
Quatre techniques culinaires (sachet de cuisson, attendrisseur, marinade et cuisson basse) ont été utilisées sur trois types de viande (filet de poulet, rôti de bœuf et steak de bœuf) (Tableau 1). Le protocole de recherche a été approuvé par le CPP (Comité de Protection des Personnes) Est-1 N° IRB 2016-A00916-45.
Tableau 1. Procédés culinaires utilisés pour chaque viande
Le confort en bouche a été évalué par un panel de 40 personnes âgées au moyen d’un questionnaire développé dans une étude précédente (Vandenberghe-Descamps et al., 2017). Ce questionnaire comporte une question générale sur le confort en bouche ainsi que plusieurs questions permettant d’évaluer les cinq dimensions suivantes : la facilité ou non à transformer un aliment en bol alimentaire, le temps mis pour former ce bol, les éventuelles sensations de douleurs ressenties lors de la consommation de l’aliment ainsi que la perception de texture et de flaveur de l’aliment (Figure 1). En parallèle, nous avons caractérisé la santé orale des personnes âgées (état de la dentition et flux salivaire) pour étudier son impact sur le confort en bouche lors de la consommation de viande. Le détail des procédures est précisé ci-dessous
Figure 1. Questionnaire d’évaluation du confort en bouche
Deux groupes de 20 personnes âgées (≥ 65 ans) ont été recrutés : un groupe avec un bon état bucco-dentaire (10 hommes et 10 femmes ; âge moyen : 72,8 ans ; 66-87 ans) et un groupe avec un mauvais état bucco-dentaire (9 hommes et 11 femmes ; âge moyen : 74,7 ans ; 67-89 ans). Les personnes ayant un bon état bucco-dentaire devaient posséder au moins 7 unités fonctionnelles postérieures et ne devaient pas porter de dentier. Les personnes ayant un mauvais bucco-dentaire devaient posséder moins de 4 unités fonctionnelles postérieures et pouvaient porter ou non un dentier (une unité fonctionnelle postérieure est définie comme une paire de dents antagonistes postérieure qui a au moins un point de contact lors de la mastication). Une mesure de flux salivaire au repos a été réalisée auprès de chaque participant. Pour cela, ils devaient cracher leur salive dans un pot préalablement pesé à chaque fois qu’ils le souhaitaient pendant 10 minutes.
I.2. Produits
Trois types de viande ont été sélectionnés : un filet de poulet fermier, un rôti de bœuf et un steak de bœuf charolais de production locale. Ces trois produits ont été achetés chez un boucher local. Les rôtis de bœuf provenaient du tende de tranche tandis que les steaks provenaient du rumsteck, avec un temps de maturation de 10 jours minimum. Pour une séance donnée, les échantillons de viande provenaient du même animal. Les viandes étaient récupérées la veille des séances et emballées sous vide jusqu’à la préparation.
Quatre techniques culinaires ont été utilisées : sachet de cuisson (Albal®), attendrisseur, marinade et cuisson basse température (Tableau 1). Ces techniques ont été sélectionnées car elles sont relativement simples à mettre en œuvre dans la cuisine d’un particulier. Etant donné qu’il n’était pas possible de tester toutes les combinaisons possibles au cours d’une seule séance, des tests préliminaires ont été réalisés afin sélectionner les techniques et ou les combinaisons de techniques les plus prometteuses. Sur la base de ces essais, 5 procédés culinaires ont été sélectionnées pour le poulet et le rôti, et 4 procédés culinaires pour le steak (Tableau 1).
Sachet de cuisson : Les filets de poulet et les rôtis de bœuf étaient placés dans un sac de cuisson fermé (Albal®). En effet, les prétests ont montré que l’utilisation de sachets cuisson entraînait une diminution de la force de cisaillement ainsi qu’une augmentation de la teneur en eau des viandes, ce qui les rendaient plus faciles à mastiquer et plus juteuses.
Attendrisseur : L’attendrisseur à viande (Hendi Profi Line®) était constitué de 51 lames tranchantes en inox. Il était passé sur une seule face et sur toute la longueur pour les filets de poulet et les steaks, et sur les deux faces et sur toute la longueur pour le rôti de bœuf.
Marinade : La marinade était composée de 6% de sauce soja et 94% d’eau. Les filets de poulet et les steaks étaient placés dans la marinade pendant 2 heures et le rôti pendant 4 heures avant la cuisson, à 4°C. Pour les échantillons attendris et marinés, l’attendrisseur était passé juste avant de placer la viande dans la marinade.
Cuisson basse température : Les filets de poulet et les rôtis de bœuf était placés dans un four ménager électrique (Brandt 591E44) préchauffé à 110°C jusqu’à atteindre une température à cœur de 65°C (vérification à l’aide d’un thermomètre à sonde Cooper®). Le temps de cuisson était d’environ 60 minutes pour le poulet et 77 minutes pour le rôti. Ces conditions ont été établies en discutant avec un traiteur et un boucher utilisant fréquemment cette technique.
Les échantillons étaient cuits juste avant d’être servis. Les steaks (poids moyen de 50g) ont été cuits à la poêle sur une plaque à induction chauffée à 160°C jusqu’à atteindre 65°C à cœur, soit pendant environ 6 min. Les filets de poulet et de rôti de bœuf cuits à haute température (condition contrôle) était cuit dans le four préchauffé à 220°C jusqu’à atteindre une température à cœur de 65°C. Le temps de cuisson était d’environ 25 minutes pour le poulet et 31 minutes pour le rôti. La taille moyenne des morceaux de rôti de bœuf et des filets de poulet pour la cuisson basse température était respectivement de 300g et de 160g.
I.3. Protocole
Les participants ont participé à trois sessions, une par type de viande. Les séances ont eu lieu soit à 11h, soir à 18h (proche des heures de repas). A chaque séance, les participants recevaient 4 à 5 échantillons de viande, selon un ordre de présentation équilibré (carré latin de William). Pour chaque échantillon, ils devaient goûter l’échantillon et remplir le questionnaire confort en bouche (Figure 1). Une pause de trois minutes était respectée entre chaque échantillon. Les portions servies étaient de 70 g pour le poulet, 50 g pour le rôti (une tranche) et 50 g pour le steak (ces portions permettaient aux participants de répondre à la totalité du questionnaire). Les séances ont eu lieu dans une salle d’évaluation sensorielle équipée de box individuels, sous lumière blanche, à une température ambiante de 20°C.
I.4. Analyse des résultats
Après avoir vérifié la normalité des résultats, une première Analyse de la Variance (ANOVA) a été réalisée pour chaque viande et pour chacun des items du questionnaire de confort en bouche, avec le facteur échantillon (Tableau 2). Une seconde ANOVA a été réalisée pour chacun des items du questionnaire avec les facteurs produit, dentition et flux salivaire au repos (Tableau 3). Le test de Student Neuwman Keuls a été utilisé lorsque le facteur produit de l’ANOVA était significatif. Les figures présentent les moyennes associées avec l’erreur standard (barre verticale).
II.1. Effet des techniques culinaires sur le confort en bouche
Les résultats montrent que c’est pour le rôti de bœuf que l’utilisation de différents procédés culinaires a eu le plus d’effet sur le confort en bouche (Tableau 2). En effet, pour le rôti de bœuf, la cuisson à basse température combinée à l’utilisation d’un attendrisseur ou d’une marinade a permis d’augmenter significativement le confort en bouche par rapport à l’échantillon contrôle cuit à haute température (Figure 2). Concernant la formation du bol, la cuisson basse température associée ou non à la marinade augmente la facilité à mastiquer et à humidifier le bol (Figures 3 et 4). Enfin, l’échantillon contrôle a été perçu comme le plus sec et le plus ferme des échantillons tandis que l’échantillon résultant de la combinaison des techniques a été perçu comme le plus tendre et le plus fondant.
Concernant le poulet, l’échantillon attendri et cuit à basse température a été jugé plus fondant et moins sec que les échantillons cuits à haute température (Figures 5 et 6).
Tableau 2 : Impact des procédés culinaires sur la perception du confort en bouche par les personnes âgées pour chaque viande.
Niveau de significativité associé au F-value de l’effet échantillon : * p<0,05 ; **p<0,01 ; ***p<0,001
Figure 2. Rôti de bœuf : impact des différentes préparations culinaires sur le confort en bouche
Les moyennes associées à la même lettre ne sont pas significativement différentes au seuil de 5%.
Figure 3. Rôti de bœuf : impact des différentes préparations culinaires sur la facilité à mastiquer
Les moyennes associées à la même lettre ne sont pas significativement différentes au seuil de 5%.
Figure 4. Rôti de bœuf : impact des différentes préparations culinaires sur la facilité à humidifier le bol alimentaire
Les moyennes associées à la même lettre ne sont pas significativement différentes au seuil de 5%.
Figure 5. Filet de poulet : impact des différentes préparations culinaires sur l’attribut « texture sèche »
Les moyennes associées à la même lettre ne sont pas significativement différentes au seuil de 5%.
Figure 6. Filet de poulet : impact des différentes préparations culinaires sur l’attribut « texture fondante »
Les moyennes associées à la même lettre ne sont pas significativement différentes au seuil de 5%.
II.2. Impact de la santé orale sur le confort en bouche
Aucun des paramètres de santé orale mesurés dans cette étude (état dentaire, flux salivaire) n’influence le confort en bouche perçu par les personnes âgées lors de la consommation d’un produit carné (Tableau 3). En revanche, la santé orale semble impacter les dimensions de formation du bol, de douleurs ressenties, d’évaluation de la texture et de la flaveur. Ainsi, les personnes âgées ayant un bon état dentaire ont plus de facilité à humidifier le bol alimentaire avec la salive, à déglutir et ont besoin de moins de temps pour former un bol alimentaire que les personnes âgées ayant un mauvais état dentaire. Elles trouvent également les viandes plus tendres, plus juteuses, plus salées et plus intenses en flaveur. Enfin, elles ressentent moins de douleurs articulaires et musculaires mais davantage de douleur gingivales. Par ailleurs, les personnes âgées ayant un flux salivaire au repos plus élevé ressentent plus de facilité à former le bol alimentaire que ceux ayant un plus faible flux salivaire au repos. Elles ressentent également moins de douleurs musculaires mais un peu plus de douleurs articulaires et dentaires. Elles notent les produits moins collants, moins gras, moins durs et moins intenses en flaveur.
III. DISCUSSION
Les résultats montrent que la cuisson basse température combinée à l’attendrisseur ou à la marinade sont des techniques prometteuses pour améliorer le confort en bouche lors de la consommation de produits carnés par des personnes âgées. De fait, il a été démontré qu’une cuisson basse température permet de mieux dégrader le collagène et ainsi d’augmenter la tendreté de la viande, tout en limitant la rétractation des fibres, ce qui diminue le niveau de compression de la viande et la perte de jus pendant la cuisson (Woolsey et Paul, 1969 ; Leander et al., 1980 ; Bouton et Harris, 1981). Il s’ensuit une viande plus tendre et plus juteuse. Par ailleurs, plusieurs auteurs ont montré qu’une action mécanique telle que battre ou piquer la viande permettait d’augmenter la tendreté de la viande en brisant les tissus conjonctifs (Jeremiah et al., 1999 ; Pietrasik et Shand 2004 ; Bekhit et al., 2013 ; Obuz et al., 2003, 2014). Enfin, la marinade peut contribuer à augmenter la tendreté d’une viande, mais son effet reste souvent très limité à la surface du fait de sa lente pénétration dans la viande (Oreskovich et al., 1992 ; Burke et Monahan, 2003 ; Istrati et al., 2015).
Les essais préliminaires ont montré que la marinade seule n’avait pas d’effet sur la tendreté de la viande. Cependant, lorsqu’elle a été associée à la cuisson basse température, elle a permis d’amplifier l’effet sur le confort en bouche : le rôti de bœuf mariné et cuit à basse température a été perçu significativement plus confortable que le rôti contrôle, tandis qu’aucune différence significative n’a été observée entre le rôti simplement cuit à basse température et le rôti contrôle.
Enfin, il est important de souligner que la tendreté et la jutosité d’une viande sont aussi influencées par des facteurs en amont de la préparation culinaire, tels que la race de l’animal, son sexe, son âge ou son régime alimentaire (Seideman et Crouse, 1986 ; Guerrero et al., 2013 ; Półtorak et al., 2017) ainsi que les conditions d’abattage et de maturation (Ferguson et Warner, 2008). De fait, dans notre étude, nous n’avons pas montré d’effet des techniques culinaires sur le steak de bœuf, probablement car la viande d’origine était de très bonne qualité et déjà très confortable en bouche.
Ce travail permet également de souligner l’importance de solliciter un panel de personnes âgées pour évaluer le confort à manger et les caractéristiques sensorielles des produits carnés lorsque l’on souhaite développer ou améliorer l’offre des produits carnés pour cette population. Jusqu’à présent, l’impact de procédés culinaires sur la texture de la viande a principalement été étudié au travers de mesures physiques (Barbanti & Pasquini, 2005 ; King et al., 2009) ou un panel de sujets – souvent âgés de 18 à 60 ans - entraînés. Cependant, la perception de la texture est un phénomène dynamique qui évolue depuis la mise en bouche de l’aliment jusqu’à sa déglutition. Les transformations nombreuses et complexes qui ont lieu au cours de cette étape ne peuvent pas être caractérisées par une seule mesure instrumentale (Mathonière et al., 2000). Même en combinant plusieurs mesures, les techniques instrumentales ont du mal à imiter correctement les mouvements des mâchoires et de la langue, les forces et les vitesses de déplacement ainsi que la salivation mis en œuvre lors de la transformation de l’aliment en bouche (Peyron et al., 1994).
Par ailleurs, les résultats de notre étude ont montré que l’état dentaire et le flux salivaire ont un impact significatif sur la formation du bol alimentaire et la perception de la texture lors de la consommation de viande. Bien que les personnes âgées, et notamment les personnes âgées fragiles ou souffrant de troubles bucco-dentaires, sont souvent peu disposées à participer à ce type d’étude (Maître et al., 2015), il nous semble essentiel de recueillir leur avis (et non celui de jeunes adultes) dès lors que l’objectif est d’améliorer l’offre alimentaire pour le public senior.
Tableau 3. Impact de la santé orale sur les dimensions associées au confort en bouche
Niveau de significativité associé au F-value de l’effet : * p<0,05 ; **p<0,01 ; ***p<0,001
CONCLUSION
Cette étude a montré que l’utilisation de techniques culinaires relativement faciles à mettre en œuvre chez soi telles que l’attendrisseur la marinade et la cuisson basse température permet d’augmenter la tendreté et la jutosité, des viandes perçues lors de leur consommation, et ainsi d’améliorer la facilité à former un bol alimentaire et le confort en bouche chez des personnes âgées. Il convient néanmoins de souligner que les effets les plus significatifs sont observés en combinant plusieurs méthodes (marinade + cuisson basse température ou attendrisseur + cuisson basse température). Enfin, les effets observés et en particulier ceux touchant à la texture concernent uniquement des attributs sensoriels. Ainsi, des travaux de recherche sont nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes physico-chimiques sous-jacents à ces procédés culinaires complexes et qui pourraient influer les propriétés de texture et de structure des matrices carnés expliquant leur perception sensorielle.
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