
Dans le cadre des négociations actuelles à l’OMC, l’union européenne propose des baisses sensibles des droits à l’importation sur les viandes porcines. Afin d’apprécier les risques réels pour le marché du porc, la compétitivité de l’offre des grands exportateurs mondiaux, fournisseurs potentiels et les déterminants de la demande des transformateurs européens sont à examiner.
Les mesures de libéralisation des échanges de viandes porcines (accords de libre-échange, accords Mercosur, Doha Round à l’OMC) sont potentiellement porteuses de conséquences importantes pour le marché et la filière porcine dans l’UE, selon les scénarios envisagés à ce jour, en premier lieu la baisse des protections tarifaires à l’importation. Cette communication vise à identifier l’ensemble des facteurs de la compétitivité commerciale de l’offre porcine des pays tiers et les déterminants propres de la demande de viande porcine par les transformateurs européens. L’analyse porte sur les prix des pièces aux Etats-Unis. Elle apprécie ainsi les risques induits pour l’équilibre du marché européen du porc et les filières européennes.
Cette communication s’appuie sur les résultats d’une étude réalisée par l’ITP, en partenariat avec l’Ofival sur les conséquences des négociations de l’OMC pour la production porcine française. La capacité concurrentielle de trois grands bassins exportateurs (Brésil, États-Unis et Canada), au stade de l’élevage et de la filière a été étudiée. L’analyse des pièces brésiliennes, rendue plus difficile par l’état des données disponibles, met également en évidence des possibilités d’importation, comme dans le cas, étudié ici, des Etats-Unis (Marouby, 2005).
MATERIELS ET METHODES
Les sources d’observation statistiques des flux de viandes porcines au niveau international, permeftant d’analyser l’offre des différents bassins, sont insuffisantes pour apprécier le niveau de competitivité des produits échangés par les grands concurrents de l’UE, tant sur les marchés mondiaux que sur les marchés de l’UE.
La précision des nomenclatures douanières pour les viandes porcines est en effet très variable. Pour le Canada, elles ont été analysées par Van Ferneij (2005). La précision quant à la nature des pièces échangées et à leur présentation (niveau d’élaboration) est faible pour les États-Unis et, surtout pour le Brésil (Marouby, 2005). Par ailleurs, les niveaux de prix unitaire découlant de ces statistiques dépendent fortement des conditions de marché et des modalités de protection (droits de douanes, contingents) spécifiques aux pays importateurs. Ces considérations rendent difficile leur utilisation dans l’objectif poursuivi ici.L’UE a importé de très faibles volumes de viandes porcines en provenance des pays mentionnés plus haut au cours des dernières années (pièces, produits transformés). Ses importations ont essentiellement eu pour origine les pays de l’est de l’Europe, ses principaux fournisseurs (Pologne, Hongrie) devenant membres de l’Union en 2004. Cette situation traduit en premier lieu l’existence de barrières sanitaires interdisant les échanges et l’absence d’opérateurs agréés à l’importation dans l’UE, avant même le niveau des protections tarifaires (droits à l’importation) en vigueur depuis les derniers accords à l’OMC (Uruguay Round) en 1995.
En conséquence, les prix d’offre potentiels à l’exportation des États-Unis sur le marché européen ont été évalués à partir des niveaux de prix intérieurs sur les marchés de gros (marché des pièces) dans ce pays.
Depuis la fin des années 1990, I’USDA suit chaque semaine les prix de ventes des pièces de porcs à la sortie des ateliers de découpe auprès d’un échantillon représentatif d’abattoir. Un indicateur synthétique de la valorisation de la carcasse, le cut out est élaboré à partir des prix des principales pièces à des fins d’analyse du marché du porc (figure 1).
Par ailleurs, le potentiel d’achat en France de la viande de porc importée des pays tiers a été apprécié d’abord par une analyse des tendances de la demande finale. La propension qu’auraient les transformateurs à l’utiliser a ensuite été évaluée par des entretiens avec des opérateurs importants du secteur.
PRIX "RENDU UE" DES PIÈCES DE PORC ET PROTECTION À L’IMPORTATION
Comparaison des prix des pièces rendu UE et marché Français
Nous utilisons, pour approcher la compétitivité des pièces américaines sur le marché européen, les prix départ des pièces aux Etats-Unis, exprimés en euros au taux de change mensuel euro/dollar, augmentés des frais d’approche (dont 15 $/tonne pour le fret Etats-Unis, Europe, après enquête auprès d’opérateurs maritimes). Les prix mensuels rendu "France" (départ port d’arrivée en France) sont exprimés hors droit d’entrée à l’importation, puis droit d’entrée inclus (droit normal fixé par le tarif extérieur commun de l’Union européenne). Ils sont comparés aux prix de marché des pièces observés en France. La source de prix choisie pour la France est constituée des cotations établies par le Service des Nouvelles des Marchés du ministère de l’Agriculture (cotations à Rungis, sauf pour l’épaule, cotation Nord-Picardie).Les frais d’approche des matières premières depuis les ports de provenance des matières premières importées ou depuis les ateliers de découpe français ou européens ne sont pas pris en compte dans l’analyse, dans la mesure où leur incidence est assez voisine. Les différences de qualité des matières premières (taux de muscle) ou de présentation des produits (congélation pour les produits importés) n’ont pas fait l’objet de corrections dans cette approche, leur portée dans les échanges étant discutée plus loin.
L’écart entre le prix du jambon américain "rendu France", avant application du droit de douane, et celui du marché français montre un avantage assez constant sur la période (-0,83 euro/kg plus faible en moyenne). Compte tenu du droit plein applicable à l’importation (0,778 euro/kg), le marché français apparaît exposé aux importations dans le cas d’importations à droit réduit (figure 2, tableau 1).La situation des marchés de l’épaule et des prix relatifs dans les deux pays indique également un avantage concurrentiel notable pour la pièce des Etats-Unis sur le marché européen (figure 3, tableau 1).
Le prix de l’épaule américaine "rendu France" affiche en effet un avantage très significatif de 0,40 euro/kg par rapport au prix de marché français en moyenne de 2000 à 2004. L’année 2000 a néanmoins constitué une période de valorisation élevée sur le marché nord-américain qui réduit l’avantage moyen constaté sur la période. De 2001 à 2005 (année incomplète), l’écart se situe entre 0,42 et 0,54 euro en moyenne annuelle. Ces dernières valeurs sont ainsi assez voisines de la protection au droit normal (0,60 1 euro/kg). Les prix américains après application du droit sont donc à un niveau proche de celui du marché français.Les prix de la longe américaine "rendu France" avant prise en compte du droit à l’importation montre également un avantage sensible (0,37 euro/kg en moyenne de 2000 à 2004). En revanche, la poitrine fait exception. Ce produit est en effet très bien valorisé outre-Atlantique ce qui conduit à des prix d’offre dissuasifs pour les acheteurs européens.
Risques induits par une diminution des protections à l’importation
Les données précédentes ont montré que le marché européen du porc ne bénéficie pas dans les conditions actuelles d’une protection particulièrement surdimensionnée.
Il serait donc exposé aux importations suite à une diminution des droits à l’importation. Cette diminution des protections à l’importation dans le secteur agricole constitue un point majeur dans les négociations agricoles. Lors de la rédaction de cette communication, plusieurs scénarios de poursuite des négociations étaient encore en présence, et la certitude même d’aboutir à la fin de 2005, lors de la conférence de l’OMC à Hong Kong, n’était pas acquise.
Les discussions portaient en particulier sur le taux de réduction des droits à l’importation, leur mode d’application et la possibilité de définir des produits sensibles (moindre réduction des droits, en échange de l’ouverture de contingents d’importation à droits réduits sur d’autres produits).
Quoi qu’il en soit, les taux de réduction envisagés dans différents scénarios, au minimum de 30 %, mais plus vraisemblablement d’au moins 50 %, sont de nature à ouvrir les portes de l’UE aux importations de viande de porc, compte tenu des constats précédents.
Par ailleurs, la variabilité des taux de changes et les caractéristiques propres des marchés (cycle, saison) sont de nature à générer des écarts de prix, de part et d’autre de l’Atlantique, rendant encore plus faciles les importations.
LES FACTEURS DE LA DEMANDE À L’IMPORTATION
Les déterminants économiques
L’analyse des possibilités d’importation de viandes et produits porcins au cours des prochaines années, nécessite de s’ interroger en premier lieu sur les déterminants de la demande de produits carnés par le consommateur et de prendre en compte la stratégie de la distribution.
En ce qui conceme le consommateur, la part croissante de la consommation hors domicile, en particulier de la restauration rapide, figure parmi les phénomènes majeurs. Parmi les modes de consommation, l’attrait pour les services plats cuisinés (produits élaborés) est également à considérer. Ces éléments laissent penser que la perception de l’origine des viandes utilisées et l’intérêt du consommateur pour cette information pourraient tendre à perdre de l’importance.
Après avoir recherché davantage de garanties dans ses achats, après les crises sanitaires de la fin des années 1990 et du début des années 2002 (ESB), le consommateur est aujourd’hui devenu particulièrement attentif aux prix, en recherchant davantage les produits basiques.
La stratégie actuelle des acteurs de la grande distribution s’inscrit dans ce contexte. Les contraintes de rentabilité, la montée en puissance du "hard discount" modifient les conditions de segmentation de l’offre de produits de charcuterie-salaison en redéfinissant l’importance des gammes de produits dans les linéaires : grandes marques, marques de distributeur, produits "sans marques", promotions (ponctuelles ou plus ou moins durables). De l’avis des industriels de la salaison, la politique de sécurisation de l’image des produits vis-à-vis des consommateurs (cahiers des charges spécifiques en liaison avec des garanties sur l’origine des produits) semble en passe de s’estomper face à la recherche d’une politique de "prix bas"... en tout cas tant qu’une autre crise sanitaire majeure ne se déclenchera pas.
Ces évolutions se traduisent par une modification des contraintes et des exigences imposées aux industriels de la charcuterie-salaison, davantage focalisées sur la recherche de l’abaissement des prix de revient.
Afin d’évaluer les possibilités d’utilisation de matières premières importées par la transformation (destinataire de plus des deux tiers des viandes porcines en France), l’étude s’est interrogée sur la capacité des transformateurs à incorporer dans leurs fabrications des matières premières aux caractéristiques différentes (inférieures) de celles actuellement disponibles sur les marchés français et européens, compte tenu des éléments techniques de leurs cahiers des charges. D’autre part, elle a cherché à identifier les types de produits susceptibles d’être élaborés à partir de matières premières en provenance des marchés internationaux.
Aptitude des matières premières disponibles sur les marchés internationaux selon les produits
L’appel aux matières premières importées concernerait essentiellement le secteur de la transformation, même si certains créneaux de la consommation en frais ne sont pas totalement à exclure.
Les entretiens réalisés avec les opérateurs français de la charcuterie-salaison ont mis en évidence leur adaptabilité. La maîtrise des processus industriels permet l’utilisation d’une gamme assez large de matières premières, en particulier sous forme congelée. La souplesse vis-à-vis des caractéristiques des matières premières pouvant être incorporées est cependant variable selon les produits. Dans la mesure où les matières premières en provenance des pays-tiers satisferaient aux critères réglementaires imposés par l’UE dans le domaine de la sécurité sanitaire, elles pourraient ainsi couvrir une part importante des fabrications.
Les charcuteries cuites “ entrée de gamme “, les lardons pourraient être concernés car très largement accessibles à un approvisionnement international. Les épaules et les poitrines congelées figurent parmi les produits les plus susceptibles d’être importés. Le cas du jambon cuit revêt une importance toute particulière compte tenu de la place de ce produit dans les fabrications françaises et dans la valorisation de la carcasse.
Les cahiers des charges excluent sans doute l’utilisation de matières premières importées pour le jambon cuit "supérieur", en vertu du "Code des usages". Toutefois les jambons "1er choix" et autres "premiers prix" pourraient faire appel à des jambons importés des pays tiers, du fait d’une plus grande tolérance vis-à-vis des caractéristiques des matières premières (utilisation de jambons congelés).
Les facteurs de compétitivité commerciale des fournisseurs
Les résultats à l’exportation des principaux concurrents de l’UE sur les marchés mondiaux, en premier lieu des Etats-Unis et du Canada, témoignent de leur capacité à offrir des viandes porcines sur les marchés les plus exigeants (Japon notamment). Les différences de qualité moyenne des carcasses existant entre les principaux bassins (taux de muscle en Amérique du Nord inférieurs à ceux observés dans l’Union européenne) ne sont qu’un élément parmi d’autres de la performance globale à l’exportation. L’adaptation de l’offre par la découpe, par une élaboration des pièces plus ou moins poussée, adaptée aux besoins des acheteurs, en profitant d’une certaine spécialisation des opérateurs industriels, et l’avantage des coûts de main d’oeuvre constituent un élément de premier plan. Dans d’autres cas, sur d’autres marchés, la possibilité d’offrir un “ minerai “ standardisé (sous forme de maigre ou de gras) adapté aux besoins des transformateurs constitue également un atout.
La compétitivité commerciale à venir des concurrents de l’UE en tant que fournisseur potentiel tient aussi pour une large part à leur capacité à exploiter les opportunités offertes par les marchés internationaux, en raison du savoir faire dans le domaine du commerce et de la logistique de leurs principaux opérateurs. L’examen du marché des pièces a ainsi montré les différences de valorisation des pièces selon les marchés. Cette situation est de nature à permettre la captation de marges, voire de "rentes de situation" permettant de compenser des difficultés sur d’autres marchés ou d’autoriser des stratégies offensives pour s’implanter sur de nouveaux pays.
La situation et les performances des grandes entreprises exportatrices sont cruciales pour déterminer les résultats des grands pays concurrents et leur place sur les marchés. Les prix avantageux des porcs à l’achat, déterminés tendanciellement par des niveaux de coût de revient bas en élevage (productivité, coût des facteurs) sont en effet confortés par la compétitivité des coûts au stade de l’abattage et de la découpe (coûts industriels, valorisation des coproduits). Les plus grandes entreprises auront aussi la possibilité d’orienter la production des élevages en fonction de leurs débouchés à l'exportation. Elles auront aussi la capacité à s’adapter aux normes les plus exigeantes des pays acheteurs, telles celles de l’UE ou aux cahiers des charges des clients européens (en terme de niveau qualitatif des produits, de garanties de traçabilité notamment).
Enfin, l’importance de l’organisation collective du secteur (campagnes de communication et de marketing) et de l’appui des autorités publiques pour renforcer les performances commerciales à l’exportation ne doit pas être sous-estimée comme cela est illustré tout particulièrement dans le cas du Canada (Van Ferneij, 2005).
CONCLUSION
L’analyse des prix des principales pièces de porc, constatés aux Etats-Unis au cours des dernières années et exprimés rendu utilisateur en Europe, met en évidence un avantage concurrentiel sérieux de nature à induire des importations sur le marché français. Les niveaux actuels de protection (droit normal dans le cadre de l’OMC) n’apportent pas de sur-compensation vis-à-vis de cette situation.
Dans un premier temps, l’effacement des barrières non tarifaires à l’importation (sanitaires, agréments d'entreprises) rendra problable l’émergence de flux d’échanges en direction de l’Union européenne, en provenance des bassins mondiaux exportateurs : Amérique du Nord, Brésil.
La réduction significative des droits à l’importation, actuellement en négociation à l’OMC dans le cadre du Doha Round, devrait s’accompagner ensuite d’une expansion encore plus importante de la présence des fournisseurs extérieurs sur le marché intérieur de l’UE, tout particulièrement pour les pièces destinées à l’industrie de transformation.
L’examen des facteurs de compétitivité des importations montre qu’une part majoritaire des approvisionnements de pièces du secteur de la charcuterie-salaison de l’UE pourrait être potentiellement accessible pour les fournisseurs des pays tiers (jambons, épaules, mélanges...). La part prépondérante de la transformation dans les débouchés de la viande porcine dans la plupart des pays de l’Union rendra donc le marché du porc très sensible à la concurrence étrangère.
Les stratégies de réponse à la situation des marchés des produits carnés, la recherche d’opportunités commerciales devraient conduire l’industrie de la charcuterie-salaison à se tourner vers de nouvelles origines géographiques pour l’approvisionnement en pièces de fabrication notamment les épaules. Les besoins pour la fabrication de jambon cuit pourraient être significativement couverts par de pièces venant de l’extérieur de l’UE, plus ou moins élaborées.
Les volumes potentiels et les prix d’achat associés à ces transactions induiront des risques importants pour le marché européen, en premier lieu des déséquilibres offre-demande de manière plus ou moins prolongée. Ils entraîneront aussi des modifications de flux dans le commerce entre les maillons de la filière (abattoirs, découpeurs, transformateurs), de la hiérarchie des prix des pièces et de la valorisation des produits. L'ensemble de ces effets aura des conséquences négatives sur les prix payés aux éleveurs.
Remerciements
Cette communication est issue des travaux réalisés dans le cadre d’une étude effectuée par ITP cofinancée par l’Ofival et l’Adar sur les conséquences possibles des négociations à l’OMC pour la production porcine française.
BIBLIOGRAPHIE
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