie artisanale (Charcuterie SOUBADOU & Fils, Saint-Pierre, La Réunion, France) le jour de la préparation des échantillons.
I.2. Protocole de préparation des lamelles de viande
La production de Biltong au laboratoire a été réalisée comme suit : des lamelles de rond de gite de bœuf (2*1*10cm, 90 g) sont découpées et recouvertes de gros sel (1 h, 15°C) puis plongées dans du vinaigre de cidre (pH = 3,17) pendant quelques secondes afin d’en enlever l’excédent. Elles sont ensuite entièrement recouvertes d’un mélange d’épices pilées composé de 6/10ème de coriandre en graine, 1/10ème d’ail semoule, 1/10ème de poivre noir en graine, 1/10ème de cumin en graine et 1/10ème de baies roses entières. Les lamelles sont ensuite séchées pendant une durée variant de 0 à 6 jours (0 à 144 h) dans une enceinte hermétique en bois (39,5 x 39,5 x 99 cm) filtrant l’entrée des insectes et permettant le séchage de 20 lamelles de viandes simultanément. La ventilation à l’intérieur de l’enceinte s’est effectuée de façon naturelle et la température a été régulée à 30 ± 2°C.
I.3. Détermination des paramètres chimiques et physico-chimiques des lamelles de viande au cours du séchage
Durant le séchage, la perte de masse, l’activité de l’eau, le pH, la teneur en sel et les teneurs en acide D- et L-lactique ont été mesurés toutes les 24 heures. Les analyses ont été réalisées en triplicat à partir de trois échantillons biologiques indépendants.
La perte de masse a été suivie par mesure gravimétrique par comparaison des masses des lamelles de viande directement avant et après séchage. Pour l’activité de l’eau et le pH, les mesures ont été réalisées sans préparation préalable à 25°C respectivement à l’aide d’un aw-mètre (Aqualab, 4TE Dewpoint Water Activity meter) et d’un pH-mètre (Hanna Instrument, HI 2210) doté d’une électrode de pH spécifique pour pénétration dans la viande (Schott Blue Line 21ph).
Pour déterminer les teneurs en sels, un échantillon de 0,15 g de viande a été placé dans 50 ml de solution d’acide nitrique à 0,3N (Sigma-Aldrich, 30702) puis mis sous agitation horizontale pendant 2h à température ambiante. Après une heure de décantation, la concentration en ions chlorure dans la solution a été mesurée à l’aide d’un chloruromètre ayant une précision de ± 3mg/L (Sherwood Scientific, MK II Chloride Analyser 926), puis la teneur en sel dans la viande a été calculée.
Pour déterminer les teneurs en acide L- et D-lactique, 25 g de viande ont été introduits dans 60 ml d’eau distillée puis 5 ml de hexacyanoferrate (II) de potassium trihydraté (AnalaR Normapur, 26816.232) et 5 ml de sulfate de zinc heptahydraté (AnalaR Normapur, 29253.236) ont été ajoutés afin de déprotéiner la viande. Le pH de la solution a ensuite été ajusté entre 7,5 et 8,5 avant d’y rajouter la quantité suffisante d’eau distillée pour avoir 100 ml de solution. La solution a ensuite été filtrée sur papier Whatmann avant dosage enzymatique à l’aide du kit enzymatique Enzytec, L+D-Lactic acid (Id-No. 1 002 889), selon le mode opératoire proposé par le fabriquant.
I.4. Détermination des critères microbiologiques des lamelles de viande
I.4.1. Préparation des échantillons
Des échantillons de 5 g de lamelle de viande ont été prélevés et dilués au dixième avec de l’eau peptonée (Merck, VM981128817) à l’aide d’un Delta Diluteur (IUL Instrument) dans un sac à Stomacher stérile. Le contenu du sac a ensuite été homogénéisé à l’aide d’un Stomacher (Seward, Stomacher 80 LAB System) pendant une minute. Des dilutions sériées ont ensuite été réalisées.
I.4.2. Suivi de la flore mésophile aérobie totale et des bactéries lactiques
Toutes les 24 h, les dénombrements de la Flore Mésophile Aérobie Totale (FMAT) et des bactéries lactiques (FL) ont été réalisées.
Pour le dénombrement de la FMAT, la norme NF EN ISO 4833-1 a été appliquée. Ainsi, 1 ml de chaque dilution a été ensemencé en masse dans des boites de milieu PCA (Plate Count Agar - Liofilchem, 610040) puis incubé pendant 72h à 30°C avant dénombrement des colonies formées.
Pour la FL, la norme NF V04503 a été utilisée. 0,1 ml de chaque dilution a alors été ensemencé en surface d’une boite de Pétri contenant du milieu MRS (Man Rogosa Sharpe – Merck, VM040261902) puis incubé pendant 72h à 25°C avant dénombrement des colonies formées.
I.4.3. Caractérisations microscopique et biochimique des bactéries lactiques
Les colonies de bactéries lactiques poussées sur MRS présentaient les mêmes caractéristiques macroscopiques. L’analyse microscopique des cellules, la coloration de Gram et le test de la catalase ont été réalisées sur 3 colonies isolées au hasard sur chaque boite de MRS. Pour le test de la catalase, chaque colonie a été mise en suspension dans une goutte d’eau oxygénée déposée sur une lame en verre, puis l’apparition ou non de bulles a été observée.
I.4.4. Caractérisation microbiologique des lamelles de viandes ayant séchées 72h
Le dénombrement des levures et moisissures a été réalisé selon la norme NF 05-509 : 1 ml de chaque dilution a été ensemencé en masse dans du milieu glucosé à l’extrait de levure et au chloramphénicol (YGC – Merck ; VM462400538), puis mis à incuber pendant 5 jours à 25°C avant dénombrement des colonies formées.
Le dénombrement des Staphylococcus spp. a été fait en se basant sur la norme NF V08-057-1. Ainsi, pour chaque dilution, 0,1 ml de solution a été ensemencé en surface de milieu BP (Baird Parker – Liofilchem, 610004) puis incubé à 37°C pendant 48 à 72h avant dénombrement des colonies formées. Seules les boites contenant entre 10 et 100 colonies ont été retenues pour le dénombrement. Cependant, aucune colonie noire caractéristique de S. aureus sur milieu Baird Parker a été observée sur l’ensemble des boites. Pour confirmer l’absence de cette espèce, deux colonies par boite ont été choisies aléatoirement puis introduites dans un flacon de bouillon cœur-cervelle (Bio-Rad, 64014) et incubées à 37°C pendant 24h. 0,1 ml de chaque culture a ensuite été ajouté à 0,3 ml de plasma de lapin (Biolife, 429937) et incubée à 37°C pendant 4 à 6 heures. Au bout de ce temps, la coagulation du plasma a été observée. Lorsque le test était négatif, les tubes ont été remis à incuber pendant 24h à 37°C et réexaminés. Lorsque le test était négatif, le nombre de S. aureus dans l’échantillon a été alors considéré comme inférieur au seuil de détection.
Aussi, une recherche de Salmonella spp. a été pratiquée selon la norme NF EN ISO 6579. Une solution mère a été préparée selon le protocole présenté en partie II.4.1. mais à partir de 25g. La solution a ensuite été incubée à 37°C pendant 18h. 0,1 ml de la solution mère a été introduit dans 10 ml de bouillon RVS (Rappaport Vassiliadis Soja – Humeau, 747.080340.54) puis incubé à 41°C pendant 24h. Parallèlement, 1mL de la solution mère a été introduit dans 10 ml de bouillon MKTTn (Müller Kauffmann Tetrathionate et Novobiocine – Biolife, 4017452) puis incubé à 37°C pendant 24h. 0,1 ml de chaque sous-solution a ensuite été ensemencé en surface de milieu XLD (Xylose Lysine Désoxycholate – Acumedia, 7166A) puis incubé pendant 24h à 37°C. Après quoi, l’absence de Salmonelle a été vérifiée par observation de l’absence de colonies noires sur la gélose.
I.5. Analyse sensorielle du Biltong du laboratoire
Les "Biltong du laboratoire" obtenus après trois jours de séchage (72h) ont été soumis à une analyse sensorielle à l’aide d’un questionnaire hédonique par un jury de 54 dégustateurs non entrainés constitués de 18 femmes et 36 hommes âgés de 16 à 71 ans (moyenne d’âge = 36 ans). A titre de comparaison, le Biltong sud-africain (Nyami Sticks, Biltong on the go!™) a également été testé dans les mêmes conditions expérimentales. Pour les deux produits, cinq critères ont été notés sur une échelle de 0 à 10 (0 = appréciation très négative et 10 = appréciation très positive) par les dégustateurs à savoir le goût salé, l’acidité, la dureté en bouche, l’aspect visuel et l’odeur des échantillons.
I.6. Analyses statistiques
Toutes les analyses (chimiques, physico-chimiques et microbiologiques) de cette étude ont été réalisées en triplicats et toutes les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel Microsoft Excel XLSTAT 2015. Les significativités des résultats des mesures chimiques, physico-chimiques et microbiologiques ont été déterminées par Test de Student au niveau de confiance de 95%. Pour l’analyse sensorielle, les notes des dégustateurs pour chaque paramètre ont été soumises à un test de Kruskal-Wallis (Kruskal and Wallis, 1952).
II.1. Analyses chimique, physicochimique et microbiologique des produits au cours du séchage
Durant le procédé, les lamelles de viande brunissent fortement, ce qui conduit à l’obtention d’un produit brun dès 72 h de séchage à 30°C (Fig. 1). Ce brunissement est le résultat direct du séchage qui, par diminution de la teneur en eau, entraine une concentration des métabolites responsables de la couleur au sein des échantillons.
Au cours du séchage, une diminution significative de la masse des lamelles (46,67 ± 0,90% dès 72h de séchage) a été observée (p<0,05). Cette perte correspond à une réduction de la teneur en eau libre dans le produit et est cohérente avec l’évolution de la teneur en sel au cours du temps (Tableau 1). En effet, tout comme la perte de masse, la teneur en sel augmente rapidement et significativement (p<0,05) pendant les 72 premières heures de séchage puis tend à se stabiliser (p>0,05). Cette évolution de la teneur en sel est due à la diminution de la quantité d’eau dans le produit. La perte de masse s’accompagne également d’une diminution significative de 20% de l’aw (activité de l’eau) des lamelles pendant les 72 premières heures de séchage (p < 0,05). La diminution de l’aw continue tout au long du séchage pour finalement atteindre la valeur de 0,54 après 144 h. La perte en masse est également rapide au cours des premières 72 h de séchage, et se stabilise à 54,75 ± 0,87% au bout de 120 h de séchage. Ce procédé entraine donc l’obtention d’un produit très sec sur cette période de temps.
Le pH des lamelles de viande, initialement à 4,94, augmente légèrement mais significativement (p<0,05) durant les premières 72 h (Tableau 1). Ceci est en accord avec l’existence du pouvoir tampon de la viande, qui pour la viande de bœuf permet de réguler le pH à des valeurs comprises entre 5,5 et 6,5 (Puolanne and Kivikari, 2000). Après 72 h, le pH diminue rapidement jusqu’à atteindre 3,47 ± 0,54 au bout de 144 h. Cette diminution peut s’expliquer par l’accumulation d’acide L-lactique dans les lamelles de viande qui entraine petit à petit une perte du pouvoir tampon. En effet, dès le début du séchage, de l’acide L-lactique est présent à hauteur de 0,16±0,01 g/100g et cette teneur augmente significativement pendant les 24 premières heures de séchage (p<0,05) puis se stabilise (p>0,05 jusqu’à 144 h) contrairement à celle de l’acide D-lactique qui reste nulle pendant toute la durée du séchage (données non présentées). La présence initiale d’acide L-lactique est probablement due à la dégradation du glycogène des muscles de la viande dans les heures suivant l’abattage. De plus, l’augmentation de sa concentration au cours du séchage est vraisemblablement une conséquence de la perte en eau.
L’acide lactique possède, non seulement la capacité d’induire un abaissement de pH à des niveaux inférieurs à ceux pour lesquelles les bactéries peuvent se développer, mais peut également provoquer une destruction des membranes externes chez de nombreux microorganismes (Alakomi et al., 2000). Cet acide permet donc d’inhiber un grand nombre de bactéries responsables de la détérioration des aliments, y compris les espèces Gram-négatives appartenant aux familles Enterobacteriaceae et Pseudomonadaceae (Doores, 1993). On peut ici s’interroger sur le rôle des bactéries lactiques, flore majoritaire du Biltong qui représente 70 à 99% de la flore totale du produit commercial (Petit et al., 2014 ; Wolter et al., 2000), dans ce processus de production d’acide L-lactique et d’acidification des lamelles de viande pendant le séchage. En effet, dans notre expérimentation nous observons que la concentration en flore lactique totale augmente significativement durant les 72 premières heures (p<0,05), en passant de 3,5±0,1.10² UFC/g à 1,1±0,3.104 UFC/g (Tableau 1). L’évolution du nombre de bactéries lactiques, qui augmentent de 3,5.102 CFU/g à 1,1.104 CFU/g entre 0 et 72h, ne peut pas s’expliquer par le seul effet de la perte en masse. On peut donc conclure que le procédé de séchage à une température de 30°C s’accompagne d’une augmentation de bactéries lactiques pendant les premières heures de séchage. La caractérisation des colonies de bactéries lactiques a montré qu’il s’agissait de coques à Gram positif et catalase négative, ce qui semble indiquer la présence de lactocoques dans les échantillons. Ceci est en accord avec les résultats de Petit et al. (2014) qui ont observés que, lorsque les bactéries lactiques du Biltong étaient majoritairement des lactocoques, la concentration en acide D-lactique était basse (0,05g/100g), alors que cette concentration augmentait très significativement (0,45 - 0,92 g/100g) lorsque les lactobacilles prédominaient dans les échantillons.
Notre étude montre que la faible variation de la flore mésophile aérobie totale pendant le séchage (la FMAT diminue légèrement de 3.8 à 3.1 log UFC/g pendant les 144 h de séchage – voir Tableau 1) concorde avec la diminution de l’aw, la perte en masse des échantillons et l’augmentation de la teneur en sel qui empêche le développement de nombreux microorganismes, mais sélectionne la croissance de bactéries halotolérantes. Dans le même temps, nous constatons une augmentation des bactéries lactiques durant les 72 premières heures de séchage, suivie d’une diminution dans les 72 h suivantes. Néanmoins cette augmentation des bactéries lactiques pendant la première phase du séchage n’est, semble-t-il, pas suffisante pour engendrer une augmentation de la concentration en acide lactique dans le produit. A ce stade du travail, il n’est pas possible d’émettre une hypothèse quant à l’existence d’une fermentation lactique au cours de ce processus de séchage.
II.2. Comparaison du Biltong du laboratoire au Biltong commercial
L’aw du Biltong varie généralement entre 0,65 et 0,85 (Petit et al., 2014; Wolter et al., 2000). Néanmoins, il existe deux types de Biltong : le Biltong humide et le Biltong sec (Petit et al., 2014). Le Biltong humide se caractérise par une humidité élevée (entre 35,1g/100g et 42,8g/100 g) et une aw relativement élevée (entre 0,85 et 0,89), alors que le Biltong sec se distingue par une faible humidité (entre 21,5g/100g et 25,3g/100g) et une faible aw (entre 0,65 et 0,68). De plus, le Biltong humide présente une faible stabilité microbiologique puisque sa FMAT est comprise entre 6,2 et 9,7 log UFC/g. A l’inverse, le Biltong sec semble plus stable du point de vue microbiologique avec des valeurs de FMAT comprises entre 6 et 7 log UFC/g. Le Biltong sec présente ainsi une plus longue durée de vie et serait un modèle de produit carné particulièrement intéressant sur le plan de la qualité sanitaire (Petit et al., 2014). C’est pourquoi, dans la présente étude, le temps de séchage des produits considérés comme "finis" a été fixé au temps pour lequel l’aw, le pH moyen et le niveau de bactéries lactiques des lamelles sont les plus proches de celles observées sur le Biltong sec, c’est-à-dire après 72 h de séchage. Les lamelles de viandes ayant séchées pendant 72 h seront donc appelées "Biltong du laboratoire" dans la suite de cette étude. Un comparatif des propriétés chimiques, physico-chimiques et microbiologiques du Biltong du laboratoire et du Biltong sec est présenté dans le Tableau 2.
Par rapport au Biltong sec commercial, la teneur en sel du Biltong du laboratoire est réduite. Plusieurs hypothèses pourraient expliquer cette différence, mais l’hypothèse la plus probable est que le procédé de salage utilisé dans notre étude diffère de celui utilisé dans la fabrication des différents Biltong commerciaux étudiés par Petit et al. (2014). L’imprégnation en sel du Biltong commercial étant plus importante que celle du Biltong du laboratoire, il est probable que les échantillons commerciaux aient subi une durée de salage plus longue que celle utilisée dans cette étude (1h), qu’un malaxage ou un barattage ait été réalisé pendant le salage ou que ce dernier ait été élaboré en utilisant d’autres techniques, comme l’immersion par exemple. Il est à noter que les valeurs finales des teneurs en sel obtenues dans cette étude se rapprochent de celles généralement obtenues pour les Biltong commerciaux dit "humides" ou à "humidité intermédiaire". En effet, les teneurs en sels de ces produits sont majoritairement comprises entre 2g/100g et 4 g/100g de viande (Engez et al., 2012 ; Petit et al., 2014 ; Wolter et al., 2000). Ainsi, le procédé utilisé dans notre étude permet, à aw et pH proches, de diminuer fortement (jusqu’à deux fois) les teneurs en sels dans le Biltong du laboratoire par rapport au Biltong commercial sec (Petit et al., 2014). Ce résultat est intéressant car la réduction de la teneur en sel est au cœur des problématiques des produits transformés. Par exemple, la teneur moyenne en chlorure de sodium dans le jambon de Parme est passée graduellement de 6,1% à 5,7% entre 1996 et 2007 (Simoncini, 2011).
A la réduction de la teneur en sel dans les produits, s’ajoute une diminution des teneurs en acide D- et L –lactique qui sont respectivement 2,4 et 5,5 fois moins importantes dans le Biltong du laboratoire que dans le Biltong commercial. Par ailleurs, la population de bactéries lactiques du Biltong de laboratoire se situe entre 1 et 3 log CFU, c’est-à-dire presque 70 fois plus faible que celle observée dans le Biltong commercial. Ces données suggèrent que les conditions utilisées dans le procédé commercial seraient plus favorables à l’induction d’une fermentation lactique contrairement aux conditions utilisées dans notre procédé artisanal. Cependant, dans le milieu industriel, la décontamination des produits carnés par immersion dans de l’acide lactique est une pratique courante, et il n’est pas possible d’exclure que le Biltong commercial ait été préalablement traité par de l’acide lactique avant le séchage.
Malgré une plus faible teneur en acide lactique, la FMAT, et dans une moindre mesure les levures et moisissures, sont moins abondantes dans le Biltong du laboratoire que dans le Biltong commercial (Tableau 2). Ces différences sont probablement liées aux diverses manipulations des produits commerciaux par les opérateurs et de la méthode de stockage utilisée (température, durée…). Par exemple, les levures et moisissures se développent rarement sur les produits carnés à humidité intermédiaire durant leur production car leur croissance est généralement inhibée par les bactéries à croissance rapide. Alors que les bactéries se développent dans des milieux présentant des aw comprises entre 0,75 et 1, les levures et moisissures peuvent se développer lentement dans des matrices avec des aw plus faibles (Wolter et al., 2000). Le développement des levures et moisissures a donc lieu lors de la période de stockage du produit. Ce développement constitue un problème récurrent lors de la production de Biltong et induit des pertes économiques importantes pour l’industrie du Biltong (Jones et al., 2017; Van der Riet, 1982). Les résultats exposés dans cette étude montrent donc que le Biltong du laboratoire a une qualité microbiologique acceptable juste en sortie de production, mais ne permettent pas de déterminer si cette qualité est équivalente à celle du Biltong commercial.
La qualité du Biltong du laboratoire est confirmée par l’absence de Staphylococcus aureus et de Salmonella spp. (Tableau 2). Pour compléter cette étude et confirmer la sécurité sanitaire du Biltong du laboratoire, il serait nécessaire de vérifier l’absence complète de toute bactérie pathogène. Néanmoins, de façon générale, ce type de bactérie ne se développe pas dans des milieux riches en sels présentant des aw inférieurs à 0,80. Par exemple, les bactéries pathogènes comme Listeria monocytogenes et Staphylococcus aureus ne se développent que dans des milieux présentant une aw compris entre 0,85 et 0,96 (Naidoo et Lindsay, 2010). On peut donc raisonnablement conclure que, dans les conditions expérimentales de notre étude, l’utilisation de l’enceinte climatique artisanale permet de produire un produit type "Biltong" de qualité microbiologique et sanitaire satisfaisante.
II.3. Caractérisation sensorielle du Biltong du laboratoire et d’un Biltong commercial
Afin d’évaluer la manière dont le Biltong du laboratoire et le Biltong commercial Sud-Africain (Nyami sticks, Biltong on the go !™) sont perçus par les consommateurs, une analyse hédonique a été réalisée sur ces deux produits. Les profils sensoriels résultants de cette analyse sont présentés en Figure 2. Il en résulte que, d’un point de vue organoleptique, le Biltong du laboratoire se distingue positivement du Biltong commercial par son goût salé, son acidité et son odeur.
En effet, le Biltong du laboratoire est décrit par les dégustateurs comme "très salé", alors que le Biltong commercial est considéré comme étant "peu salé". Ces résultats sont assez surprenants puisque, comme cela a été précisé précédemment, les teneurs en sel relevées sur le Biltong du laboratoire sont moins importantes que celles obtenues pour le Biltong commercial (Tableau 1). De plus, Van der Riet (1982) a montré que, même si la teneur en sel du Biltong pouvait atteindre 4g/100g, une teneur de 2,5g/100g donne un goût acceptable pour des produits présentant des humidités très variables. Cependant, il n’est pas rare que la synergie et la complexité des éléments composants les matrices alimentaires modifient le gout des produits indépendamment de la teneur en sel. Il est donc possible que le Biltong du laboratoire comporte un exhausteur du goût salé. Ce dernier peut notamment provenir des épices utilisées dans cette étude. La sensation du goût salé est généralement appréciée du grand public, mais de fortes teneurs en sel dans les produits alimentaires sont à proscrire puisqu’elles augmentent les risques de maladies cardiovasculaires et d’accident vasculaire cérébral (WHO, 2012). L’obtention d’un goût salé plus intense pour des teneurs en sels plus faibles est donc un critère très positif pour le Biltong du laboratoire. Le procédé étudié permet donc d’améliorer une des caractéristiques organoleptiques des viandes transformées les plus recherchées, tout en les rendant plus saines à la consommation. Le Biltong du laboratoire est également décrit comme plus acide que le Biltong commercial. Ceci peut, à première vue, sembler surprenant au vu des teneurs en acide lactique et du pH de ces deux produits (Tableau 2). Cette particularité pourrait provenir de la synergie des différentes saveurs du Biltong qui a pu accentuer les goûts acides et salés de ce dernier. Enfin, en ce qui concerne l’odeur, le Biltong du laboratoire a été nettement plus apprécié par le panel de dégustateur que le Biltong commercial.
La dureté est, avec la jutosité, les deux composantes majeures de la texture de la viande. La dureté dépend essentiellement de deux caractéristiques structurelles protéiques : le collagène qui est associé à la dureté de base (c'est-à-dire celle qui n’est pas modifiée post-mortem) et les protéines myofibrillaires (dont la fragilisation par les calpaïnes et les cathepsines – enzymes protéolytiques endogènes qui agissent sur les protéines contractiles –) entraine un attendrissement de la viande pendant la maturation qui succède l’état de rigidité cadavérique post-mortem de cette dernière (Ouali, 1991). La dureté mécanique de la viande est donc en théorie liée uniquement à sa structure protéique. Cependant, la perception de cette dureté peut être influencée par la jutosité. Or, cette dernière résulte de deux composants organoleptiques, à savoir l’effet stimulant de la graisse sur la salivation et, durant les premières mastications, l’impression d’humidité liée à la libération de fluides (et notamment de l’eau) par la viande. Le Biltong commercial et le Biltong du laboratoire sont tous deux préparés à partir de rond de gîte de bœuf, une partie maigre et tendre de la carcasse. La variation de la sensation de dureté en bouche de ces deux types de produit devrait donc majoritairement être due aux variations d’eau dans le produit. Il n’est donc pas surprenant que les duretés en bouche du Biltong du laboratoire et du Biltong commercial ne soient pas significativement différentes puisque les aw de ces échantillons sont proches (Tableau 2). Bien que les deux produits présentent des caractéristiques visuelles (formes, couleur, brillance) qui leurs sont propres, d’un point de vue statistique, les dégustateurs n’ont pas émis de préférence pour l’un des deux produits. Les aspects peuvent cependant être considérés globalement comme "moyens" étant donné que leur note est proche de 5/10. Une amélioration potentielle du produit pourrait être sa forme (ronde, carrée, etc.) mais, dans ce cas, cela pourrait affecter les transferts de matière au cours du séchage (non étudiés dans cette étude).
Du point de vue de l’appréciation globale, les deux types de Biltong sont perçus comme sensiblement identiques puisqu’ils sont tous deux considérés comme "bons" (note de 5 à 6). Cependant, les remarques émises par le panel de dégustateurs mettent en exergue que le Biltong du laboratoire est un peu trop salé à leur goût. Par suite, afin d’améliorer le Biltong du laboratoire et de tendre vers un aliment plus apprécié par les dégustateurs, une amélioration de la sensation du goût salé doit être envisagée. Par exemple, il serait intéressant de tester des compositions différentes en épices ou de modifier le procédé de salage en apportant une quantité de sel plus adaptée au produit. Nous pensons qu’il serait intéressant de procéder à un malaxage sous vide, déjà utilisé par les industriels du Biltong, afin de favoriser la pénétration du sel à l’intérieur des lamelles de viande.
Le procédé de transformation utilisé dans ce travail présente trois caractéristiques principales. En effet, il implique une diminution de l’aw des lamelles de viande, une augmentation de leur teneur en sel et une stabilisation microbiologique des lamelles en empêchant la prolifération de la FMAT au cours du séchage. En utilisant ce procédé, un temps de séchage de trois jours est suffisant pour obtenir un Biltong de laboratoire présentant des caractéristiques proches du Biltong commercial défini comme "sec" par Petit et al. (2014).
D’un point de vue sensoriel, cette étude montre qu’il n’existe pas de différence significative de sensation de dureté en bouche et d’aspect visuel entre ces deux produits. Cependant, le Biltong du laboratoire a une odeur et un goût salé plus prononcés par comparaison au Biltong commercial. Le goût salé est d’ailleurs considéré comme étant trop prononcé par notre panel de dégustateurs. C’est pourquoi, pour pouvoir obtenir un produit de "type Biltong" mieux adapté au goût de nos dégustateurs, une optimisation des procédés de salage et une amélioration de la composition des épices sont à envisager.
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