
Les effets de la durée de maturation sous vide à +4 oc sur les lipides et les acides gras (AG) ont été comparés pour trois viandes bovines issues de quatre types de bovins. Si des différences très marquées de contenu lipidique et de composition en AG existent entre les trois muscles, aucun effet de la durée de maturation n’est observé, quel que soit le muscle étudié.
Les lipides intramusculaires interviennent dans la qualité nutritionnelle (acides gras polyinsaturés, AGPI, acides linoléiques conjugés, CLA, cholestérol,...) et sensorielle (tendreté, jutosité, couleur, flaveur) de la viande (Gandemer, 1999). Ils sont essentiellement constitués : i) de triglycérides (TG) contenus dans les cellules adipeuses et les gouttelettes cytosoliques des muscles, et ii) de phospholipides (PL) associés aux structures membranaires des cellules musculaires.
La teneur en TG dans un muscle est extrêmement variable (de 1,6 à 9,8 % du poids frais) alors que celle des PL est relativement stable (de 0,6 à 1%) (Bauchart et al., 2008). La composition en acides gras (AG) des lipides de la viande est marquée par l’abondance i) des formes saturées et monoinsaturées trans dans les TG et ii) des AGPI n-6 et n-3 dans les PL. Leur dégradation peut dépendre des conditions de maturation et de stockage, mais aussi de l’espèce animale et du type métabolique de muscle (Alasnier et Gandemer, 1998).
MATÉRIELS ET MÉTHODES
Animaux et traitements des muscles
Des échantillons de muscles sont prélevés à l’abattoir, à partir de quatre types de bovins bouvillons limousins de 12-18 mois, génisses charolaises de 24 à 36 mois, vaches de réforme charolaises et Montbéliardes âgées de 7 à 9 ans (n = 4 par type animal) (pour plus de détails, voir l’article d’Ortigues-Marty et al., 2006). Trois muscles sont prélevés sur chaque animal Longissimus lumborum (LL, "rumsteck"), Longissimus thoracis (LT, “entrecôte”) et Triceps brachii (TB “paleron”). À un jour post mortem, ils sont maturés sous vide et dans l’obscurité à 4°C pendant 1, 3 ou 14 jours puis congelés pour être réduits en poudre fine et homogène par broyage dans l’azote liquide (Modèle M20, Ika Werke, Staufen, Allemagne).
Analyses lipidiques
Les lipides totaux du muscle sont extraits par broyage de la poudre de viande (6g) à 20000 tours/min avec le mélange chloroforme-méthanol 2/1 (Vol/Vol; 150mL) selon la méthode de Folch et al., (1957) et déterminés par gravimétrie. Leurs acides gras à chaîne longue (AG) sont extraits puis transméthylés à 20 °C par le méthanolate de Na puis le BF3-méthanol 14%. Les esters méthyliques d’AG (EM AG) sont analysés par chromatographie en phase gazeuse (CPG) avec le modèle PR 2100 de la Société Périchrom (91160 Saulx-les-Chartreux) équipé d’une colonne capillaire polaire haute performance de type CP Sil 88 (longueur 100 m, diamètre intérieur 0,25 mm, Société Varian, France) et quantifiés par standardisation interne (19 : 0). Les AG sont identifiés par standardisation externe par la comparaison de leurs temps de rétention à ceux d’AG standards du commerce (FAME Mix C4-C24, Supelco, Sigma).
Dans un souci de plus grande homogénéité et de lien avec la réalité de la consommation courante des viandes ne tenant pas forcément compte de l’origine et du type des bovins, les données de teneurs en lipides et en acides gras et de composition centésimale en acides gras des différentes viandes sont regroupées sans distinction des caractéristiques des animaux. Les données de teneurs en lipides et en AG sont exprimées en % du poids frais et en % du poids sec pour répondre à la fois à l’attente des consommateurs, mais aussi des nutritionnistes et des diététiciens qui doivent calculer l’apport réel en nutriments lipidiques au consommateur indépendamment de la teneur en eau des viandes.
Analyses statistiques
Les analyses statistiques sur l’influence de la durée de maturation sur la teneur en lipides et AG totaux ainsi que leur composition en AG des viandes crue pour chaque type de muscle ont été réalisées selon la Procédure de Mesures Répétées du Proc GLM de SAS® détaillée par Ortigues-Marty et al. (2006).
Le ruminant est connu pour la forte teneur en AG saturés de ses muscles dont une majorité (12:0, 14:0 et 16:0) est considérée comme défavorable à la santé humaine, favorisant l‘hypercholestérolémie et les accidents cardiovasculaires (Grundy et Denke, 1990). Des études nutritionnelles ont été développées notamment en Europe pour accroître le dépôt des AGPI dans les muscles de bovin, notamment des AGPI n-3 (Scollan et al., 2005) très bénéfiques pour lutter contre les risques cardiovasculaires mais relativement déficitaires (notamment l’acide linolénique, 18:3n-3) dans l’alimentation de l’homme (Legrand, 2007). Parmi les AGPI déposés dans la viande bovine, Conjugated Linoleic Acid ou CLA est un terme générique désignant un mélange complexe d’isomères géométriques et/ou de position de l’acide linoléique (18:2n-6) possédant deux doubles liaisons conjuguées. Les CLA possèdent des propriétés bénéfiques à la santé humaine (anticancéreuses, antiathéro génique et antidiabétogénique), mais leur teneur peut varier fortement avec les conditions d’alimentation des animaux et le type de muscles. Ainsi, la teneur en CLA est, chez le bouvillon en finition, plus élevée dans le muscle Rectus abdominis (à tendance oxydative) que dans le muscle Longissimus thoracis (à tendance glycolytique). Par ailleurs, une alimentation riche en AGPI de type n-3 (herbe, graine de lin...) augmente la teneur en CLA principalement dans la fraction TG (Bauchart et al., 2002).
Cet article a pour objectif d’étudier l’influence relative de la durée de maturation de différentes viandes bovines sur les teneurs en lipides et de leurs familles d’AG majeurs. Ce travail fait partie d’une étude plus large qui porte aussi sur les effets des conditions de cuisson appliquées aux viandes (Projet cuisson Intervev-Ofival) sur : i) les lipides et leurs AG (Bauchart et al., 2011), ii) sur la lipoperoxydation (Durand et al., 2011) ainsi que sur le rendement de cuisson et la teneur en vitamine B12 des viandes (OrtiguesMarty et al., 2006).
RÉSULTATS
Influence du type de viande et de la durée de maturation sur la teneur en lipides et acides gras totaux des viandes
Pour tous les muscles étudiés, le rapport des teneurs AG/lipides est constant, soit de 0,82 (rumsteck) à 0,85 (entrecôte et paleron) (Tableau 1).
Les teneurs en lipides et en AG totaux (exprimées en g/100 g de tissu sec ou frais) des trois types de viande varient avec la même amplitude et de façon hautement significative (P < 0,000 1) avec le type de muscle. Les teneurs en lipides et AG totaux de l’entrecôte sont 1,2 fois plus élevées que celles du paleron et, surtout 2,3 fois plus élevées que celles du rumsteck, tous animaux confondus (Tableau 1). En revanche, on n’observe pas d’effet significatif de la durée de maturation, ni de l’interaction [muscle x temps de maturation], pour les trois muscles considérés (Tableau 1).
Influences du type de viande et de la durée de maturation sur la composition en acides gras des viandesLa composition centésimale des principales familles d’AG varie significativement pour la majorité des AG (sauf CLA) avec le type de viande mais pas avec le temps de maturation, ni avec l’interaction muscle x durée de maturation, quel que soit le muscle considéré (Tableau 2).
Qualitativement, les AG saturés et les AG monoinsaturés cis sont les plus abondants, soit 45,9% et 35,6% des AG totaux respectivement, pour tous muscles, temps de maturation et type d’animaux confondus. Les AG monoinsaturés trans, les AG polyinsaturés (AGPI) n-6 et n-3 et les CLA (somme de tous les isomères) ne représentent que 3,3, 7,3, 2,9 et 0,7% des AG totaux respectivement. Parmi les trois muscles étudiés, les lipides du muscle Longissimus thoracis (LT) correspondant à l’entrecôte (le plus élevé en lipides) contiennent le plus d’AG saturés, monoinsaturés trans et en CLA, ceux du muscle Longissimus lumborum (LL) correspondant au rumsteck (le plus pauvre en lipides) sont les plus riches en AGPI n-6 et n-3, alors que ceux du muscle Triceps brachii correspondant au paleron (intermédiaire en teneur en lipides) contiennent le plus d’AG monoinsaturés cis (Tableau 2).Exprimées en g/100 g de tissu frais (Tableau 3) ou en g/100 g de tissu sec (Tableau 4), les teneurs des principales classes d’AG des trois viandes varient tous tres significativement avec le type de viande mais pas avec le temps de maturation, ni avec l’interaction [muscle x temps de maturation], quel que soit le muscle considéré. Exprimées en g/100 g de tissu frais, les teneurs en AG saturés, monoinsaturés cis et trans, et CLA sont les plus abondantes dans l’entrecôte et les plus faibles dans le rumsteck. Dans le cas des AGPI n-6 et n-3, les teneurs sont voisines entre entrecôte et paleron, mais toujours supérieures à celles du rumsteck (Tableau 3). Exprimées en g/100 g de tissu sec, les mêmes differences entre tissus sont notées pour la majorité des classes d’AG, sauf pour les AGPI n-6 qui sont plus abondants dans le paleron que dans l’entrecôte (+ 11%) et surtout le rumsteck (+ 24%) (Tableau 4).
Comme pour les teneurs en lipides et acides gras totaux, la durée de maturation des viandes placées sous vide et à + 4 °C ne modifie pas significativement la composition des différents AG saturés, monoinsaturés cis et polyinsaturés n-6 et n- 3. Seule, une tendance à la baisse entre 1j et 3j ou 14j de maturation est observée dans le cas de la teneur en AG monoinsaturés trans exprimée en % des AG totaux (Tableau 2) ou en mg/100 g tissu sec (Tableau 4) avec les viandes de type rumsteck et paleron.DISCUSSION
La mesure de la teneur en lipides des viandes s’avère généralement délicate en raison de l’hétérogénéité de la structure du muscle contenant des fibres musculaires associées à du tissu adipeux intramusculaire dont la distribution spatiale n’est pas homogène. Ceci est particulièrement le cas de l’entrecôte et, à un degré moindre, du rumsteck et du paleron, ce qui explique les précautions prises dans cette étude pour préparer une poudre homogène représentative de la viande à partir d’un échantillon de grande taille (> 100 g). Malgré cela, des difficultés persistent notamment dans le cas de l’entrecôte particulièrement hétérogène. Les analyses de la teneur en AG totaux des viandes par CPG en standardisation interne (C19 0) ont permis une mesure très précise, la mesure gravimétrique étant employée seulement pour les lipides totaux. La teneur en lipides totaux ou en AG totaux montre la grande stabilité de leur dépôt musculaire en fonction du temps (de 1 à 14j) de maturation à +4 °C sous vide, quels que soient le type de viande et le mode d’expression employé.
D’après Ortigues Marty et al., (2006), la teneur en matière sèche des trois viandes est très voisine pour le rumsteck et le paleron (25,6-26,9%), mais plus élevée dans le cas de l’entrecôte (29,5%) plus riche en lipides, ces données confirment de nombreuses données de la littérature montrant que les lipides s’échangent préférentiellement avec l’eau à l’intérieur des tissus (Geay et al., 2002).
Quantitativement, les teneurs plus élevées en lipides et en AG totaux de l’entrecôte par rapport au paleron et surtout au rumsteck sont dues à un dépôt accru de triglycérides associés principalement aux cellules du tissu adipeux intramusculaire, et non pas de phospholipides. En effet, les phospholipides, strictement associés aux membranes cellulaires sont en quantité relativement constante pour un muscle donné et donc peu sensibles aux conditions d’élevage, notamment à l’âge des animaux ou à leur alimentation (Gandemer, 1999; Bauchart et al., 2002).
Qualitativement, les différences de composition en AG des lipides totaux entre tissus peuvent varier avec les conditions d’alimentation des animaux (Wood et al., 1999) et, pour un animal donné, cette composition dépend de la composition en AG des classes majeures des viandes (Bauchart et al., 2008). Ainsi, l’entrecôte riche en lipides de type triglycérides présente des proportions plus élevées en acides gras saturés et monoinsaturés trans et CLA que le paleron et le rumsteck moins riches en lipides (et donc en triglycérides) conduisant à une composition en AG plus fortement influencée par les phospholipides riches en AGPI n-6 et n-3. L’absence de variation des différentes classes d’AG des différentes viandes en fonction de la durée de maturation sous vide à + 4 °C confirme la grande stabilité de ces AG face aux processus de peroxydation en absence de contact des viandes avec l’oxygène ambiant (Gobert et al. (2010) et confirmée dans cette même étude par Durand et al. (2011). Un tel processus de lipoperoxydation apparaît en revanche au cours du processus de conditionnement des viandes notamment dans celles conservées à + 4 °C sous film perméable à l’air et surtout sous atmosphère modifiée très riche en oxygène (70%) (Gobert et al., 2010).
CONCLUSION
Les mesures effectuées à différents temps de maturation des viandes placées sous vide, évitant donc tout contact avec l’oxygène ambiant, constituent un facteur essentiel dans la préservation de l’intégrité structurale des acides gras, notamment des AGPI.
L’absence de différences significatives de la composition en AG des lipides des viandes pendant la phase de maturation sous vide indiquerait l’absence, in situ dans les tissus, de réactions de trans isomérisation et d’oxydation des doubles liaisons des acides gras insaturés, même après deux semaines de maturation à + 4 °C.
Remerciements
Les auteurs remercient Christiane Legay pour la préparation des échantillons lipidiques et de leurs acides gras en vue de l’analyse CPG de leur composition.
Ce travail a été financé par le contrat de prestation de recherche Ofival-Interbev « Impact des différents modes de cuisson sur les qualités nutritionnelles de la viande de boeuf».
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